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Le bar à poèmes
4 juillet 2021

Anna Akhmatova : / Анна Ахматова (1889 - 1966) : Tout au bord de la mer / У самого моря

200px-Modigliani78[1]Dessin de Modigliani, 1911

 

Tout au bord de la mer

 

1

Les baies découpaient la côte basse,

Toutes les voiles s’enfuyaient vers la mer ;

Moi, je faisais sécher ma tresse,

Chargée de sel, sur une pierre plate

A plus d’une verste de la terre.

Un poisson vert s’approchait de moi,

Une mouette blanche me rendait visite,

Et j’étais hardie, méchante et gaie.

Et je ne savais pas que c’est là le bonheur.

J’enfouissais ma robe jaune dans le sable

Pour que ne puissent l’emporter

Ni le souffle du vent, ni un vagabond.

Et je nageais jusqu’à la haute mer,

J’y restais, bercée par les sombres vagues chaudes.

Quand je revenais, un phare, à l’est,

Faisait déjà briller sa lumière changeante.

Un moine me disait, aux portes de Chersonèse :

« Pourquoi vas-tu vagabonder la nuit ? »

 

Les voisins le savaient : j’ai le don,

Je sens la présence de l’eau.

Quand ils creusaient un nouveau puits,

Ils m’appelaient, pour que je trouve un bon endroit.

Ceux qui y travaillaient ne perdaient pas leur temps.

Je ramassais les balles françaises,

Comme d’autres les champignons ou les myrtilles.

Je rapportais chez moi dans le pan de ma robe

Des morceaux tout rouillés de lourdes bombes.

Et, fâchée, je disais à ma sœur :

« Quand je serai impératrice,

Je construirai six cuirassés

Et autant de canonnières,

Pour surveiller toutes les baies jusqu’à Fiolent. »

Et le soir devant mon lit,

Je priais la petite icône sombre,

Pour que la grêle épargne les cerises,

Pour qu’on prenne un très gros poisson

Et pour que le rusé vagabond

Ne remarque pas ma robe jaune.

 

J’étais amie avec les pêcheurs.

Souvent sous une barque renversée

J’étais avec eux pendant les averses,

Je les écoutais parler de la mer, je retenais tout,

J’avais foi, mystérieusement, en chaque mot.

Les pêcheurs s’étaient habitués à moi.

Si je n’étais pas sur le quai,

Le plus vieux envoyait une fillette me chercher,

Et elle criait : « Ils sont revenus !

On va faire griller de la barbue. »

 

Il y avait un grand garçon aux yeux gris,

Plus jeune que moi de six mois.

Il m’apporta des roses blanches,

Des roses blanches au parfum de muscade,

Et il me demanda humblement :

« Puis-je m’asseoir avec toi sur les cailloux ? »

Je ris : « Des roses ? à moi ? pourquoi ?

Elles piquent, et c’est tout ! » Il répondit :

« Mais alors que faut-il que je fasse,

Puisque je suis amoureux de toi ? »

Je me suis vexée. J’ai demandé :

« Nigaud ! Qui es-tu ? Un fils de roi ? »

C’était un grand garçon aux yeux gris,

Plus jeune que moi de six mois.

« Je veux me marier avec toi,

Dit-il, bientôt je serai un homme

Et je t’emmènerai dans le Nord...»

Et le grand garçon pleurait,

Parce que je ne voulais pas de roses,

Ni d’un voyage dans le Nord.

Je l’ai consolé, mais assez mal :

« Réfléchis, je vais être reine,

Qu’ai-je à faire d’un mari comme toi ?

- Alors je me ferai moine,

Dit-il, chez vous, à Chersonèse.

- Tu ne devrais pas ; les moines

Ne font rien d’autre que mourir.

Il y a toujours un enterrement, tu sais,

Quand on y va, et ils ne pleurent pas. »

 

Il est parti sans dire adieu, le garçon,

Avec des roses au parfum de muscade.

Et je l’ai laissé partir.

Je ne lui ai pas dit : « Reste avec moi. »

Et le chagrin secret de la séparation

Gémissait comme une mouette blanche

Sur la steppe grise où poussait l’absinthe,

Sur Khorsoum, la déserte, la morte.

