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Le bar à poèmes
2 avril 2023

Erwann Rougé (1954 -) : L’Absent (1)

rouge16[1]

Lieux-dits. eu. erwan_rouge

 

L’absent

Pour Ali Boulfra

disparu en janvier1958.

 

Dans les rues d’Alger ce graffiti

                                                                                                                                                                                              (en arabe)

« Laisse ton esprit s’envoler. »

 

Hirak de janvier 2020.,

 

 

 

BENI YENNI. KABILYE.1938

 

  ... et tout le bois qu’il faut rentrer.

la blancheur monte dans les doigts

aux ongles noirs.

on ferme la porte.

« j’ai froid sur mon dos

et le silence dure et dure. »

 

la couverture

la nuit ont une odeur calcaire.

 

 

 

 

rien que le lait aigre

et la paille écrasée sous les dents

la faim à même la moelle

et la cendre au front.

c’est longtemps le ventre

sans rien avant sans rien après.

tout fini par racler la poitrine.

avec le doigt trace le sort

des rouges-queues des verdiers

des gros becs.

se frottent les jambes et les pieds

de laines de plumes et de peaux.

tout finit les mains

à plat sur les oreilles.

 

 

 

 

je joue sur le seuil

puits feuille caillou ciseaux

avec deux mains douleur et douceur

ce rien d’humus

de fougères et de talus.

la tanière et les chiffons

calment la peur et les refus

l’air chaud contre la bouche.

 

dans l’immobilité d’un mot

puits feuille cailloux ciseaux

je suis resté seul.

 

 

 

 

le jour où les soldats encerclèrent

la maison de pierre et de bouse        

assis à l’écart on dit que le berbère

se mit à chanter un thrène

pour les filles aux pieds rouges

de henné.

« que ferez-vous de ma mort

où le poème se terre.

l’âme même lestée

ne peut que remonter à la surface. »

 

 

 

 

la guerre et les trous rouges

donnent l’ivresse aux corvidés.

nous ne savons pas si de l’autre côté

le soleil et le calcaire prennent la poussière

si la lumière d’après

ne coud plus rien de blanc.

la langue des dieux est dans le ruisseau

de grès et de basalte.

le reste n’est qu’une idée de prière.

 

 

 

« le père sait qu’il ne reviendra pas... nous dit de rafraîchir la nuque à la   rivière. » (1)                                                                                          

    19 janvier 1957.                                                                                               

                                                                                          

 

 

 

 

tout a été épuisé

les larmes aimées les lèvres mortes

les cafés amers et la brûlure.

combien d’oliviers reste-t-il sur la montagne

comment sont les pulpes d’olives

la dernière huile.

tout ce qu’il reste d’une vie

le lait la fleur de farine le miel

terres de troupeaux et abris de montagne

réunis dans cet instant-là.

 

 

 

 

lancé perdu le chant des « égarés (2) ».

le cœur ne prend plus la mer.

le silence ne colle

ni au palais ni aux dents

le bruit d’être dort dans les poumons.

certains partent avec le trille du merle

à l’intérieur des yeux.

d’autres à l’appel du corbeau

dans la verticale du dos.

les faucons finissent par attendre

ce qu’il en est de passer.

 

 

 

 

sous le tremblement des branches

ce feu mourant les rêves fous l’insecte

craquent ensemble.

 

certains jours la sitelle picore

dans les cigalières

martèle la montée de l’écorce.

 

 

 

 

              « dans les pieds dans la tête le frottement des aiguilles de pins...

                     j’ai entendu pour la première fois les arbres me parler. (1) »

                                                                                                24 avril1957.

 

 

 

 

ainsi rien n’efface ni ne pardonne.

on n’habite plus le sens des jours

on bascule dans un autre vide.

le cœur la chair se serrent

l’un contre l’autre

se vident de leur eau.

comme ça tout sèche.

 

mourir serait cela intensément.

 

 

 

 

un filet de voix juste avant la voix

non seulement une voix de gorge

mais une voix de tout le corps

veines fines et peau transparente.

est-ce que le désir ou la colère

derrière les yeux se resserrent.

« cet insurgé porte en lui la mer. (3) »

on dit qu’elle emporte

vers le nord        la voix.   

 

« se meurt grand-père. »

muet au milieu des mots

il regarde sans cligner des yeux.

 

 

 

 

« rien ne s’oublie aussi vite qu’une voix. en premier je cherche toujours

                                                                                                 le visage. »

                                                                                     12 décembre 1957.

 

    (1). Toutes les phrases en italiques et entre guillemets sont des extraits de lettres

envoyées par Ali.

    (2). Ceux qui ont traversé la mer une fois pour toutes.

     (3).Tahar Djaout: "L’Exproprié", Sned, 1981.

................................................................................

 

 

L’absent,

Edition Unes, 06000 Nice

Du même auteur :

Puis ce ralenti (04/09/2017)

« Si je fermais les yeux... » (04/09/2018)

« Et les couleurs arrivent ... » (04/09/2019)

L’Absent (2) (02/04/2024)

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Commentaires
E
merci braz .e.r.
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