La grièche d’été
En rappelant ma grand folie
qui n’est ni gente, ni jolie
mais est vilaine
et vilain celui qui la conte,
me plains sept jours en la semaine
et par raison.
Jamais nul ne fut si perdu !
En hiver toute la saison
j’ai tant œuvré
et je me suis tant appliqué
qu’en oeuvrant n’ai rien recouvré
dont je me couvre.
C’est fol ouvrier et folle œuvre
qui par son travail rien ne gagne :
tout tourne à perte
et la grièche est si experte
qu’« échec » dit « à la découverte »
à son servant
qui n’a plus alors nul recours.
Juillet lui semble février.
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Tant sont venus
des gens qu’elle a retenus ;
tous ceux de sa troupe sont nus
et déchaussés ;
et par les froids et les chaleurs,
même le plus grand sénéchal
n’a robe entière.
C’est la façon de la grièche
qu’elle veut avoir gent légère (*) (*) légèrement vêtue
à son service :
une heure en cotte, une autre en chemise.
Telle gent aime, je vous dis,
trop hait riche homme :
à point le tient, à poing l’assomme.
En peu de temps il sait la somme
De son avoir ;
Pleurer le fait son ignorance ;
Il n’a souvent que du gruau
quand les autres ont de l’avoine.
Tremblé m’en a la grande veine.
De leur conduite, vous dirai :
j’en ai assez,
souvent j’en ai été lassé.
Mi-mars quand le froid est passé
Ils (*) notent (**) et chantent ; (*) les musiciens, (**) jouent de la musique
Les uns et les autres se vantent
Que, si deux dés ne les enchantent,
Ils auront robe.
L’espérance les sert en ruse
et la grièche les détrousse ;
la bourse est vide.
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Ailleurs leur esprit doit aller,
car deux tournois,
trois parisis, cinq vienois
ne peuvent pas faire un bourgeois (1)
d’un pauvre nu.
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Et avril entre,
et ils n’ont rien à part leur ventre.
Mais ils sont vite et prompts et prestes
s’ils ont enjeu.
lors vous les verriez s’affairer
à prendre et à jeter les dés :
voici la joie !
Il n’y a pas si nu qui ne s’égaie ;
plus sont seigneurs que rats sur meule
tout cet été.
Trop ont grande froidure été ;
or Dieu leur a prêté un temps
où il fait chaud,
nulle autre chose les occupe :
ils savent tous marcher pieds nus.
(1) Jeu de mots ; bourgeois désigne aussi une monnaie
Traduit du vieux français par Serge Wellens
in, Revue « Poésie 1, N°7 »
Librairie Saint-Germain-des-Prés, éditeur, 1969
Du même auteur :
Le dit des ribauds de grève (08/04/2019)
La grièche d’hiver (08/04/2020)