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Le bar à poèmes
28 janvier 2023

Walt Whitman (1819 – 1892) : La chanson du Grand Répondant - Notre antique feuillage / Song of the answerer / Our old feuillage

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La chanson du Grand Répondant

 

1

Qu’on écoute maintenant ma romance matinale, je vais annoncer les signes du

     Grand Répondant,

Aux fermes, aux cités étalées dans la lumière du soleil devant moi, voici ma

     chanson.

 

Un jeune homme s’avance vers moi, il tient à la main un message de son frère.

Comment ce jeune homme va-t-il s’assurer que c’est bien la personne, que

     c’est bien le moment ?

Dites-lui de m’envoyer les signaux.

 

Donc me voici debout devant lui face à face, je lui prends la main droite dans

     ma main gauche, lui place sa main gauche dans ma main droite,

Je réponds au nom de son frère et des hommes, je réponds au nom de celui qui

     répond de tout, j’envoie mes signaux.

 

Lui que tous les hommes attendent, auquel tous cèdent, sa parole est décisive

     et sans appel

Lui, qu’ils acceptent, en qui ils se purifient, en qui ils se réfléchissent eux-

     mêmes comme dans la lumière,

Ils l’immergent en eux comme ils s’immergent en lui.

 

Les femmes les plus belles, les nations les plus altières, les lois, les paysages,

     les gens, les animaux,

La terre profonde et ses attributs et l’océan instable (c’est ce que raconte ma

     romance matinale),

Tous les plaisirs, toutes les fortunes, toutes les propriétés, tout ce que l’argent

     peut acheter,

Les meilleures fermes, ce sont les autres qui plantent qui travaillent, lui il

     moissonne,

Les cités les plus nobles les plus coûteuses, ce sont les autres qui mesurent et

    qui construisent, lui il y établit son domicile,

Rien n’échoit à quelqu’un que cela ne lui échoie aussi, le prés le lointain lui

     reviennent, les vaisseaux du grand large,

A terre les défilés, les spectacles perpétuels lui sont destinés plus qu’à tout

     autre.

 

Il place les choses dans leurs allures,

Il place le jour présent à distance de lui-même avec plasticité, avec amour,

Il dispose sa propre époque, ses réminiscences, ses parents, ses frères et sœurs,

     associations, emplois politiques, de telle façon que plus jamais les autres ne

     les humilient ni n’exercent de commandement sur eux.

 

Il est le Grand Répondant.

Il répond chaque fois qu’il peut y avoir réponse et quand ce n’est pas le cas il

     dit pourquoi on ne peut pas répondre.

 

Un homme est une injonction un défi.

(Pas la peine de boude dans son coin – vous entendez les rires, les railleries,

     vous entendez les échos ironiques ?)

 

Les livres, les amis, les philosophes, les prêtres, l’action, le plaisir, l’orgueil,

     tout cela cherche à donner satisfaction en tout sens,

C’est lui qui désigne la satisfaction, lui qui désigne aussi les chercheurs en tout

     sens

 

Quel que soit le sexe, la saison ou le lieu, il a licence d’aller doucement et

     nouvellement et en toute sécurité de jour comme de nuit,

Il est le passe-partout de tous les cœurs, lui reviennent les réponses que les

     mains, par curiosité, sollicitent des portes.

 

Le bon accueil qu’on lui donne est universel, le flux de la beauté ne reçoit pas

     d’accueil plus universel que lui,

La personne qui reçoit ses faveurs le jour, avec qui il dort la nuit est bénie.

 

Toutes les existences ont leur idiome, chaque chose a sa langue privée,

La sienne résout toutes les autres langues, s’offre à tous les hommes, tous les

     hommes la traduisent, tous les hommes se traduisent en elle,

Nulle partie n’agit en contradiction avec une autre, il est le menuisier, il joint,

     il veille à ce que tous soient joints.

 

Il dira indifféremment Comment vas-tu l’ami ? au Président à son lever

Comme il dira Bonne journée mon frère à Cudge en train de biner le champ de

     canne à sucre,

Tous les deux le comprennent, savent qu’il parle juste

 

Il déambule parfaitement à l’aise au Capitole,

A l’aise parmi le Congrès, le Représentant dit à un autre Représentant Voici

     venir l’homme nouveau, notre égal

 

D’ailleurs les ouvriers le prennent pour un ouvrier

Les soldats pour un soldat, les marins croient qu’il connaît la mer,

Les auteurs le prennent pour un auteur, les artistes pour un artiste,

Les journaliers voient qu’il pourrait travailler à leur côté, ils l’aimeraient,

Quel que soit le travail, il est clair qu’il peut le faire ou qu’il l’a fait,

Quelle que soit la nation, qu’il y côtoierait sans mal ses frères et sœurs.

