Monchoachi (1946 -) : L’eau (I-V)
L’eau
Ecoute l’eau,
Ecoute l’eau et sache écouter,
Connais au rythme fondal-natal,
Entends la mesure du sein même de la démesure,
Entends le jaillissement, le surgissement,
Entends la parole, connais la jubilation,
Entends ce qui coule, s’écoule, bondit, murmure, ruisselle, retourne,
Connais ce qui inonde,
Connais « ce qui contente et apaise le désir »,
Connais la fraîcheur
Apprends la sensibilité, la fluidité
Connais la fécondité,
Connais « au commun »,
Sache le don,
Connais la vie, l’onde, le flux, le reflux,
Sache la mort,
Ecoute mais vois comment
Impatiemment l’enfant du ciel vient habiter la terre,
Ecoute la danse des pieds menus
Le talon de l’Albinos dans la glaise...
I
La grande parole salue l’eau
Certains déjà foulaient la glaise vers l’autre rive,
d’autres, sous les eaux, passaient à travers les arceaux
Dans la bouche une perle bleue
chacun une perle bleue entre les lèvres.
Sonnaient trompes de bois noir
trompes d’ivoire,
Les Trois tambours-aisselle,
et parmi, l’antique séele
de peau batracien tendu
Comme un sein frondeur annonce de beaux désastres
fit les premiers rythmes entendre
des mains palmées l’orage.
Et les crapauds chantaient
tout comme au premier jour du monde :
la souveraine c’est l’eau
la souveraine c’est l’eau
Douze vaches fertiles avec leur veau,
l’eau jusqu’au cou,
Douze étalons sortis de mer
remontant le cours du fleuve jusqu’au lac,
Miroirs scintillants,
innombrables yeux,
l’Un est là
tout s’y meut
tout s’en émeut,
Ombres chatoyantes dessus le flot,
ombres dansantes dans le ressaut,
Ciel gris-bleu et
paysages vert sombre
beauté paisible,
Les cieux flottent dessus les eaux,
l’oiseau cacao sur l’eau étire ses attaches,
Le ciel au lit se berce,
l’un sur l’autre s’appuient,
Joncs couchés sur l’eau,
fins ramages,
La houle lascive murmure dans la fosse,
dans la fosse les deux cent albinos,
Dans la fosse le silure à peau gluante,
les trois déesses Eau dans la profondeur dansent,
Les houes fouillent dans les meules,
Belles à la peau très lisse,
Belles aux membres ronds,
Eaux apaisantes dans les vestibules du plaisir,
eaux faites pour apaiser, pour apporter la paix,
augmenter choses,
Grandeur silencieuse emplit la cour du secret,
Bouche du ciel ouverte,
bras tendu,
Reins dans herbes rouges,
pilon contre voûte,
Les ouvertures s’ouvrent,
La grande parole salue l’eau,
fend les vagues,
sépare les eaux boueuses,
fixe les bornes aux flots,
Même au lieu de halage :
A présent, le cri de joie.
II
Beltés au vide se bercent
Dans les joncs : tranquillité, fraîcheur,
flegme et rythme.
