René Char (1907 – 1988) : Les parages d’Alsace
René Char, Isle-sur-Sorgue,1971. Photo de Gisèle Freund
Les parages d’Alsace
Je t'ai montré La Petite-Pierre, la dot de sa forêt, le ciel qui naît aux branches,
L'ampleur de ses oiseaux chasseurs d'autres oiseaux,
Le pollen deux fois vivant sous la flambée des fleurs,
Une tour qu'on hisse au loin comme la toile du corsaire,
Le lac redevenu le berceau du moulin, le sommeil d'un enfant.
Là où m'oppressa ma ceinture de neige,
Sous l'auvent d'un rocher moucheté de corbeaux,
J'ai laissé le besoin d'hiver.
Nous nous aimons aujourd'hui sans au-delà et sans lignée,
Ardents ou effacés, différents mais ensemble,
Nous détournant des étoiles dont la nature est de voler sans parvenir.
Le navire fait route vers la haute mer végétale.
Tous feux éteints il nous prend à son bord.
Nous étions levés dès avant l'aube dans sa mémoire.
Il abrita nos enfances, lesta notre âge d'or,
L'appelé, l'hôte itinérant, tant que nous croyons à sa vérité.
Retour amont
Editions Gallimard, 1966
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