 

Les Anglais croient qu’il est de souche anglaise,

Juif il est aux yeux des Juifs, Russe à ceux des Russes, familier et proche,

     hautain avec personne.

 

Quiconque le voit au café des voyageurs le reconnaît comme des siens,

L’Italien, le Français le jurent, l’Allemand aussi est sûr, l’Espagnol pas moins,

     et le Cubain des îles comme les autres,

Le mécanicien, l’homme de pont des grands lacs, du Mississippi, du Saint-

     Laurent comme du Sacramento, de l’Hudson ou du détroit de Paumanok, le

     reconnaissent.

 

Le gentleman à la race pure voit reflétée en lui la pureté de son sang,

La prostituée, l’homme qui insulte, l’homme en colère, le mendiant se

     retrouvent dans ses manières, il les transmue bizarrement,

Ils ne sont plus vulgaires tout à coup, ils voient à peine qu’ils ont été grandis.

 

2

Les indications, les comptes chiffrés du temps,

La perfection mentale désignent le maître parmi les philosophes,

Le temps lui-même, qui ne s’interrompt jamais, s’indique dans la moindre de

     ses parties.

Pour le poète, l’indication est dans la compagnie nombreuse, plaisante des

     chanteurs, leurs paroles,

Les paroles des chanteurs sont les heures, les minutes de la lumière ou de la 

     nuit, mais les mots des compositeurs de poèmes sont le jour la nuit

     universels

Le compositeur de poèmes élabore la justice, la réalité, l’immortalité,

Son pouvoir de comprendre en profondeur englobe les choses, la race humaine,

Il est la lumineuse extraction des choses et de la race humaine.

 

Les chanteurs ne créent pas, le Poète seul crée,

Les chanteurs sont aimés, compris, font des apparitions fréquentes, mais rare

     est le jour, rare le lieu de la naissance du compositeur de poèmes, le Grand

     Répondant.

(Ce ne sont pas tous les siècles ni même un siècle sur cinq qui comptent un tel

     jour, malgré la multitude des noms.)

 

Les chanteurs des heures séculaires successives ont certes des noms

     ostensibles, mais le nom de chacun d’entre eux est le nom d’un de leur

     troupe,

Leurs noms à chacun sont chanteur-œil, chanteur-oreille, chanteur-tête, doux-

     chanteur, chanteur-nuit, chanteur-parloir, chanteur-amour, chanteur-bizarre

     ou ainsi de suite.

 

L’époque entière, toutes les époques attendent les mots des vrais poèmes,

Les mots des vrais poèmes ne plaisent pas toujours,

Les vrais poètes ne recherchent pas la beauté, que fréquentes les maîtres

     augustes de la beauté ;

La grandeur des fils exsude de la grandeur des mères et des pères,

Les mots des poèmes vrais sont le couronnement et l’applaudissement final de

     la science.

 

Instinct divin, ampleur de la vision, loi de la raison, santé, âpreté du corps,

     réserve,

Gaieté, hâle solaire, douceur de l’air, sont quelques-uns des mots du poème.

 

Derrière le compositeur de poèmes, le Grand Répondant, il y a le marin et le

     voyageur,

Le bâtisseur, le géomètre, le chimiste, l’anatomiste, le phrénologue, l’artiste,

     tous sont derrière le compositeur de poèmes, le Grand Répondant.

 

Les mots des vrais poèmes donnent plus que le poème.

Ils donnent le pouvoir de former à soi-même son propre poème, sa religion, sa

     politique, sa guerre, sa paix, son comportement, son histoire, ses essais, sa

     vie de tous les jours et le reste,

Ils permettent d’équilibrer rang, couleur, race, croyance, et sexe

Ils ne recherchent pas la beauté, on les cherche,

Les touche de très près, les suit de très près la beauté, éperdue de désir, malade

     d’amour.

 

Ils préparent à la mort, ils ne sont pourtant pas le final mais plutôt le départ,

Ils ne conduisent personne, homme, femme, à son terminus, ni à sa plénitude

     satisfaite,

Celui celle qu’ils prennent ils l’emmèneront dans l’espace voir la naissance des

     étoiles, apprendre l’un des multiples sens,

Se lancer dans le vide avec une foi absolue, voyager à travers les anneaux

     éternels sans plus jamais se reposer.

 

 

Notre antique feuillage

 

Encore et toujours notre antique feuillage !

