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Le bar à poèmes
21 décembre 2020

Faraj Bayrakdar (1951 -) / فرج بيرقدار : « Bleu des profondeurs... »

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Bleu des profondeurs est la tristesse

Profondeur du bleu

Etoile où tremble une larme

en cet espace

Langue hautement lucide

raccompagnant la nuit

Pour que s’accomplissent les questions

il blesse l’instant avec le rêve

et s’en va

chargé de prophètes

et du hennissement des souvenirs imminents

 

Bleu des profondeurs est la tristesse

Profondeur du bleu

Nous n’avons qu’elle

Sommes-nous dans son miroir

ou elle dans le nôtre ?

Cela revient au-même

Le silence de ma femme

est le sel de ma voix

quand elle dit la blessure

et le nom du fleuve

Ses mains sont mes berges

Son silence est un val turquoise

Ma voix me tue quand elle s’y aventure la nuit

et s’en revient martyrisée

ayant vu ce que je ne peux voir

Aube d’une rose

d’oubli blessée

Nous avons la même mère

cette tristesse et moi

Vent après vent

dors

nous déchiffrons le fleuve pour courir

et que courent ses jeunes peupliers après nous

tel un écho de l’appel à la prière

J’ai dit, ô mère

qui d’entre nous est le plus triste

toi, le fleuve ou l’éclair

d’entre mes mains ?

Elle m’a serré contre ses cils mouillés

en murmurant :

Après nous viendront les pigeons

Après nous ?

Au son de ma voix

elle avait retrouvé ses couleurs

Elle a repoussé le lever de la lune

De ses paumes elle a rabattu deux cieux

et a dit : mon fils

la tristesse a inauguré avec nous

ses premiers noms, puis elle s’est répandue

Les déserts ont déversé leurs sables sur le souvenir

Le souvenir a déversé du noir

sur le blanc en dévotion

et du blanc sur le noir courant

Il a entouré de cendres les pierres

depuis les arbres qui inscrivent le poème et l’âge

dans le cahier de la terre

Oui, depuis tant d’exils

entre lesquels l’explication du pays s’est éternisée

depuis un Orient dont le sang fut scindé

pour nous donner la Syrie

C’est pour cela que nous abrégeons

le blé et la sagesse

et remettons en chantier la genèse

pour qu’elle reste en éveil

Quelle âme

flotte cette nuit parmi les voiles

de l’absolu, ou sur ses mâts ?

Les perdreaux ont traversé l’esprit

Dieu passe dans la tristesse

Passent une femme extrême

le silence et le sens

Est passé le voilier

annonciateur du voyage

en un jour pluvieux

 

Ô argile

qui recensera mes doutes ?

Les yeux de ma fille

sont la rumeur des youyous

quand le soir arrive

Les psalmodies des nuages

lui font une écharpe

Elle peut réveiller la vue

et les larmes dans les yeux de l’aveugle

Elle a baissé des cils plus appétissants

que le sommeil qui enlève l’oiseau

d’entre ses ailes

le cœur d’entre les mains de ma mère

les chaînes de mes mains

Elle a entrepris un rêve

pour arracher un léger sourire à la tristesse

puis elle a vu une mère

derrière laquelle le passé s’est écroulé

un père que les débris ont du mal à restaurer

Et dans cette nuit

au lieu  d’étoiles, lui sont apparues six potences

où se balançaient arbres

chevaux et poèmes

Ô argile, toi seule

débute quand tout s’achève

Nulle échappatoire

de ce que ton esprit submerge

L’amoureux en est transi

De loin, la voix irakienne parvient

triste mélodie que l’ombre déverse

et qui illumine

 

Ainsi parla le prisonnier

Ayant remarqué ma distraction, il ajouta :

la tristesse a-t-elle frappé à ta porte ?

Dénoue le nœud gordien qui enserre

la mémoire scintillant comme l’argent

c’est ma tristesse -femme

Que de fois vais-je à elle

Que de fois vient-elle à moi

Sa nuit, les éclairs qui révèlent

les arcanes de la prophétie et que sa pluie

égrène

 

Au commencement elle était, nous étions elle

et j’étais dans sa lyre une corde

j’ai dit : le fleuve coule

et tu restes sur la berge

Adhère au fleuve et tu verras la tristesse

comme Dieu la voit

Sa mère s’éloigne derrière les fenêtres

arbres découvrant les vents

et s’enfonçant loin

dans la glèbe de l’âme

Son calice, le pardon si possible

et si, possible le déluge

La poésie est son écho

Son calice, que l’intérieur pleuve

jusqu’à réunir sous cette cape

le pécheur et le saint

Si besoin est

le volcan portera un verre pour elle

 

Traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi

In, Faraj Bayrakdar : « Ni vivant, ni mort »

Editions Al Dante, 13000 Marseille, 1998

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