 

2

Les baies découpaient la côte basse,

Un soleil brumeux sombrait dans la mer.

Une gitane sortit de la caverne,

Elle me fit signe du doigt :

« Pourquoi vas-tu nu-pieds, la belle ?

Bientôt tu seras heureuse et riche.

Avant Pâques tu auras de la visite,

Un beau monsieur que tu salueras ;

Ce n’est pas ta beauté, ce n’est pas ton amour

Qui l’attireront, c’est ta chanson. »

J’ai donné à la gitane une chaînette

Et la croix d’or de mon baptême.

Je pensais, toute heureuse : « Le voilà,

C’est le premier message qu’il m’envoie. »

Inquiète, j’ai cessé d’aimer

Toutes mes baies et mes cavernes ;

Je ne faisais plus peur aux vipères dans les joncs ;

Je ne rapportais plus de crabes pour le souper,

J’allais dans le ravin du Sud,

Au-delà des vignes, dans la carrière.

Le chemin n‘était pas court.

Et souvent une fermière, installée

Nouvellement, me faisait signe,

M’appelait de loin : « Viens nous voir ! »

Ils disent tous que tu portes bonheur. »

Je répondais : « Ce qui porte bonheur,

C’est un fer à cheval, ou la lune nouvelle,

Quand elle vous regarde sur la droite. »

Je n’aimais pas entrer chez les gens.

Des vents secs soufflaient de l’est,

De grosses étoiles tombaient dans le ciel,

Dans la petite église on disait la messe

Pour les marins partis en mer,

Des méduses envahissaient la baie,

Pareilles aux étoiles tombées pendant la nuit,

On les voyait toutes bleues sous l’eau.

Le cri des grues dans le ciel,

Le crépitement inquiet des cigales,

Le chant triste de la femme délaissée,

Je retenais tout ; j’avais l’ouïe fine ;

Mais je ne savais pas la chanson

Qui aurait fait rester le fils de roi.

Souvent je voyais en rêve une fille

Avec des bracelets étroits, une robe courte,

Une cornemuse blanche dans ses mains fraiches.

Assise tranquillement, elle me regarde,

Ne me demande pas pourquoi j’ai du chagrin,

Ne me dit pas un mot de son propre chagrin,

Se contente de me caresser doucement l’épaule.

Comment le fils du roi me reconnaîtra-t-il ?

Se rappelle-t-il les signes qu’on a dits ?

Qui lui montrera notre vielle maison ?

Notre maison n’est pas loin de la route.

 

L’automne fait place à un hiver pluvieux ;

Dans ma chambre blanche la fenêtre

Laisse passer l’air. Le lierre

Se balance sur le mur du jardin.

Des chiens inconnus sont venus dans la cour,

Ils ont hurlé jusqu’au matin sous ma fenêtre.

C’était pour mon cœur un moment pénible.

Je murmurais, en regardant la porte :

« Seigneur, nous saurons régner sagement,

Nous construirons près de la mer

De grandes églises et de très hauts phares.

Nous protègerons l’eau et la terre,

Et nous n’offenserons personne. »

 

3

Soudain la sombre mer à nouveau fut douce ;

Les hirondelles revinrent dans leur nid,

La terre fut rouge de pavots,

La joie apparut sur le rivage.

L’été arriva une nuit.

Nous n’avions pas vu de printemps.

J’avais tout à fait cessé de craindre

Que ma destinée manque à s’accomplir.

Le soir, à la fête des Rameaux,

Je dis à ma sœur en rentrant de l’église :

« Je laisserai pour toi à la maison

Mon chapelet, mon cierge, et notre bible.

Dans une semaine, ce sera Pâques,

Il est temps pour moi de partir,

Le fils du roi est déjà en chemin,

Il va venir, par mer, me chercher. »

Sans rien dire, ma sœur s’étonnait ;

Elle ne faisait que soupirer, se rappelant, sans doute,

Ce qu’avait dit la gitane près de la caverne.