Encore et toujours la verte presqu’île de la Floride – encore et toujours

     l’incomparablement précieux delta de la Louisiane – encore et toujours les

     champs de coton de l’Alabama et du Texas,

Encore et toujours les collines aux vallons dorés de la Californie, les

     montagnes argentées du Nouveau-Mexique – encore et toujours Cuba à

     l’haleine suave,

Encore et toujours l’immense pente asséchée de ses rivières par l’océan du

     Sud, indissociable des pentes que drainent de leurs eaux les mers de l’Est

     et de l’Ouest

Et la superficie territoriale totale, les trois millions et demi de milles carrés, en

         cette quatre-vingt-troisième année de nos Etats,

Les dix-huit mille milles de rivage maritime, côtes incluses avec leurs baies,

     les trente mille milles de voies navigables,

Les sept millions de familles particulières en leur nombre égal de demeures –

     toujours et encore ces chiffres, ces données mais aussi bien davantage,

     l’infini réseau aux milliers de rameaux bifurquant

Toujours et encore le libre parcours de la diversité – toujours le continent de la

     Démocratie ;

Toujours les prairies, les pâtures, les forêts, les cités immenses, les voyageurs,

     le Kanada, les cimes enneigées,

Toujours le pacte solidaire maintenant entre elles les terres aux hanches par une

     chaîne d’énormes lacs ovales,

Toujours l’Ouest ses indigènes de personnalité vigoureuse, sa densité

    démographique montante, l’accueil amical, ironique, menaçant de l’habitant,

    son mépris envers l’envahisseur,

La totalité des scènes, au sud, au nord, à l’est – la totalité des actes accomplis à

     chaque minute dans la proximité domestique,

La totalité des caractères, mouvements, évolutions inédits par milliers car seule

    une petite quantité sera connue,

Moi qui vais à l’instant marchant par les rues de Mannahatta, récoltant toute

     cette moisson,

Cependant que dans le même temps, aux rivières intérieures, tous ces vapeurs

     sont en train de faire provision nocturne de bois à la lumière éblouissante du

     pin qui brûle,

Et que le soleil inonde ailleurs de jour les vallées de la Susquehanna, du

     Potomac et du Rappahannock comme les vallées de la Roanoke et du

     Delaware,

Et que dans leurs antres du Grand Nord les bêtes de proie rôdent aux pentes des

     Adirondacks ou boivent en lapant l’eau de la Saginaw,

Tandis qu’au détour d’un courant solitaire un petit morillon, qui a perdu sa

     bande se laisse balancer par l’eau silencieusement,

Et que dans les granges les bœufs à l’étable, retour du labour, se reposent eux

     aussi d’une extrême fatigue,

Et que sur la calotte de glace arctique la femelle morse assoupie laisse ses

     veaux jouer autour d’elle,

Le faucon que ses ailes portent dans l’air plus haut que l’homme, les mers

     glaciaires tout au sommet du Pôle, leurs rides d’eau cristalline libre de la

     prison des glaces,

Les giclements de l’écume blanche giflant l’étrave du navire qui court au-

     devant de la tempête,

L’action des hommes sur la terre ferme à l’heure où les cloches de la ville

     sonnent toutes ensemble minuit,

Les bois primitifs au fond desquels résonnent d’autres musiques, hurlements de

     loups, rugissements de panthère, beuglement rauque de l’élan.

Et puis, que l’on voit nager l’hiver sous la glace ferme bleutée du lac

     Moosehead, l’été dans la limpidité de l’eau, la truite géante,

Et puis qui plane dans l’air chaud à latitude plus basse des deux Carolines la

     grande buse noire, dominant la cime des arbres,

Plus bas encore le cèdre rouge, festonné des lianes du tylandria, les pins, les

     cyprès poussant racine dans les immense plaines de sable blanc.

Les canots en bois grossier filant sur le courant du Pedee, la végétation

     grimpante, parasites aux fleurs et baies bigarrées enveloppant d’énormes

     troncs,

Les draperies oscillantes du chêne-liège aux lianes très basses très longues par

     terre, balancées sans bruit par le vent,

Un campement de chariots en Géorgie, à l’instant la nuit vient de tomber, les

     feux chauffent les viandes du souper, Noirs et Blancs mangent ensemble,

Trente ou quarante grands chariots sont là, mules, vaches, chevaux boivent à

     des auges,

Ombres et lueurs jouent sous les feuilles des vieux sycomores, les flammes

     montent des bûches de pin dans une volute d’épaisse fumée noire ;

Au sud, criques et détroits du rivage de la Caroline du Nord, des pêcheurs y

     pêchent l’ombre ou le hareng par de grands filets plats à poulies mues

     depuis la terre par des chevaux, ensuite on nettoie, on vide, on entasse le

     poisson.

Tout au fond des forêts de pins le térébinthe coule aux entailles incisées dans

     les troncs, c’est une véritable industrie.

