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Le bar à poèmes
23 janvier 2023

André Breton (1896 – 1966) : « Toujours pour la première fois... »

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Toujours pour la première fois

C’est à peine si je te connais de vue

Tu rentres à telle heure de la nuit dans une maison oblique à ma fenêtre

Maison tout imaginaire

C’est là que d’une seconde à l’autre

Dans le noir intact

Je m’attends à ce que se produise une fois de plus la déchirure fascinante

La déchirure unique

De la façade et de mon cœur

Plus je m’approche de toi

En réalité

Plus la clé chante à la porte de la chambre inconnue

Où tu m’apparais seule

Tu es d’abord tout entière fondue dans le brillant

L’angle fugitif d’un rideau

C’est un champ de jasmin que j’ai contemplé à l’aube sur une route des environs

     de Grasse

Avec ses cueilleuses en diagonale

Derrière elles l’aile sombre tombante des plants dégarnis

Devant elles l’équerre de l’éblouissant

Le rideau invisiblement soulevé

Rentrent en tumulte toutes les fleurs

C’est toi aux prises avec cette heure trop longue jamais assez trouble jusqu’au

     sommeil

Toi comme si tu pouvais être

La même à cela près que je ne te rencontrerai peut-être jamais

Tu fais semblant de ne pas savoir que je t’observe

Merveilleusement je ne suis plus sûr que tu le sais

Ton désœuvrement m’emplit les yeux de larmes

Une nuée d’interprétations entoure chacun de tes gestes

C’est une chasse à la miellée

Il y a des rocking-chairs sur un pont il y a des branchages qui risquent de

      t’égratigner dans la forêt

Il y a dans une vitrine rue Notre-Dame-de-Lorette

Deux belles jambes croisées prises dans de hauts bas

Qui s’évasent au centre d’un grand trèfle blanc

Il y a une échelle de soie déroulée sur le lierre

Il y a

Qu’à me pencher sur le précipice

De la fusion sans espoir de ta présence et de ton absence

J’ai trouvé le secret

De t’aimer

Toujours pour la première fois

 

 

L’air de l’eau

Editions des Cahiers d’art, 1934

Du même auteur :

Union libre 17/(01/2014)

Ode à Charles Fourier (23/01/2015)

Plutôt la vie (23/01/2016)

Les écrits s’en vont (23/01/2017)

La lanterne sourde (23/01/2018)

« On me dit que là-bas... »  (23/01/2019)

Le verbe être (23/01/2020)

« J’aimerais n’avoir jamais commencé... » (23/01/2021)

« Dites-moi où s’arrêtera la flamme... » (23/01/2022)

Tournesol (23/01/2024)

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