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Le bar à poèmes
27 juin 2021

Blaise Cendrars (1887 – 1961) : West

2497[1]

 

West

 

I.  ROOF–GARDEN

 

Pendant des semaines les ascenseurs ont hissé hissé des caisses des caisses de

     terre végétale

Enfin

A force d'argent et de patience

Des bosquets s'épanouissent

Des pelouses d'un vert tendre

Une source vive jaillit entre les rhododendrons et les camélias

Au sommet de l'édifice l'édifice de briques et d'acier

Le soir

Les waiters graves comme des diplomates vêtus de blanc se penchent sur le

     gouffre de la ville

Et les massifs s'éclairent d'un million de petites lampes versicolores

Je crois Madame murmura le jeune homme d'une voix vibrante de passion

     contenue

Je crois que nous serons admirablement ici

Et d'un large geste il montrait la large mer

Le va-et-vient

Les fanaux des navires géants

La géante statue de la Liberté

Et l'énorme panorama de la ville coupée de ténèbres perpendiculaires et de

     lumières crues

 

Le vieux savant et les deux milliardaires sont seuls sur la terrasse

Magnifique jardin

Massifs de fleurs

Ciel étoilé

Les trois vieillards demeurent silencieux prêtent l'oreille au bruit des rires et

     des voix joyeuses qui montent des fenêtres illuminées

Et à la chanson murmurée de la mer qui s'enchaîne au gramophone

 

 

II.  SUR L’HUDSON

 

Le canot électrique glisse sans bruit entre les nombreux navires ancrés dans

     l'immense estuaire et qui battent pavillon de toutes les nations du monde

Les grands clippers chargés de bois et venus du Canada ferlaient leurs voiles

     géantes

Les paquebots de fer lançaient des torrents de fumée noire

Un peuple de dockers appartenant à toutes les races du globe s'affairait dans

     le tapage des sirènes à vapeur et les sifflets des usines et des trains

L'élégante embarcation est entièrement en bois de teck

Au centre se dresse une sorte de cabine assez semblable à celle des gondoles

      vénitiennes

 

 

III.  AMPHYTRYON

Après le dîner servi dans les jardins d'hiver au milieu des massifs de citronniers

     de jasmins d'orchidéesIl y a bal sur la pelouse du parc illuminé

Mais la principale attraction sont les cadeaux envoyés à Miss Isadora

On remarque surtout un rubis « sang de pigeon » dont la grosseur et l'éclat sont

     incomparables

Aucune des jeunes filles présentes n'en possède un qui puisse lui être comparé

 Élégamment vêtus

D'habiles détectives mêlés à la foule des invités veillent sur cette gemme et la

     protègent.

 

IV.  OFFICE

 

Radiateurs et ventilateurs à air liquide

Douze téléphones et cinq postes de T.S.F.

D'admirables classeurs électriques contiennent les myriades de dossiers

     industriels et scientifiques sur les affaires les plus variées

Le milliardaire ne se sent vraiment chez lui que dans ce cabinet de travail


Les larges verrières donnent sur le parc et la ville

Le soir les lampes à vapeur de mercure y répandent une douce lueur azurée

C'est de là que partent les ordres de vente et d'achat qui culbutent parfois les

      cours de Bourse dans le monde entier 

 

V.  JEUNE FILLE

Légère robe en crêpe de Chine

La jeune fille

Élégance et richesse

Cheveux d'un blond fauve où brille un rang de perles

Physionomie régulière et calme qui reflète la franchise et la bonté

Ses grands yeux d'un bleu de mer presque vert sont clairs et hardis

Elle a ce teint frais et velouté d'une roseur spéciale qui semble l'apanage des

      jeunes filles américaines

 

VI.  JEUNE HOMME

Cest le Brummel de la Fifth Avenue

Cravate en toile d'or semée de fleurettes de diamants

Complet en étoffe métallique rose et violet

Bottine en véritable peau de requin et dont chaque bouton est une petite perle

     noire

Il exhibe un pyjama en flanelle d'amiante un autre complet en étoffe de verre

     un gilet en peau de crocodile

Son valet de chambre savonne ses pièces d'or

Il n'a jamais en portefeuille que des banknotes neuves et parfumées

 