Les ouvriers y sont des Noirs éclatant de santé, les aiguilles de pin matelassent

    le sol alentour,

Tennessee et Kentucky, des esclaves travaillent aux veines minières, aux

     forges, aux hauts fourneaux, aux batteuses à grain,

Le fils du planteur revient chez lui après une longue absence, c’est en Virginie,

     l’accueil fait au prodigue est joyeux, la mulâtresse qui fut sa nourrice

     l’étreint contre son sein, comme elle a vieilli !

Sur la rivière les canotiers ont mis sagement leurs barques à l’ancre contre la

     rive dès la tombée de la nuit.

Les plus jeunes dansent au son du banjo ou du crincrin, d’autres sont assis au

     plat-bord, fument tranquillement, bavardent ;

Tard dans l’après-midi, écoutons chanter l’oiseau-moqueur, l’historien

     d’Amérique, dans le Marécage du Grand Désespoir,

Couleur verdâtre de l’eau, des résineux embaument dans une luxuriance de

     mousses, de cyprès et de genévriers ;

Plus au nord une compagnie de jeunes tireurs de Mannahatta rentre d’excursion

     dans le soir tombant, bouquet de fleurs fiché au canon de chaque mousquet

     - un cadeau des femmes ;

Des enfants jouent, un petit garçon dort sur les genoux de son père (voyez le

     mouvement de ses lèvres, comme il sourit dans son sommeil !) ;

Un éclaireur patrouille à cheval dans les plaines à l’ouest du Mississippi, il

     gravit la pente d’un tertre pour mieux scruter l’espace alentour ;

 

En Californie à présent ! aux côtés du mineur barbu vêtu de son grossier

     costume, ah ! l’inébranlable camaraderie californienne, la douceur de l’air,

     mais aussi ces tombes solitaires que l’on rencontre sur le bord du chemin

     où va le cheval ;

Retour au Texas des champs de coton, des huttes pours Noirs, des

     conducteurs de mules ou d’attelages de bœufs traînant un malheureux

     chariot, des balles de coton empilées sur talus et quais ;

Et qui encercle tout, et qui infuse tout à la vitesse de l’éclair, l’Âme de

     l’Amérique aux hémisphères équilibrés, l’un d’Amour, l’autre

    d’Expansion qu’on nomme Orgueil ;

En arrière-plan la conférence de paix avec les Iroquois aborigènes, le calumet,

     la pipe de la bonne entente, l’arbitrage, les garanties,

La première fumée expirée par le Sachem l’est dans la direction du soleil, la

     seconde dans celle de la terre,

Puis vient la spectaculaire représentation de la danse du scalp, visages peints

     cris gutturaux,

Une équipe part sur le sentier de la guerre, longue marche à pas silencieux,

File indienne, haches tournoyant au-dessus de la tête, on massacre les ennemis

     par surprise,

Oui les actes, scènes, mœurs, individus, coutumes de nos Etats, réminiscences,

     institutions,

Notre compact d’Etats, jusque dans la plus anonyme de ses mille carrés ne

     souffrant pas la moindre exception,

Moi dedans, courant pour mon plaisir par les sentiers et la campagne, les

     champs de Paumanok,

Suivant attentivement des yeux le vol en spirale haut dans l’air de deux petits

      papillons jaunes frôlement frottement d’ailes,

Suivant la fusée hirondelle, tueuse d’insectes, dans son voyage d’automne au

     sud comme dans son précoce retour printanier vers le nord,

 

Et le garçon bouvier qui ramène son troupeau de vaches à la tombée de la nuit,

     les harcèle de cris alors qu’elles musardent pour brouter l’herbe du talus,

Puis voici les quais de Boston, Philadelphie, Baltimore, Charleston, La 

     Nouvelle-Orléans, San-Francisco,

D’où s’en vont tous ces bateaux dont les marins s’activent au cabestan ;

Puis vient le soir – j’ai regagné ma chambre au coucher du soleil,

Une moribonde lumière d’été inonde l’embrasure de ma fenêtre, éclairant un

     essaim de moucherons suspendu en l’air au centre de la pièce, dont l‘ombre

     se projette selon qu’il monte ou descend en petits points furtifs sur la

     lumineuse paroi opposée ;

