Cao Pi (ou Ts’ao Pi ) / 曹丕 (187-225) : Deux chansons de yen
Deux chansons de Yen (1)
I
Le vent d’automne siffle, siffle,
En fait fraîchir le temps.
Il secoue, il abat herbes et feuilles ;
Déjà la rosée gèle.
Un grand vol d’hirondelles nous quitte et rentre en son pays ;
Au Sud volent les oies.
Je pense à vous, ô lointain exilé ;
La tristesse me brise...
Si la nostalgie vous assiège,
Et l’amour du pays,
Pourquoi, Seigneur, tant prolonger
Votre lointaine absence ?
Votre servante, solitaire,
Garde sa chambre vide.
Je m’inquiète en pensant à vous,
Comment vous oublier ?
A mon insu, mes larmes coulent,
Mouillant mes vêtements.
Je prends mon luth, pince mes cordes,
Lance des notes claires ;
Mon chant reste court, ma voix basse
Je m’arrête sans force.
Un clair de lune éblouissant
Inonde notre lit.
Le fleuve d’Astres coule à l’ouest ;
La nuit est encore noire.
Le Bouvier et la Tisserande
Se regardent de loin.
Avez-vous aussi mérité
Qu’un fleuve nous sépare ?
II
Il est aisé de se quitter,
Difficile de se retrouver !
Au loin, par-delà monts et fleuves,
Routes interminables,
L’angoisse au cœur, je pense à vous,
Et je ne puis parler.
Je confie un mot aux nuages ;
Ils s’en vont sans retour.
Les larmes sillonnent mes joues ;
Ma beauté se flétrit.
Qui pourrait, accablé de peine,
Retenir ses soupirs ?
Je me chante des vers à moi-même,
Pour tenter de me consoler.
Mais la joie me quitte, et la peine
Vient me briser le cœur.
Je m’étends, pensive, obsédée.
Sans trouver le sommeil.
Alors je me rhabille et sors,
Marche de-ci de-là...
Je regarde les étoiles, la lune ;
J’observe les nuages.
Un oiseau chante dans l’aurore ;
Sa voix est pitoyable.
Je m’attarde, et désire, et souffre...
Je ne puis plus trouver la paix.
(1) Yen est un pays de la Chine ancienne qui correspond en gros à l’actuelle province du
Ho-pei (ou Hebei). C’est aussi le même caractère qui désigne le pays de Yen et l’hirondelle.
Traduit du chinois par Robert Ruhlmann
in, « Anthologie de la poésie chinoise classique »
Editions Gallimard (Poésie) 1962
La chanson de yen
Lugubre est le vent d’automne, frais le temps.
Arbres et plantes secoués se dépouillent, rosée devient givre.
Hirondelles nous quittent, oies sauvages retournent vers le Sud.
La pensée du voyageur brise mon cœur.
Si le regret du pays natal vous afflige,
Pourquoi vous attarder sur un sol étranger
Tandis que seule, je garde notre demeure vide ?
Jamais absent de mes tristes pensées,
Pour vous d’inconscientes larmes mouillent ma robe.
Sur mon luth, je donne la note Shang.
A voix basse je ne chante qu’une brève chanson.
La blanche lune éclaire mon lit,
Les étoiles passent vers l’ouest, la nuit continue.
Même si éloignés, le bouvier et la Fileuse se contemplent (1),
Pourquoi le pont de la rivière ne retient-il que vous seul ?
(1) Ces deux étoiles (Altaïr et Véga) symbolisent les amants séparés. Selon la légende, elles se réunissent pourtant une fois par an, le septième jour de la septième lune, grâce à un pont que des corbeaux font avec leurs ailes au-dessus de la voie lactée.
Traduit du chinois par Patricia Guillermaz
In, « La poésie chinoise des origines à la révolution »
Editions Gérard & C° (Marabout Université), Verviers (Belgique)