« T’apportera-t-il un collier

Et des bagues avec des pierres bleues ? »

-Non, disais-je, nous ne savons pas

A quel cadeau il a pensé pour moi. »

 

Ma sœur et moi avions le même âge,

Nous nous ressemblions tellement

Que, quand nous étions petites,

Maman ne pouvait nous distinguer

Que grâce à nos grains de beauté.

Depuis toujours ma sœur

Etait incapable de marcher ;

Elle restait couchée comme une poupée de cire ;

Elle ne se fâchait contre personne

Et elle brodait son suaire.

Même en rêvant elle pensait à son travail ;

Je l’entendais qui murmurait :

« Le manteau de la Vierge sera bleu...

Mon Dieu, pour l’apôtre saint-Jean,

Je ne sais où trouver les perles

Qui figureront ses larmes... »

Dans la cour poussaient la menthe et l’arroche,

Un ânon broutait l’herbe près de la porte,

Sur un long fauteuil de paille,

Léna reposait, les bras écartés,

S’ennuyait de ne pas travailler ;

C’est un péché que de prendre de la peine

Un jour de fête comme celui-là.

Le vent salé nous apportait

De Chersonèse le carillon de Pâques.

Chaque son résonnait jusqu’au coeur,

Vibrait dans les veines avec le sang.

Je dis à ma sœur : « Lénotchka,

Je vais sur le bord de la mer.

Si le fils du roi vient me chercher,

Explique-lui le chemin.

Qu’il me rattrape dans la steppe,

Je veux aujourd’hui voir la mer.

- Où as-tu entendu la chanson

Qui fera venir le fils du roi ? »

Demandait ma sœur, les yeux entrouverts.

« Tu ne vas jamais en ville

Et ce n’est pas ces chansons-là qu’on chante ici. »

Me penchant tout près de son oreille,

Je murmurai : « Tu sais, Léna,

C’est moi qui ai inventé la chanson,

Et c’est la plus belle du monde. »

Elle ne me crut pas, et longtemps,

Elle se tut d’un air de reproche.

 

4

Le soleil était au fonds du puits,

Les scolopendres se chauffaient sur les pierres,

Le chardon bleu s’enfuyait,

Courbé comme un pantin bossu,

Et le ciel, très haut, était bleu

Comme le manteau de la Vierge,

Jamais je ne l’avais vu si bleu.

A partir de midi les yachts légers faisaient la course ;

Des filles en blanc, oisives, se regroupaient

Près du bastion de Constantin.

On le voyait bien : le vent leur convenait.

Moi, j’allais doucement, le long de la baie, vers le cap.

Vers les rochers noirs, brisés, aigus,

Couverts d’écume à l’heure de la marée,

Et je répétais ma nouvelle chanson.

Je le savais : le fils du roi,

En quelque compagnie qu’il se trouve,

Entendrait ma voix, serait ému,

Et c’est pourquoi chaque mot que je chantais

M’était cher comme un présent du bon Dieu.

Le yacht de tête n’avançait pas, il volait,

Le second le rattrapait,

On voyait à peine les autres.

 

Pourquoi je me suis couchée

Au bord de l’eau ? J’ai oublié.

Comment je me suis endormie ? Je ne sais pas.

Simplement je me suis réveillée

Et j’ai vu : une voile

Faseyait, toute proche. Devant moi

Plongé jusqu’à la ceinture dans l’eau limpide,

Un immense vieillard fouille avec les mains

Les fentes profondes des rochers sur le rivage,

D’une voix rauque il appelle au secours.

A haute voix je dis alors ma prière,

Comme on m’avait appris quand j’étais petite,

Pour écarter les rêves terribles,

Pour que le malheur n’entre pas dans la maison.

Je dis seulement : « C’est Toi qui nous gardes ! »

Je vois soudain dans les mains du vieillard

Quelque chose de blanc ; mon cœur se serre...

Le marin souleva celui qui pilotait

Le plus ailé, le plus joyeux des yachts,

Et le déposa sur les pierres sombres.

 

Longtemps je n’osai en croire mes yeux,

Je me mordais les doigts, pour me réveiller :

Mon doux fils de roi au teint mat,

Couché à terre, regardait le ciel.

Ces yeux plus verts que la mer,

Plus sombres que nos cyprès,

Je les voyais s’éteindre...

J’aurais dû plutôt naître aveugle.