L’eau monte, vers le ciel pousse la tige,
Corps de la déesse parsemé d’étoiles
Voix du Lointain dans l’eau versent
au vide les beltés se bercent,
Jardins d’ombres et reflets luisants,
plantes, serpents, poissons entre les cornes,
Dans la corne, huile à oindre,
dans la corne, le kaolin,
Rêves peints, fraîcheur
rêves près des sources fraîches,
inépuisables,
aspergés dri dleau,
nourris riz noir,
blancs cauris
Jeunes filles aux doigts effilés,
pourvoyeuses de brume
filles aux longs cils
belles comme l’hirondelle
dans l’eau des marais ;
Lianes et oiseaux rizières susurrant sous feuillages :
« Mâle-fimelle, mâle-fimelle », pieds tounen lenvè,
Vastes cours d’eau gayobélé et mare aux pintades,
dessus, reflets, lys, lotus,
pagnes raphia,
vase noire des rives
Clapotis dessous oliviers,
bancs argentés sillonnant pâturages,
Lumière gris-verdâtre dans eau glaireuse,
Bois flottants,
rêves flottants,
spirales noyées dans la brume,
Spirales moirées
et contre, la sueur des dieux,
Toujours de derrière submergent, paumes tendues,
pluie quartz et eaux fraîches
images sans bouche,
nourris riz noir
blancs cauris
Et toutes les parures,
eaux futures depuis premier ruissellement,
Et puis les rhombes,
Régir confins et splendeurs,
épaule contre épaule, scander,
concilier souffles ;
Mouvements réguliers nageoires et queues palmées,
Quat’ saisõnnes pour inspecter confins,
navettes incessantes le long des rigoles,
Branle des quatre lèvres,
œil tambou entre dans la grotte
doux bercement de houle,
et au fond l’afflux,
somptueux pâturages tout au fond,
Lait, miel, pierres précieuses,
colonnes sombres aspergées de lait,
La grande barque racle à la rive,
« colonnes d’attente du passage » ouvertes
Comme ouvertes ce devait en rêve
par-dessus l’étrave porter le flot
Oh ! Joie, ça, meĩnme.
III
L’albinos aux étangs
L’enfant c’est de l’eau, les jumeaux des oiseaux
Veillant les yeux baissés la demeure colorée de la fille vierge.
Un roseau à côté du corps
l’herbe éparpillée qui a poussé dans l’eau
Sur la tête, un bouquet de chibowa :
Serpent lové dans la boue du marigot
cochon sauvage dans les sources vautré, O très Assoiffé
Faune dans les cornes d’antilope une à une souffle
l’albinos aux étangs souterrains se désaltère :
eau versée juque déborde des sillons
détourne les herbages des champs,
Igname bocantée contre ninoufar
Offrande quatre feuilles ègbési
sacrifice du bélier noir.
Peaux noires brillantes, rythmées
ongle médian contre coquillage
Ongle médian contre dos gounouille
ongle médian sur lapeau python,
Roulant hanches,
chatoient comme miroirs,
Belles choses brillantes entourées de joncs
longues mamelles sur l’eau,
Grandeur paisible, beaux arbres à lait,
attirent toute la lumière,
Et sur le gué à présent tout le long,
front contre front, proue contre proue,
réunies les deux rives,
pieu amarrage planté
dérive bac au mouillage,
Bruissent feuillages touffus contre coques,
contre coque contrechant grelots,
dans le ressac à petits sauts,
mousse blanche jusque soit tarie,
mollement dégouline contre
coques,
doux clapotis contre coques ;
Puis barque tirant le long des rives
vers l’échancrure boréale,
pérégrine dans les replis,
tumulte, tapage dans les enfoncements,
gouvernail aux bassins moelleux,
Avant par les jumeaux conduite, barboter parmi les roseaux,
pister empreintes oiseaux ;
Images montrées des lèvres en fond trous dleau,
comme après rêve-pluie, croissant lune,
Enfant-serpent couvert coiffe,
Et Maîtresse Splendeur dans l’aval étendue,
comme après la mêlée, l’onde,
comme après le désir, la joie.
IV
L’enfant qui enfanta la mère
Rhombes de la rose des vents,
belle colline aux trois palmiers,
La belle surnommée « la Belle »
au-dessous, fleuves et lagunes.
Dans l’eau miroise l’enfant qui enfanta la mère,
les seize quartiers du ciel
sur le corps divin de Yémaya,
Grâce du saisissement, charmes,
figures amenées par le hasard
comme aux rives d’Enjillé jetées ouvertes aux signes,
coquilles et noix kola des femmes-mules.
La belle surnommée « la Belle » miroise, se balance,
masque réfléchi, grave, paisible
abandonnée au flot,
la fameuse colline où poussent trois palmiers
la fameuse, et au-dessous l’eau
vide qui agrée, fonts baptismaux.