Puis voici devant un auditoire nombreux une athlétique Américaine, femme

     d’expérience, elle s’exprime en public,

Il y a là des hommes, des femmes, des immigrés, masse aussi bien

     qu’individualité, tout et tous ont leur place – hommes d’argent,

Usines, machines, forces de travail, poulie, levier, grue, garanties absolues,

Garanties d’espace, d’accroissement, de liberté, d’avenir,

L’espade avec ses sporades, ses archipels d’îles, ses étoiles – avec ses

     continents de terre ferme, les autres terres, ma terre,

Oui, vous qui êtes au plus intime de mon cœur, terres ! qu’importe votre

     forme je vous intègre dans mes poèmes à mon gré, je me fonds en vous sans

     vraiment vous connaître,

Car je m’en vais de mon vol lourd de mouette, là-bas au sud, crier parmi les

     myriades de mouettes qui hivernent en Floride,

A moins que je ne dévale, n’écume et ne bondisse en riant avec les eaux

     printanières de l’Arkansas, du Rio Grande, du Nueces, du Brazos,  du

     Tombigbee, de la Red River, de la Saskatchewan ou de l’Osage,

Ou bien ne m’en aille aux sables du Nord, à Paumanok, dans quelque baie

     d’eau peu profonde, me mêler à des familles de hérons échassiers blanc de

     neige arpentant la grève en quête de vers lombrics ou d’algues aquatiques,

Ou bien ne regagne mon nid d’un sifflement triomphal, moi martin-pêcheur

     tout fier d’avoir transpercé le corbeau de mon bec, quels trilles mon

     triomphe !

Ou bien avec la troupe d’oies sauvages migratrices n’atterrisse à l’automne

     aux prairies, le gros de la troupe se repaît cependant que cou tendu en

     alerte circulent autour les sentinelles bientôt relayées par d’autres sentinelles

     - je fais comme elles, je mange puis je prends mon tour de garde,

Ou bien encore, élan avec l’élan de la forêt kanadienne – il a la taille d’un

     bœuf, les chasseurs l’acculent, d’un ultime effort il s’est dressé sur ses

     pattes arrière et, corne coupante comme une lame il charge sabots en avant

     - je ne fasse comme lui, les chasseurs m’ont coincé, je n’ai plus de choix, je 

     charge contre eux,

Mais voici enfin Mannahatta, ses rues, ses jetées, son fret, ses grands magasins,

     la foule innombrable de tous ceux qui oeuvrent au commerce,

Car je suis de Mannahatta, c’est là que mon poème est né, je me contiens tout

     en moi-même comme en elle mon île me contient,

Donc je dis le poème de nos et mes Etats à jamais Unis – part à part mon corps

     n’est pas plus solidairement uni en son identité faite d’un millier d’apports

     multiples que mes terres états-uniennes ne sont solidairement unies en leur

     UNIQUE IDENTITE ;

Naissances, climats, herbe pastorale des Grandes Plaines

Cités, ouvrages, mort, animaux, produits, guerres, biens et mal – eux ensemble,

Eux me fournissent détail par détail l’antiquité de mon feuillage d’Amérique,

     donc puis-je faire moins que de leur passer la clé de notre union, que de

     vous procurer la clé de notre union ?

Comment pourrais-je en effet ne pas vous faire cadeau de mes feuilles divines,

     qui que vous soyez, vous empêchant d’avoir la même éligibilité que moi ?

Comment pourrais-je ne pas vous inviter par la force de mes chants à cueillir

    par vous-mêmes des bouquets de nos incomparables feuilles états-uniennes ?

 

 

Traduit de l’anglais par Jacques Darras

In, Walt Whitman : « Feuilles d’herbes »

Editions Gallimard (Poésie), 2002

Du même auteur :

 Descendance d’Adam / Children of Adam (27/01/2015)

Chanson de moi-même / Song of myself (28/01/2017)

Drossé au sable / Sea - drift (25/07/2017)

Départ à Paumanok / Starting from Paumanok (28/01/2018)

Envoi / Inscriptions (28/01/2019)

Calamus (28/01/2020)

Salut au monde ! (28/01/2021)

Chanson de la piste ouverte /Song of the open road (28/01/2022)

Sur le bac de Brooklyn / Crossing Brookling ferry (31/07/2022)

Chanson des joies / A song of joys (28/01/2024)

 

 

Song of the answerer

 

1

 

NOW list to my morning's romanza, I tell the signs of the Answerer,

To the cities and farms I sing as they spread in the sunshine before me.

 

 

A young man comes to me bearing a message from his brother,

How shall the young man know the whether and when of his brother?

Tell him to send me the signs.

 

 

And I stand before the young man face to face, and take his right

     hand in my left hand and his left hand in my right hand,

And I answer for his brother and for men, and I answer for him that answers for all,

     and send these signs.

 

Him all wait for, him all yield up to, his word is decisive and final,

Him they accept, in him lave, in him perceive themselves as amid light,

Him they immerse and he immerses them.