Il gémit, puis cria confusément :

« Hirondelle, hirondelle, j’ai mal ! »

Sans doute il m’a prise pour un oiseau.

 

Au crépuscule je suis revenue chez moi.

Tout était calme dans la chambre sombre,

La lampe faisait une lumière

Haute, étroite, couleur de framboise.

« Le fils du roi n’est pas venu,

Dit Léna, qui avait entendu mon pas.

Je l’ai attendu jusqu’aux vêpres

Et j’ai envoyé les enfants sur le quai.

Il ne reviendra jamais me chercher,

Il ne reviendra jamais, Léna.

Mon fils de roi est mort aujourd’hui. »

Ma sœur fit longtemps des signes de croix,

Tournée vers le mur, elle se taisait.

Je devinai que Léna pleurait.

 

J’entendais : on chantait pour le fils du roi :

« Christ est ressuscité d’entre les morts. »

L’église ronde était illuminée

D’une lumière indicible.

1914

 

Traduit du russe par Jean-Louis Backès

In, Anna Akhmatova « Requiem, Poème sans héros et autres poèmes »

Editions Gallimard (Poésie), 2007

De la même autrice :

Epilogue, I / эпилог, I (04/07/2015)  

Troisième élégie (04/07/2016)

Solitude / Уединение (04/07/2017)

« Les uns échangent des caresses ... » (04/07/2018)

Premier avertissement / Первое предупреждение (04/07/2019)

« Nous ne boirons pas dans le même verre... / « Не будем пить из одного стакана... » (03/07/2020)

Jardin d’été / Летний сад (04/07/2022)

A la mémoire de Boris Pasternak /Смерть поэта (04/07/2023)

 


У самого моря

 

1

 

Бухты изрезали низкий берег,

Все паруса убежали в море,

А я сушила соленую косу

За версту от земли на плоском камне.

Ко мне приплывала зеленая рыба,

Ко мне прилетала белая чайка,

А я была дерзкой, злой и веселой

И вовсе не знала, что это - счастье.

В песок зарывала желтое платье,

Чтоб ветер не сдул, не унес бродяга,

И уплывала далеко в море,

На темных, теплых волнах лежала.

Когда возвращалась, маяк с востока

Уже сиял переменным светом,

И мне монах у ворот Херсонеса

Говорил: "Что ты бродишь ночью?"

 

Знали соседи - я чую воду,

И, если рыли новый колодец,

Звали меня, чтоб нашла я место

И люди напрасно не трудились.

Я собирала французские пули,

Как собирают грибы и чернику,

И проносила домой в подоле

Осколки ржавые бомб тяжелых.

И говорила сестре сердито:

"Когда я стану царицей,

Выстрою шесть броненосцев

И шесть канонерских лодок,

Чтобы бухты мои охраняли

До самого Фиолента".

А вечером перед кроватью

Молилась темной иконке,

Чтоб град не побил черешен,

Чтоб крупная рыба ловилась

И чтобы хитрый бродяга

Не заметил желтого платья.

 

Я с рыбаками дружбу водила.

Под опрокинутой лодкой часто

Во время ливня с ними сидела,

Про море слушала, запоминала,

Каждому слову тайно веря.

И очень ко мне рыбаки привыкли.

Если меня на пристани нету,

Старший за мною слал девчонку,

И та кричала: "Наши вернулись"

Нынче мы камбалу жарить будем".

 

Сероглаз был высокий мальчик,

На полгода меня моложе,

Он принес мне белые розы,

Мускатные белые розы,

И спросил меня кротко: "Можно

С тобой посидеть на камнях?"

Я смеялась: "На что мне розы?

Только колются больно!" - "Что же, -

Он ответил, - тогда мне делать,

Если так я в тебя влюбился".

И мне стало обидно: "Глупый! -

Я спросила. - Что ты - царевич?"

Это был сероглазый мальчик,

На полгода меня моложе.

"Я хочу на тебе жениться, -

Он сказал, - скоро стану взрослым

И поеду с тобой на север..."

Заплакал высокий мальчик,

Оттого что я не хотела

Ни роз, ни ехать на север.

