Encore aujourd’hui
Je songe à elle,
Eblouissante avec ses guirlandes de fleurs de campaka (*)
Son visage pareil au lotus épanoui,
A sa taille, une tendre ligne de duvet,
Le corps frémissant de désir au sortir du sommeil –
Ma bien-aimée –
Sortilège
Dont, par ma folie,
J’ai été dépossédé !
*
Encore aujourd’hui
Il me souvient
Du visage de ma bien-aimée :
Les anneaux d’or à ses oreilles frôlaient ses joues,
Tant était grande, dans l’amour, son ardeur
A inverser les rôles
Et, au rythme de ses mouvements,
Telles des perles à foison,
De larges gouttes de sueur constellaient sa peau.
*
Encore aujourd’hui
Si je revoyais
Ma bien-aimée
Au visage semblable à la lune en son plein,
Riche de sa jeunesse fraîche éclose,
Aux seins gonflés,
A l’éclatante beauté,
Au corps torturé par la saveur de l’amour,
Ce corps,
Je saurais aussitôt comment le rafraîchir !
*
Encore aujourd’hui,
De même que sur l’enseignement d’un maître,
Sur elle médite mon esprit :
Sa noire chevelure ondulée et soyeuse,
Ses longs yeux pareils aux pétales d’un lotus épanoui,
Ses seins ronds et hauts, fermes et pleins.
*
Encore aujourd’hui,
Il me souvient intensément
Du visage de ma bien-aimée
Dans l’extase du plaisir,
Les prunelles frémissantes dans les yeux qui se ferment,
Le rayonnement de la chair que les soupirs aussitôt
Affadissent,
Les gouttes de sueur sur la peau moite.
*
Encore aujourd’hui,
Je vois
Ses hanches dévêtues
Et le trouble de son corps
Qu’égare la saveur même de la crainte,
Quand, d’une main cachant son secret,
De l’autre elle attire mes doigts dans le creux de sa taille
*
Encore aujourd’hui,
Je la vois
Qui contemple en secret
Le miroir où se réfléchit mon image,
Comme je me tiens dans son dos,
Tremblante et troublée,
Timide dans sa langueur,
Passionnée et pleine de grâce.
*
Encore aujourd’hui,
Je vois
Ses beaux yeux animés et inquiets,
Quand, d’un lotus arraché à notre lit d’amour,
Elle chassait l’abeille venue près de sa bouche,
Enivrée par sa riche senteur parfumée.
*
Encore aujourd’hui,
Je la vois
Qui erre
Ici et là,
Devant, derrière,
Dehors, dedans,
En tous lieux,
Son visage pareil au lotus épanoui,
Promenant de tous côtés ses beaux yeux.
(*) : arbuste de la famille du gingembre, à fleurs odorantes
Traduit du sanskrit par Amina Okada
In, Bilhana : « Poèmes d’un voleur d’amour »
Editions Gallimard (Connaissance de l’Orient), 1989