Beautiful women, the haughtiest nations, laws, the landscape, people, animals,

The profound earth and its attributes and the unquiet ocean, (so tell I my morning's   

     romanza,)

All enjoyments and properties and money, and whatever money will buy,

The best farms, others toiling and planting and he unavoidably reaps,

The noblest and costliest cities, others grading and building and he domiciles there,

Nothing for any one but what is for him, near and far are for him, the ships in the

     offing,

The perpetual shows and marches on land are for him if they are for anybody.

 

He puts things in their attitudes,

He puts to-day out of himself with plasticity and love,

He places his own times, reminiscences, parents, brothers and sisters, associations,

     employment, politics, so that the rest never shame them afterward, nor assume

     to command them.

 

He is the Answerer,

What can be answer'd he answers, and what cannot be answer'd he shows how it

     cannot be answer'd.

 

A man is a summons and challenge,

(It is vain to skulk—do you hear that mocking and laughter? Do you hear the

     ironical echoes?)

 

Books, friendships, philosophers, priests, action, pleasure, pride, beat up and down

     seeking to give satisfaction,

He indicates the satisfaction, and indicates them that beat up and down also.

 

Whichever the sex, whatever the season or place, he may go freshly and gently and

     safely by day or by night,

He has the pass-key of hearts, to him the response of the prying of hands on the

     knobs.

 

His welcome is universal, the flow of beauty is not more welcome or universal

     than he is,

The person he favors by day or sleeps with at night is blessed.

Every existence has its idiom, every thing has an idiom and tongue,

He resolves all tongues into his own and bestows it upon men, and any man

     translates, and any man translates himself also,

One part does not counteract another part, he is the joiner, he sees how they join.

 

He says indifferently and alike How are you friend? to the President at his levee,

And he says Good-day my brother, to Cudge that hoes in thesugar-field,

And both understand him and know that his speech is right.

 

He walks with perfect ease in the capitol,

He walks among the Congress, and one Representative says to another, Here is our

     equal appearing and new.

 

Then the mechanics take him for a mechanic,

And the soldiers suppose him to be a soldier, and the sailors that he has follow'd

     the sea,

And the authors take him for an author, and the artists for an artist,

And the laborers perceive he could labor with them and love them,

No matter what the work is, that he is the one to follow it or has follow'd it,

No matter what the nation, that he might find his brothers and sisters there.

 

 

The English believe he comes of their English stock,

A Jew to the Jew he seems, a Russ to the Russ, usual and near, removed from none.

 

Whoever he looks at in the traveler's coffee-house claims him,

The Italian or Frenchman is sure, the German is sure, the Spaniard is sure, and the

     island Cuban is sure,

The engineer, the deck-hand on the great lakes, or on the Mississippi or St.

     Lawrence or Sacramento, or Hudson or Paumanok sound, claims him.

 

 

The gentleman of perfect blood acknowledges his perfect blood,

The insulter, the prostitute, the angry person, the beggar, see themselves in the

     ways of him, he strangely transmutes them,

They are not vile any more, they hardly know themselves they are so grown.

 

2

 

The indications and tally of time,

Perfect sanity shows the master among philosophs,

Time, always without break, indicates itself in parts,

What always indicates the poet is the crowd of the pleasant company of singers,

     and their words,

The words of the singers are the hours or minutes of the light or dark, but the

     words of the maker of poems are the general light and dark,

The maker of poems settles justice, reality, immortality,

His insight and power encircle things and the human race,

He is the glory and extract thus far of things and of the human race.

 

The singers do not beget, only the Poet begets,

The singers are welcom'd, understood, appear often enough, but rare has the day

     been, likewise the spot, of the birth of the maker of poems, the Answerer,

(Not every century nor every five centuries has contain'd such a day, for all its

     names.)

 

The singers of successive hours of centuries may have ostensible names, but the

     name of each of them is one of the singers,

The name of each is, eye-singer, ear-singer, head-singer, sweetsinger, night-singer,

     parlor-singer, love-singer, weird-singer, or something else.

 

All this time and at all times wait the words of true poems,

The words of true poems do not merely please,

The true poets are not followers of beauty but the august masters of beauty;

The greatness of sons is the exuding of the greatness of mothers and fathers,

 The words of true poems are the tuft and final applause of science.

 

Divine instinct, breadth of vision, the law of reason, health, rudeness of body,

     withdrawnness,

Gayety, sun-tan, air-sweetness, such are some of the words of poems.

 

The sailor and traveler underlie the makers of poems, the Answerer,

The builder, geometer, chemist, anatomist, phrenologist, artist, all these underlie

     the maker of poems, the Answerer. 

 

The words of the true poems give you more than poems,

They give you to form for yourself poems, religions, politics, war, peace, behavior,

     histories, essays, daily life, and every thing else,

They balance ranks, colors, races, creeds, and the sexes,They do not seek beauty, they are sought,

Forever touching them or close upon them follows beauty, longing, fain, love-sick. 