Le reflet se balance, va
une rive l’autre
le Lointain n’est jamais loin « tout bien pesé »
les dieux existent dans l’eau
le ciel est dans l’eau
dans l’eau le paradis,
sous les feuillages, bassins d’inondation,
Rafraichissent et apaisent les vestibules du plaisir,
De la salive le charme fécondant
et par-dessus, les sortilèges
la bouche où « la Belle » se balance
d’une rive à l’autre
les deux rives, les tréfonds des eaux
d’une rive à l’autre, les herbes tranchantes
les feuilles sauvages bien drues
la berge qui rabroue vers l’autre berge les eaux clapoteuses,
ici le dieu-accroupi, l’animal sacré,
le bossu qui ouvre le bon chemin parmi les feuilles.
Remonté le fil de l’eau :
dans le miroisement le paradis,
le jeu subtil des reflets,
l’ivresse du reflet,
l’ensorcellement des sons,
l’absolue légèreté,
Paraître-disparaître
Le masque,
Le laisser-apparaître
L’unité de tout,
La piété en tout.
Remonté le fil de l’eau,
petits morceaux de glaise, le bélier gras
le sein maternel,
la paix dans le corps, la paix dans la cour.
V
Fraîcheur et vie
« Même fleuve, eaux toujours nouvelles ».
La voix court sur les eaux
paroles transmises d’un dieu à un dieu
héritage magique, commencement des flots
avec légèreté soyeuse
même que
même que graminée fanée du lalang ;
Eau limpide, harmonie grave aigu,
que n’assombrisse la bonne humeur des esprits.
Disparaître-devenir, disparaître comme l’écume
laissant maison
ouvertes portes et fenêtres
Beauté assise jambes écartées :
nid oiselet
ailes solsouris
touffes herbes lalang salive
gueule requin béante.
Que grenouille renouvelle et multiplie
Châme.
Ô, cela qui palpite comme brin de lune
la rouge rouge érythrine
et dessous le gazouillis de l’initié
La petite antilope qui grimpe grimpe au divin palmier,
Qu’humide toujours soit la natte vénérable,
le chiendent, les prémices près de la source,
Que tambours et taurillons soient aspergés d’eau fraîche,
Que la caresse du serpent creuse le sable
tête et queue python dans enclos
agite grelots qu’ils se vident ;
« L’eau du grand marais coule dans la rivière
derrière collines
secret
parmi les feuilles
Qu’elles soit fraîche la demeure aux parois lisses,
a-t-elle ébranlé la foudre, la petite chôye soyeuse ?
A -t-elle couvert la gounouille de plaies, la pierre de meule ?
Lui a-t-on enlevé sa peau sur le fleuve,
S’est-il prosterné devant la porte de la cité d’Abydos,
A-t-il passé entre les épineux,
Est-il entré dans la concession ?
Etait-il fier, impatient ?
Le charme :
d’abord simple gateau mil,
d’abord gateau mil mélangé
feuilles liãne réglisse crasé
puis gateau mil, feuilles liãne réglisse
et miel ensouite ;
et feuille-yãnm pour aller puiser l’eau.
Puis charme jaculatoire à voix basse (trois fois)
Trois fois près les affaires,
tout au bord mait’ zaffai,
dans l’entre-jambe.
Et des chantées obscènes,
Ouaïe - Ouaïe
Man kèy lélé-é-y
Man kèy lélé kalakou-a
Ô la loi de l’enclos !
Est qu’ouverte soit la voie de l’abreuvage, le chemin de la fécondité,
Vitamtènam
dans la lumière de l’arche les eaux du monde.
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Partition noire et bleue (Lémisté 2)
Editions Obsidiane, 2015
Du même auteur :
Manteg (26/02/2021)
L’eau (VI-IX) (19/08/2022)
Le lointain (X) (26/02/2023)
Le réel / Le jeu (XI – XV) (19/08/2023)