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Le bar à poèmes
7 mars 2021

Hervé Carn (1949 -) : Le bruit du galop (I)

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Le bruit du galop (I)

A Bernard Noël

 

 

Le pays que j’aime

Est aimé pour ses rives

Son océan ses écharpes

De pluies qui ruissellent

Sous les coups des meurtrissures

On célèbre son air

Dans les airs de valse

De flûte de musette

On célèbre ses femmes

Au port altier à la peau douce

On aimerait y vivre

On ne fait qu’y exister

On se pousse vers le bord

Du précipice d’où se jettent

Les garçons pour les pièces

D’une monnaie invisible

Que les dieux effacent en riant

 

 

 

J’aime ce pays comme les autres

Les autres miens les autres pays

Je pense à la chaleur du Sud

Au grand tam-tam de mon frère

Aux lacs ensommeillés des étés

De la Saxe ou d’ailleurs

J’aime tout j’aime tous

Là est ma faiblesse dis-tu

Oui je le sais j’aimerais

Mourir ici où là ici et là

J’aimerais flotter sur une nef

Que des guerriers flamboient

Que des marchands accostent

J’aimerais que mes restes

Se figent dans une veine d’ardoise

J’aimerais être pierre de feu

Dans un joyeux piston

 

 

 

Oui je le sais j’aimerais

Que ce pays rayonne

A jamais sur l’erre

Du jour béni

Des oiseaux des mers

Déposés sur la muraille

Que l’aube figure

La silhouette des rires

Des jeux des buées

Plaquées sur les toiles

D’araignée que le violon 

Dompte et damne

Le cœur gonfle le rêve

De la nuit murmure

Effleure le plaisir

Le gai posthume

De l’ordinaire de la vie

 

 

 

Ce pays se dessine devant moi

Depuis longtemps on a chanté

Ses rocs ses lèvres ses rêves

Je l’ai fait aussi trop vite

Et mal dans la peau

D’un homme pressé ou trop lent

Quand la musiquette de la vie

Me pousse contre la vitre

Pour y chercher un baume

Au front brûlant

Je n’ai nul recul nul sentiment

Plus rien ne peut héler

Mon corps dans sa chute

Dans la lente déconstruction

Des certitudes des passions

Et bougent en cadences

Des membres étrangers

 

 

 

Oui la peau arrachée

La peau caressée

Qui rompt qui poudroie

Des duvets ondoyés

Sous la lumière

Cette peau d’air

De pierre de souvenirs

Dessine des musiques

Révèle les traces

De centons d’échos

Du pays pétrifié

De mots nés morts

De gisants de langues

Oubliées ou apprises

Mon front s’offre

Au sourire du muet

Qui me fait face

 

 

 

 

J’y ai des tombes des buttes

Des trous creusés par habitude

Cette terre me donne

Dans le dos dans les épaules

Quand je m’y couche

Des secousses de nouveau-né

J’y ai des pleurs des sourires

Des liquides versés dans la peine

Ou dans l’amour

Famille du sol de l’air

Tous les autres doivent y vivre

Comme moi comme les miens

On vous attend comme on me chasse

Peu importe car le vent

Est maître des lumières

De la forme des corps

Feuilles et mots s’envolent

 

 

 

Crépuscule livide étrange

Pourtant si familier

De la marée si grande

Le vent s’est essoufflé

A l’instant étreinte du gris

Rappel des images flouées

Dans le regret dans la mémoire

Fin d’un jour si reconnu

Comme les roches de l’aveugle

Fin d’espoir en pointillés

Pour lui donner l’allure

D’une silhouette

Il n’y a rien à faire

Sinon revivre tout est mort

Dans les morsures de l’attente

De l’impossible

 

 

 