 

Плохо я его утешала:

"Подумай, я буду царицей,

На что мне такого мужа?"

"Ну, тогда я стану монахом, -

Он сказал, - у вас в Херсонесе".

"Нет, не надо лучше: монахи

Только делают, что умирают.

Как приедешь - одного хоронят,

А другие, знаешь, не плачут".

Ушел не простившись мальчик,

Унес мускатные розы,

И я его отпустила,

Не сказала: "Побудь со мною".

А тайная боль разлуки

Застонала белой чайкой

Над серой полынной степью,

Над пустынной, мертвой Корсунью.

 

 

2

Бухты изрезали низкий берег,

Дымное солнце упало в море,

Вышла цыганка из пещеры,

Пальцем меня к себе поманила:

"Что ты, красавица, ходишь боса?

Скоро веселой, богатой станешь.

Знатного гостя жди до Пасхи,

Знатному гостю кланяться будешь;

Ни красотой твоей, ни любовью, -

Песней одною гостя приманишь".

Я отдала цыганке цепочку

И золотой крестильный крестик.

Думала радостно: "Вот он, милый,

Первую весть о себе мне подал".

 

 

Но от тревоги я разлюбила

Все мои бухты и пещеры;

Я в камыше гадюк не пугала,

Крабов на ужин не приносила,

А уходила по южной балке

За виноградники в каменоломню, -

Туда не короткой была дорога.

И часто случалось, что хозяйка

Хутора нового мне кивала,

Кликала издали: "Что не заходишь?

Все говорят - ты приносишь счастье".

Я отвечала: "Приносят счастье

Только подковы на новый месяц,

Если он справа в глаза посмотрит".

В комнаты я входить не любила.

 

Дули с востока сухие ветры,

Падали с неба крупные звезды,

В нижней церкви служили молебны

О моряках, уходящих в море,

И заплывали в бухту медузы,

Словно звезды, упавшие за ночь,

Глубоко под водой голубели.

Как журавли курлыкают в небе,

Как беспокойно трещат цикады,

Как о печали поет солдатка,

Все я запоминал чутким слухом,

Да только песни такой не знала,

Чтобы царевич со мной остался.

Девушка стала мне часто сниться

В узких браслетах, в коротком платье,

С дудочкой белой в руках прохладных.

Сядет, спокойная, долго смотрит,

И о печали моей не спросит,

И о печали своей не скажет,

Только плечо мое нежно гладит.

Как же царевич меня узнает,

Разве он помнит мои приметы?

Кто ему дом наш старый укажет?

Дом наш совсем вдали от дороги.

 

Осень сменилась зимой дождливой,

В комнате белой от окон дуло,

И плющ мотался по стенке сада.

Приходили на двор чужие собаки,

Под окошком моим до рассвета выли.

Трудное время для сердца было.

Так я шептала, на двери глядя:
"

 

Боже, мы мудро царствовать будем,

Строить над морем большие церкви

И маяки высокие строить.

Будем беречь мы воду и землю,

Мы никого обижать не станем".

3

 

Вдруг подобрело темное море,

Ласточки в гнезда свои вернулись,

И сделалась красной земля от маков,

И весело стало опять на взморье.

За ночь одну наступило лето, -

Так мы весны и не видали.

И я совсем перестала бояться,

Что новая доля минет.

А вечером в Вербную субботу,

Из церкви придя, я сестре сказала:

"На тебе свечку мою и четки,

Библию нашу дома оставлю.

Через неделю настанет Пасха,

И мне давно пора собираться, -

Верно, царевич уже в дороге,

Морем за мной он сюда приедет".

Молча сестра на слова дивилась,

Только вздохнула, помнила, верно,

Речи цыганкины у пещеры.

"Он привезет тебе ожерелье

И с голубыми камнями кольца?"

"Нет, - я сказала, - мы не знаем,

Какой он подарок мне готовит".

 

Были мы с сестрой однолетки

И так друг на друга похожи,

Что маленьких нас различала

Только по родинкам наша мама.

С детства сестра ходить не умела,

Как восковая кукла лежала;

Ни на кого она не сердилась

И вышивала плащаницу,

Бредила даже во сне работой;

Слышала я, как она шептала:

"Плащ Богородицы будет синим...