 

They prepare for death, yet are they not the finish, but rather the outset,

They bring none to his or her terminus or to be content and full,

Whom they take they take into space to behold the birth of stars, to learn one of the

     meanings,

To launch off with absolute faith, to sweep through the ceaseless rings and never

     be quiet again.

Our old feuillage

 

ALWAYS our old feuillage!

Always Florida's green peninsula—always the priceless delta of Louisiana —

     always the cotton-fields of Alabama and Texas,

Always California's golden hills and hollows, and the silver mountains of New

     Mexico—always soft-breath'd Cuba,

Always the vast slope drain'd by the Southern sea, inseparable with the slopes

     drain'd by the Eastern and Western seas,

The area the eighty-third year of these States, the three and a half millions of

     square miles,

The eighteen thousand miles of sea-coast and bay-coast on the main, the thirty

     thousand miles of river navigation,

The seven millions of distinct families and the same number of dwellings—always

     these, and more, branching forth into numberless branches,

Always the free range and diversity—always the continent of Democracy;

Always the prairies, pastures, forests, vast cities, travelers, Kanada, the snows;

Always these compact lands tied at the hips with the belt stringing the huge oval

      lakes;

Always the West with strong native persons, the increasing density there, the

     habitans, friendly, threatening, ironical, scorning invaders;

All sights, South, North, East—all deeds, promiscuously done at all times,

All characters, movements, growths, a few noticed, myriads unnoticed,

Through Mannahatta's streets I walking, these things gathering,

On interior rivers by night in the glare of pine knots, steamboats wooding up,

Sunlight by day on the valley of the Susquehanna, and on the valleys of the Potomac

     and Rappahannock, and the valleys of the Roanoke and Delaware,

In their northerly wilds beasts of prey haunting the Adirondacks the hills, or

     lapping the Saginaw waters to drink,

In a lonesome inlet a sheldrake lost from the flock, sitting on the water rocking

     silently,

In farmers' barns oxen in the stable, their harvest labor done, they rest standing,

     they are too tired,

Afar on arctic ice the she-walrus lying drowsily while her cubs play around,

The hawk sailing where men have not yet sail'd, the farthest polar sea, ripply,

     crystalline, open, beyond the floes,

White drift spooning ahead where the ship in the tempest dashes,

On solid land what is done in cities as the bells strike midnight together,

In primitive woods the sounds there also sounding, the howl of the wolf, the

     scream of the panther, and the hoarse bellow of the elk,

In winter beneath the hard blue ice of Moosehead lake, in summer visible through

     the clear waters, the great trout swimming,

In lower latitudes in warmer air in the Carolinas the large black buzzard floating

     slowly high beyond the tree tops,

Below, the red cedar festoon'd with tylandria, the pines and cypresses growing out

     of the white sand that spreads far and flat,

Rude boats descending the big Pedee, climbing plants, parasites with color'd

     flowers and berries enveloping huge trees,

The waving drapery on the live-oak trailing long and low, noiselessly waved by the

     wind,

The camp of Georgia wagoners just after dark, the supper-fires and the cooking

     and eating by whites and negroes,

Thirty or forty great wagons, the mules, cattle, horses, feeding from troughs,

The shadows, gleams, up under the leaves of the old sycamoretrees, the flames

     with the black smoke from the pitch-pine curling and rising;

Southern fishermen fishing, the sounds and inlets of North Carolina's coast, the

     shad-fishery and the herring-fishery, the large sweep-seines, the windlasses on

      shore work'd by horses, the clearing, curing, and packing-houses;

Deep in the forest in piney woods turpentine dropping from the incisions in the

     trees, there are the turpentine works,

There are the negroes at work in good health, the ground in all directions is cover'd

     with pine straw;

In Tennessee and Kentucky slaves busy in the coalings, at the forge, by the

     furnace-blaze, or at the corn-shucking,

In Virginia, the planter's son returning after a long absence, joy fully welcom'd and

     kiss'd by the aged mulatto nurse,

On rivers boatmen safely moor'd at nightfall in their boats under shelter of high

     banks,

Some of the younger men dance to the sound of the banjo or fiddle, others sit on

     the gunwale smoking and talking;

Late in the afternoon the mocking-bird, the American mimic, singing in the Great

     Dismal Swamp,

 There are the greenish waters, the resinous odor, the plenteous moss, the cypress-

     tree, and the juniper-tree;

Northward, young men of Mannahatta, the target company from an excursion

      returning home at evening, the musket-muzzles all bear bunches of flowers

     presented by women;

Children at play, or on his father's lap a young boy fallen asleep, (how his lips

     move! how he smiles in his sleep!)