Je constate avec regret

Que le soleil le vent

Me ramènent malgré moi

Aux amours défuntes

Aux corps putrides

Aux galeries inondées

Je donnerais beaucoup

A la jeune fille

A la fraiche caresse

D’une brise de petit matin

Il y avait tout çà

Pourtant quand tu disais

La nuit est belle

Tes bras sont chauds

Ta langue est vive

Ta peau est riche

Des terres et des rivières

 

 

 

J’aime mes songes

Dans leur retour

Ces blanches places

Désertées et muettes

Que le matin éclaire

Sans relâche

Sans provoquer le rire

Ou la colère

J’aime ces rêves

Accrochés aux songes

Quand l’espace

Se creuse de frissons

Que la vie se dépose

En longs fils d’ange

Suspendus entre les doigts

De l’arbre mort

Que tu caresses

 

 

 

Dans le vent de ce soir

Quand j’entends ton nom

Balancé dans la faille

Du temps et des contours

Nous sommes en train

De revenir vers le quai

Que le chariot faisait trembler

Que la terre faisait flotter

Sans la garantie du temps

Ô toi doigt du monde

Guette tes souffles et tes amers

Expulse tes remugles

Vers les pauvres rives

Des vers vermillon

Qui rampent dans l’amour

En souffles découragés

Dans un élan dérisoire

 

 

 

A jamais suspendu

Aux livres aux lèvres

Qui me disent les secrets

D’un monde qui n’est plus

Je marche dans mon rêve

Me cogne le crâne

Ricoche d’un mur à l’autre

Troue le plafond

Je revois si loin déjà

Un avenir dépassé

De formes humaines

Que mes mains étreignent

Vaines dans le vide

Se relèvent des montagnes

Dans les fumées

Jaunes des hivers

Pour étouffer l’air

 

 

 

Et j’aime ces rêves

Qui m’affrontent me hérissent

J’aime ces rêves

Qui me dégradent me méprisent

Jusqu’à faire de la nuit

L’abattoir aux filaments

Des sangs jetés dans le courant

Du fleuve aux sillages gris

Tu ne sais disais-tu

Comment pointe le jour

Son nez dans la gorge

Des immondices

Comment le jour s’y prend

Pour faire de ce corps

Abandonné une cathédrale

Dont les tours bouillonnent

Dont les pointes crèvent le ciel

 

 

 

 

Le vent emporte tout

Des objets des idées

Qui s’agglutinent

Dans les champs formes

Légères dérobées au regard

Privé de membres

Il faudra se glisser

Dans les ornières

Mouillées de ta salive

Des humeurs vives

De ton corps abandonné

Dans mon souvenir

Il faudra écarter

Les ruisseaux de la rive

Pour retrouver le chemin

Qui nous conduira vers nous

Dans un pays sans balises

 

 

 

 

Que grand est le monde

De permettre à l’esprit les écarts

Les retours vers la colère

Les élans vers l’horizon

Comment peut-on détruire

Les liens qui nous unissent

Entre nous les hommes

Quand le vent déchaîné

Brise arbres et songes

Quand la mer inonde

Prisons et magasins

Eglises et baladins

Quand pierres et incendies

Frappent les visages

Découpent les corps

Mutilent les enfants

Rendent le monde au vide

 

 

 

Seule est vivante

La cicatrice de l’amour

Dont les femmes

Jusqu’au bout du temps

Sauront taire le génie

En la rendant plus vive

Nous sommes agités

Dans le sommeil dans le jour

Par les secousses

D’une pensée rétive

A tous les dogmes

A tous les cris à tous les ordres

Sauf qu’elle se doit

De se serrer dans les langages

Malaxés par les bouches

Edentées par les machines

Qui se dérèglent

 

 

 

Mais vient ce nouveau jour

La marche est rapide

Vers la rivière engrangée

Des bois des forêts

Des mousses de pisses

De génisses que les hommes

Observent avec l’attention

Des marâtres avant l’autel

Il est doux de se glisser

Sur les rives quand la mer

Brise ses mascarets

Par lassitude par ennui

Comme nous les hommes

Le faisons trop souvent

Sans le reconnaître

Malgré la hargne

Qui rehausse les lèvres

 

