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Le bar à poèmes
29 mars 2022

Lorand Gaspar (1925 – 2019) : Genèse

Gaspar-New-York-1978-JG-carré[1]Lorand Gaspar à New York, 1978. © Jacqueline Gaspar

 

Genèse

 

1

A l’eau sombre qui là-bas recueille

le vert ferment d’une aube sur terre –

à l’eau qui va riant dans les pierres

dissiper la ferveur des images –

à la goutte d’eau claire dans mon œil

mémoire d’une aveugle fraîcheur

quand l’âme vérifie le désert –

 

A ce qui me dit indivis et fluide

chant levé dans l’essor du chant

essaim de lueurs que rien n’interrompt

mots et gestes brefs tissés dans l’ouvert –

 

Sur la rive rêche et endolorie

fruits tombés que décompose la mer

lambeaux de brume, pansements jetés.

 

2

Clairière d’esprit dans le corps du matin

brûlé distraitement par les feux de midi –

 

ainsi la chapelle chaulée frais des îles

et la craie fluide d’un dieu qui dessine

 

la route incalculable d’un goéland

tout le blanc entre les mots que gardait ta voix

 

et les fruits, ô les fruits que tant de déserts,

de nudité promettaient au marcheur

 

comme ils se replient doucement dans l’ombre !

comme leurs pigments étincellent dans la gorge !

 

3

L’ampleur des pistes aux marches de l’espace

distances et promesses ont tenu dans un dé

 

d’une soif de parler les miettes tendrement

mêlées à l’herbe rare en Judée au printemps –

 

Pourtant ce regard –

Le petit jour dénudé de ses feuilles

l’être-ici cinglant des choses touchées

cailloux de la voix dans l’eau d’une source –

 

4

Hésiter, trembler, frêles images du temps.

Le dur noyau de peser, de pourrir

et ce bruit de source sans origine

d’un coup d’aile déplié dans l’esprit du vent !

la hâte qu’avions d’entendre dans nos voix

la muette origine de parole –

 

nous reste à présent l’humble labeur d’épeler

ce qui de plus simple s’échange dans nos vies –

 

5

Que d’effervescence dans les broussailles !

Comme la poussée des sèves est simple

qui dans les boucles emmêlées délivre

le tracé des doigts d’une mélodie –

 

Et c’est déjà la porosité du soir

au flanc dénudé des pierres à genoux

 

dans l’odeur qui traîna longtemps

sur une herbe sèche, les cailloux

 

paroles d’un jour près du jasmin,

des mots vieux, oubliés, frileux

 

qui neigent doucement sur le monde,

dans le jaillir sans nom de l’étendue

 

la force tranquille d’être là des choses

la respiration d’à peine une couleur

 

quand tu avances dans la poussière

de tant de visages innominés.

 

6

Ici, quelqu’un, des jours, des années,

écouta le bruissement de ses doigts

mêlés à la paille d’un mur de torchis –

quelqu’un d’assis gluant encore dans sa nuit,

dans la pourpre de l’Archange à la table d’Abraham –

un matin d’hiver dans sa robe plissée

la pudeur alluma ses lampes dans les pores –

un flocon d’évidence est percé à blanc

dans le visage qui voit tout à coup –

 

7

Quelqu’un avance dans la poudre d’icônes

dans la farine jaunie des baisers du monde

et ses jambes sont ivres d’un vin lucide

que sa fatigue a tiré des ronces et des craies.

 

Un couteau a brillé au jardin de nageoires –

âme sans écailles jetée sur les pierres

son odeur d’herbes fraîchement coupées –

mais encore et encore le ressac broie

 

le duvet des ailes dans les cailloux

nous parle à bout de souffle du malheur

et la voix à jamais étonnée perfuse

l’épaisseur de sa trame décousue.

 

8

Ce qui se tait d’un silence infini

dans l’ajustement un jour des syllabes –

 

la barque au large écoute ses racines

où bat le sang d’une nuit sans visage

 

puis une fois encore c’est matin

le frôlement d’une aile sur les eaux –

 

9

Comme un jardin plein de tâtonnements.

De fruit en fruit, de soleil en soleil

la marche enflait. Où se brisait la vague

le dessin mis à nu enseignait le désir

d’aller à la sève des corps et des pensées.

 

Franchir océans et déserts

comme si le silence d’être ici savait

se savait porteur bref de clarté indivise –

 

10

tant de rumeur de ton corps que tu n’as su dire

tant de pensées qui furent sans mots

 

lueurs d’abîme et cet autre silence

dans la rugueuse lumière au matin

 

et quand tombe le soir, cet autre jour des fonds

qui fermente aux flanc nus des montagnes désertes

 

parle-nous clarté vêtue de mille images,

ombres profondes, clavier de nos âmes,

que ta voix brille au cœur même du néant,

que l’écho sans fond tourne nos visages

lavés de la peur vers plus d’acquiescement –

 

Patmos et autres poèmes

Gallimard éditeur, 2001

Du même auteur :

La maison près de la mer, II (29/03/2016)

Patmos (29/03/2017)

Nuits (29/03/2018)

La maison près de la mer, I (29/03/2019)

Amandiers (29/03/2020)

Sidi-Bou-Saïd / Raouad / Linaria (29/03/2021)

Sefar (07/09/2022)

Nuits et neiges (29/03/2023)

Poèmes d’été à Sidi-Bou-Saïd 07/09/2023)

Fantaisie chromatique (29/03/2024)

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