Боже, апостолу Иоанну

Жемчужин для слез достать мне негде..."

 

Дворик зарос лебедой и мятой,

Ослик щипал траву у калитки,

И на соломенном длинном кресле

Лена лежала, раскинув руки,

Все о работе своей скучала, -

В праздник такой грешно трудиться.

И приносил к нам соленый ветер

Из Херсонеса звон пасхальный.

Каждый удар отдавался в сердце,

С кровью по жилам растекался.

"Леночка, - я сестре сказала, -

Я ухожу сейчас на берег.

Если царевич за мной приедет,

Ты объясни ему дорогу.

Пусть он меня в степи нагонит.

Хочется на море мне сегодня".

"Где же ты песенку услыхала,

Ту, что царевича приманит? -

Глаза приоткрыв, сестра спросила. -

В городе ты совсем не бываешь,

А здесь не поют такие песни".

К самому уху ее склонившись,

Я прошептала: "Знаешь, Лена,

Ведь я сама придумала песню,

Лучше которой нет на свете".

И не поверила мне и долго,

Долго с упреком она молчала.

 

4

 

Солнце лежало на дне колодца,

Грелись на камнях сколопендры,

И убегало перекати-поле,

Словно паяц горбатый кривляясь,

А высоко взлетевшее небо,

Как Богородицын плащ, синело, -

Прежде оно таким не бывало.

Легкие яхты с полдня гонялись,

Белых бездельниц столпилось много

У Константиновской батареи, -

Видно, им ветер нынче удобный.

Тихо пошла я вдоль бухты к мысу,

К черным, разломанным, острым скалам,

Пеной покрытым в часы прибоя,

И повторяла новую песню.

Знала я: с кем бы царевич ни был,

Слышит он голос мой, смутившись, -

И оттого мне каждое слово,

Как божий подарок, было мило.

Первая яхта не шла - летела,

И догоняла ее вторая,

А остальные едва виднелись.

 

Как я легла у воды - не помню,

Как задремала тогда - не знаю,

Только очнулась и вижу: парус

Близко полощется. Передо мною,

По пояс стоя в воде прозрачной,

Шарит руками старик огромный

В щелях глубоких скал прибрежных,

Голосом хриплым зовет на помощь.

Громко я стала читать молитву,

Как меня маленькую учили,

чтобы мне страшное не приснилось,

чтоб в нашем доме бед не бывало.

Только я молвила: "Ты Хранитель!" -

Вижу - в руках старика белеет

Что-то, и сердце мое застыло...

Вынес моряк того, кто правил

Самой веселой, крылатой яхтой,

И положил на черные камни.

 

Долго я верить себе не смела,

Пальцы кусала, чтобы очнуться:

Смуглый и ласковый мой царевич

Тихо лежал и глядел на небо.

Эти глаза, зеленее моря

И кипарисов наших темнее, -

Видела я, как они погасли...

Лучше бы мне родиться слепою.

Он застонал и невнятно крикнул:

"Ласточка, ласточка, как мне больно!"

Верно, я птицей ему показалась.

 

В сумерки я домой вернулась.

В комнате темной было тихо,

И над лампадой стоял высокий,

Узкий малиновый огонечек.

"Не приходил за тобой царевич, -

Лена сказала, шаги услышав, -

Я прождала его до вечерни

И посылала детей на пристань".

"Он никогда не придет за мною,

Он никогда не вернется, Лена.

Умер сегодня мой царевич".

Долго и часто сестра крестилась;

Вся повернувшись к стене, молчала.

Я догадалась, что Лена плачет.

Слышала я - над царевичем пели:

"Христос воскресе из мертвых", -

И несказанным светом сияла

Круглая церковь.

1914

 

Poème précédent en russe :

JosephBrodsky / Иосиф АлександровичБродский (1940 – 1996) : Dédicace à Gleb Gorbovski / Посвящение Глебу Горбовскому 29/04/2021)

Poème suivant en russe :

Guennadi Aïgui / Геннадий Николаевич Айги: Le dernier départ. 1, 2 / ОСЛЕДНИЙ ОТЪЕЗД. 1, 2 (02/08/2021)

 

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