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Le bar à poèmes
8 avril 2022

Rutebeuf (1230 – 1285) : La pauvreté Rutebeuf / La povreté Rutebeuf

Rutebeuf[1]

 

La pauvreté Rutebeuf

 

Je ne sais par où je commence

tant j’ai de matière abondance

pour parler de ma pauvreté.

Pour Dieu, vous prie, franc roi de France

de me donner quelque chevance (*),                         (*) ressources

vous ferez grande charité.

J’ai vécu de l’argent d’autrui

que l’on m’a prêté à crédit.

Maintenant chacun se refuse,

on me sait pauvre et endetté.

Vous avez quitté le royaume,

vous qui portiez mon espérance.

 

Entre vie chère et ma famille

qui n’est malade ni finie

je n’ai plus ni deniers ni gages.

On est adroit pour m’éconduire

mais pour me donner mal enseigné :

de garder son bien on est sage.

La mort m’a causé grands dommages

et vous, bon roi, en deux voyages

vous avez emmené les braves

en ce lointain pèlerinage

de Tunis qui est lieu sauvage

de la mâle race infidèle.

 

Grand roi, si je vous prie en vain,

avec tous il en fut de même,

il me faut vivre et je n’ai rien ;

nul ne m’aide, nul ne me baille,

je tousse de froid, de faim bâille,

j’en suis mort et tout malmené.

Je suis sans couettes et sans lit ;

n’est si pauvre jusqu’à Senlis.

Sire, je ne sais où aller ;

mes flancs connaissent le paillis,

et lit de paille n’est pas lit,

et dans mon lit il n’est que paille.

 

Sire, je vous fais assavoir :

je n’ai de quoi avoir du pain.

A Paris, parmi tous les biens

il n’en est aucun qui soit mien.

J’en vois beaucoup et j’en prend peu ;

je me souviens plus de saint Paul (1)

que de n’importe quel apôtre ;

Bien sais « PATER » non ce qui est « notre »

car vie chère m’a tout ôté

et si bien vidé ma maison

que le « credo (2) » m’est interdit :

je n’ai que ce que vous voyez.

 

(1)  Jeu de mots, Pou signifiant Paul et peu

(2)  Jeu de mots, credo signifiant aussi crédit

 

Traduit du vieux français par Serge Wellens

in, Revue « Poésie 1, N°7 »

Librairie Saint-Germain-des-Prés, éditeur, 1969

Du même auteur :

Le dit des ribauds de grève / Le diz des ribaux de greive (08/04/2019)

La grièche d’hiver / La griesche d'yver (08/04/20)

La grièche d’été  / la griesche d’este (08/04/2021)

Le mariage Rutebeuf / Le mariage Rustebuef (08/04/2023)

La complainte Rutebeuf  (1à 3) (08/04/2024)

 

Je ne sai par ou je coumance,

Tant ai de matyere abondance

Por parleir de ma povretei.

Por Dieu vos pri, frans rois de France,

Que me doneiz queilque chevance,

Si fereiz trop grant charitei.

J'ai vescu de l'autrui chatei

Que hon m'a creü et prestei :

Or me faut chacuns de creance,

C'om me seit povre et endetei.

Vos raveiz hors dou reigne estei,

Ou toute avoie m'atendance.

 


Entre chier tens et ma mainie,

Qui n'est malade ne fainie,

Ne m'ont laissié deniers ne gages

Gent truis d'escondire arainie

Et de doneir mal enseignie :

Dou sien gardeir est chacuns sages

Mors me ra fait de granz damages;

Et vos, boens rois, en deus voiages

M'aveiz bone gent esloignie,

Et li lontainz pelerinages

De Tunes, qui est leuz sauvages,

Et la male gent renoïe.

 


Granz rois, c'il avient qu'a vos faille,

A touz ai ge failli sans faille.

Vivres me faut et en est failliz;

Nuns ne me tent, nuns ne me baille.

Je touz de froit, de fain baaille,

Dont je suis mors et maubailliz.

Je suis sanz coutes et sanz liz,

N'a si povre juqu'a Sanliz.

Sire, si ne sai quel part aille.

Mes costeiz connoit le pailliz,

Et liz de paille n'est pas liz,

Et en mon lit n'a fors la paille.

 


Sire, je vos fais a savoir,

Je n'ai de quoi do pain avoir.

A Paris sui entre touz biens,

Et si n'i a nul qui i soit miens.

Pou i voi et si i preig pou;

Il m'i souvient plus de saint Pou

Qu'il ne fait de nul autre apotre.

Bien sai Pater, ne sai qu'est notre,

Que li chiers tenz m'a tot ostei,

Qu'il m'a si vuidié mon hostei

Que li credo m'est deveeiz,

Et je n’ai plus que vos veeiz.

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