VII.  TRAVAIL

 

Des malfaiteurs viennent de faire sauter le pont de l'estacade

Les wagons ont pris feu au fond de la vallée

Des blessés nagent dans l'eau bouillante que lâche la locomotive éventrée

Des torches vivantes courent parmi les décombres et les jets de vapeur

D'autres wagons sont restés suspendus à 60 mètres de hauteur

Des hommes armés de torches électriques et à l'acétylène descendent le sentier

      de la vallée

Et les secours s'organisent avec une silencieuse rapidité

Sous le couvert des joncs des roseaux des saules les oiseaux aquatiques font un

      joli remue-ménage

L'aube tarde à venir

Que déjà une équipe de cent charpentiers appelés par télégraphe et venus par

      train spécial s'occupent à reconstruire le pont

Pan pan-pan

Passe-moi les clous

 

VIII.  TRESTLE-WORK

 

Rencontre-t-on un cours d'eau ou une vallée profonde

On la passe sur un pont de bois en attendant que les recettes de la compagnie

      permettent d'en construire un en pierre ou en fer

Les charpentiers américains n'ont pas de rivaux dans l'art de construire ces

     ponts

On commence par poser un lit de pierres dures

Puis on dresse un premier chevalet

Lequel en supporte un second puis un troisième puis un quatrième

Autant qu'il en faut pour atteindre le niveau de la rive

Sur le dernier chevalet deux poutres

Sur les deux poutres deux rails

 Ces constructions audacieuses ne sont renforcées ni par des croix de St. André

      ni par des fers en T

Elles ne tiennent que par quelques poutrelles et quelques chevilles qui

      maintiennent l’écartement des chevalets

Et c'est tout

C'est un pont

Un beau pont

 

IX.  LES MILLE ILES

 

En cet endroit le paysage est un des plus beaux qui se trouvent en Amérique du

     NordLa nappe immense du lac est d'un bleu presque blanc

Des centaines et des centaines de petites îles verdoyantes flottent sur la calme

     surface des eaux limpides

Les délicieux cottages construits en briques de couleurs vives donnent à ce

     paysage l'aspect d'un royaume enchanté

Des luxueux canots d'érable d'acajou élégamment pavoisés et couverts de tentes

    multicolores vont et viennent d'une île à l'autre

 Toute idée de fatigue de labeur de misère est absente de ce décor gracieux pour

      milliardaires

 

Le soleil disparaît à l'horizon du lac Ontario

Les nuages baignent leurs plis dans des cuves de pourpre violette d'écarlate et

     d'orangé

Quel beau soir murmurent Andrée et Frédérique assises sur la terrasse d'un

      château du moyen âge

Et les dix mille canots moteurs répondent à leur extase 

 

X.  LABORATOIRE

 

Visite des serres

Le thermo siphon y maintient une température constante

La terre est saturée d'acide formique de manganèse et d'autres substances qui

     impriment à la végétation une puissance formidable

D'un jour à l'autre les feuilles poussent les fleurs éclosent les fruits mûrissent

Les racines grâce à un dispositif ingénieux baignent dans un courant électrique

     qui assure cette croissance monstrueuse

Les canons paragrêle détruisent nimbus et cumulus

Nous rentrons en ville en traversant les landes

La matinée est radieuse

Les bruyères d'une sombre couleur de pourpre et les genêts d'or ne sont pas

     encore défleuris

Les goélands et les mauves tracent de grands cercles dans le bleu léger du ciel

 

 

Documentaires

1ére édition sous le titre « Kodak », Librairie Stock, 1924

Du même auteur :

Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France (11/05/2014)

Les Pâques à New –York (04/05/2015)

Portrait / Atelier (04/05/2016)

Le Panama ou les aventures de mes sept oncles (04/05/2017)

Au coeur du monde (Fragments) (04/05/2018)

Journal (27/06/2020)

Contraste (27/06/2022)

Far-West (27/06/2023)

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