The scout riding on horseback over the plains west of the Mississippi,

     he ascends a knoll and sweeps his eyes around;

California life, the miner, bearded, dress'd in his rude costume, the stanch

     California friendship, the sweet air, the graves one in passing meets solitary just

     aside the horse-path;

Down in Texas the cotton-field, the negro-cabins, drivers driving mules or oxen

     before rude carts, cotton bales piled on banks and wharves;

Encircling all, vast-darting up and wide, the American Soul, with equal

     hemispheres, one Love, one Dilation or Pride;

In arriere the peace-talk with the Iroquois the aborigines, the calumet, the pipe of

     good-will, arbitration, and indorsement,

The sachem blowing the smoke first toward the sun and then toward the earth,

The drama of the scalp-dance enacted with painted faces and guttural

     exclamations,

The setting out of the war-party, the long and stealthy march,

The single file, the swinging hatchets, the surprise and slaughter of enemies;

All the acts, scenes, ways, persons, attitudes of these States, reminiscences,

     institutions,

All these States compact, every square mile of these States without excepting a

     particle;

Me pleas'd, rambling in lanes and country fields, Paumanok'sfields,

Observing the spiral flight of two little yellow butterflies shuffling between each

     other, ascending high in the air,

The darting swallow, the destroyer of insects, the fall traveler southward but

     returning northward early in the spring,

The country boy at the close of the day driving the herd of cows and shouting to

     them as they loiter to browse by the roadside,

The city wharf, Boston, Philadelphia, Baltimore, Charleston, New Orleans, San

     Francisco,

The departing ships when the sailors heave at the capstan;

Evening—me in my room—the setting sun,

The setting summer sun shining in my open window, showing the swarm of flies,

     suspended, balancing in the air in the centre of the room, darting athwart, up

      and down, casting swift shadows in specks on the opposite wall where the shine

     is;

The athletic American matron speaking in public to crowds of listeners,

Males, females, immigrants, combinations, the copiousness, the individuality of the

     States, each for itself—the moneymakers,

Factories, machinery, the mechanical forces, the windlass, lever, pulley, all

     certainties,

The certainty of space, increase, freedom, futurity,

In space the sporades, the scatter'd islands, the stars—on the firm earth, the lands,

     my lands,

O lands! all so dear to me—what you are, (whatever it is,) I putting it at random in

     these songs, become a part of that, whatever it is,

Southward there, I screaming, with wings slow flapping, with themyriads of gulls

     wintering along the coasts of Florida,

Otherways there atwixt the banks of the Arkansaw, the Rio Grande, the Nueces,

     the Brazos, the Tombigbee, the Red River, the Saskatchawan or the Osage, I

     with the spring waters laughing and skipping and running,

Northward, on the sands, on some shallow bay of Paumanok, I with parties of

     snowy herons wading in the wet to seek worms and aquatic plants,

Retreating, triumphantly twittering, the king-bird, from piercing the crow with its

     bill, for amusement—and I triumphantly twittering,

The migrating flock of wild geese alighting in autumn to refresh themselves, the

     body of the flock feed, the sentinels outside move around with erect heads

     watching, and are from time to time reliev'd by other sentinels—and I feeding

and taking turns with the rest,

In Kanadian forests the moose, large as an ox, corner'd by hunters, rising

     desperately on his hind-feet, and plunging with his fore-feet, the hoofs as sharp

     as knives—and I, plunging at the hunters, corner'd and desperate,

In the Mannahatta, streets, piers, shipping, store-houses, and the countless

     workmen working in the shops,

And I too of the Mannahatta, singing thereof—and no less in myself than the

     whole of the Mannahatta in itself,

Singing the song of These, my ever-united lands—my body no more inevitably

     united, part to part, and made out of a thousand diverse contributions one

     identity, any more than my lands are inevitably united and made ONE

      IDENTITY;

Nativities, climates, the grass of the great pastoral Plains, Cities, labors, death,

     animals, products, war, good and evil — these me,

These affording, in all their particulars, the old feuillage to me and to America,

      how can I do less than pass the clew of the union of them, to afford the like to

     you?

Whoever you are! how can I but offer you divine leaves, that you also be eligible

     as I am?

How can I but as here chanting, invite you for yourself to collect bouquets of the

     incomparable feuillage of these States?

 

 

Leaves of Grass

David Mc Kay,Publisher, Philadelphia, 1891–92

 

Poème précédent en anglais :

Lawrence Ferlinghetti : Un Coney Island de l’esprit (16 – 123) / A Coney Island of the mind (16 – 23) (19/01/2023)

Poème suivant en anglais :

Elizabeth Barrett Browning : « Si pour toi je quitte tout... » / « If I leave all for thee... » (25/02/2023)

 

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