 

 

Que faire dis-tu

De ces mots accrochés

Anneaux à tes doigts

Comme celui qui partit

Naguère dans la mer

Lors des noces de jeunesse

Peut-être les jeter

Dans l’air avec la force

Du trait magnétique

Que les mains antiques

Enfonçaient dans les corps

Tels les arbalétriers

Des peintres des légendes

Aux hauts de chausse

Rouges et mauves

Aux regards brûlants

Aux gestes sûrs

 

 

 

Mais devant l’air de porcelaine

Qui murmure des prénoms

Que serons-nous dis-tu

Dans les rares moments

Où les voix rocailleuses

Laissent l’esprit dans l’instant

Sans aucun sillage

Sans aucune image

De ceux que le passé

Aime à exhiber à imposer

Dans l’ombre dans les rais

D’une lumière trop vive

Quand le cœur les larmes

Le corps entier la petite âme

Sont secoués par le rire

D’une mort soudaine

Brutalement habitée

 

 

 

Oui le petit matin

A toujours le charme

Des premiers jours

Quand tu marchais

Sous les platanes bleus

Au milieu des phosphènes

Que la peau rafraîchie

Ramenait ta pensée

Au plus près de tes pas

Que le sang battait

De tempes à poitrine

Pour te dire ton émoi

A la vue d’une voisine

Elle claque les volets

Se penche vers toi

Ses yeux s’ouvrent

Sur le monde

 

 

 

Ou cet instant nocturne

D’un été chaud de juillet

Que la main fine et douce

Glisse de la tienne brûlante

Mouillée par la tension

De ton corps à la sentir

En même temps qu’à la savoir

Déjà prête à s’effacer

Pour rejoindre dans la nuit

Une autre main plus rugueuse

Et plus vaste comme ce monde

Que toi-même n’habites

Qu’à moins d’y lancer

Ces échelles de Jacob

Que tu t’attaches à saisir

Vainement depuis toujours

Avec douleur depuis ce jour

 

 

 

Et ce trait de froidure

Seul sur la chaussée

De la ville désertée

Par le vent par la bise

L’air entre toi

Provoque tes bronches

La douleur amoureuse

Des premiers jours

Vient t’habiter

Derrière ton œil

En un monocle éteint

Malgré les dards

Du soleil d’hiver

Malgré les vieux vers

De Virgile collés

Contre tes dents

En granulés de pierre

 

 

 

La mer toujours

Emporte les oiseaux

Ils plongent en cadence

Et trouent le silence

De chocs très courts

Nous serons ainsi jetés

Dans la mort d’un coup

Bref la lumière bleue

Montera vers le ciel

C’est ainsi que se rassurent

Les soldats les marins

Quand ils regardent

L’horizon la plaine

Les vagues où dérivent

Les lichens comme linceuls

Verdis par le temps

Par l’abandon du temps

 

 

 

Le ciel lui-même a chu

Sous l’horizon d’or

Les paupières cousues

Sur le désir qui menace

La planche posée

Entre présent et passé

La pensée se déplie

A l’intérieur de l’être

Il n’est pas sûr

De revoir le signe unique

Le geste dur des caracoles

Que le ciel tombe

Sur nous pensais-tu

Dans un rappel ému

Des ancêtres des pleureuses

Des coupes de vent

Lancées sur les forêts

.................................................

Le bruit du galop

Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019

 

Du même auteur :

La brûlure (21/02/2015)

Ce monde est un désert (07/03/2020)

Le bruit du galop (II) (01/09/2021)

l’Arbre des flots (07/03/2022)

Le rire de Zakchaios (01/09/2022)

Petits secrets (1) (07/03/2023)

Petits secrets (2) (02/09/2023)

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