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Le bar à poèmes
23 novembre 2020

Odyssèas Elytis / Οδυσσέας Ελύτης (1911 – 1996) : Elégie de Grüningen

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Elégie de Grüningen

  

                                                                                  A la mémoire de Friedrich von Hardenberg

 

 

Forêts de Rhénanie arrêtées voilà tant d’années en moi

Rappelées à présent comme par le cor d’un chasseur

Arbres généalogiques et blasons qu’à douze ans je découvrais sans le vouloir

Es war der erste einzige Traum (*)

                                               Ma Sophie c’est à toi que je pense

Je crois te voir encore te promener sous les arbres

Ou avec précaution parfois lever dans la lumière

Un fragment de pierre bleue aux rayures apparentes, alors

Que toutes les heures de l’année irisées bourdonnantes

Commencent à tournoyer autour de ton visage (Mes yeux sans cesse

Fixés sur le point lumineux au centre)

A tel point qu’aujourd’hui de nouveau nous sommes

Le dix-neuf mars mil-sept-cent-quatre-vingt-dix-sept

 

Première audace. Et la seconde : je te détache des nombres de la nuit.

 9 : arrive le cavalier qui fera dormir l’ange sur ton sein

10 : la plante grimpante et ses boutons lilas par milliers couvrent portes et

     fenêtres

11 : le ciel si lourd tombé plus bas que les cheminées

12 : ton lit penche d’un côté

13 : la destinée lance une troisième vague

14 : et sans toi, le Printemps sous la terre pousse les arbres fruitiers

15 : comme les eaux sous les herbes se pourchassent !

16 : entends, entends cette beauté ! Vois, vois autre chose encore !

17 : par la fissure de ton âme la tombe apparaît plus belle

18 : dans un instant viendra le vent noir le plus fort celui des cheveux d’Isis

19 : si grand le ciel et si petite la terre pour deux humains seulement

 

Les poupons aux ailes d’or de ton souffle

Vont et viennent encore sur la pierre et dans la nuit jouent à la lune

Mais celui qui compose, tel un sculpteur de sons, une musique de galaxies

     lointaines

Oeuvre nuit et jour. Et quels do cendrés quel sols violets s’élèvent

Dans l’air ! Au point que les rochers plutôt prêtres vénèrent de tels pleurs

Et les arbres davantage oiseaux avouent des syllabes d’inexplicable

Beauté. Disant que l’amour n’est pas ce que nous savons ni ce que prétendent

     les magiciens

Mais une seconde vie sans blessure à jamais.

 

Printemps approche. Puisque tu es complice. Regarde :

Quel vert profond couvre à présent ses épaules

Et comme lui la regarde ! Comme après ses efforts pour sortir

Des parterres de fleurs un éblouissement mauve les soulève un peu au-dessus

     du sol

En plein mois de mai les dieux ont voulu toutes ces choses

Et d’autres que j’ignore. Mais si dès lors la vie a pris

Mauvaise tournure, ce fut une grande leçon. Car depuis qu’à douze ans

Je vous ai rencontrés pour moi vous êtes

Forêts de Rhénanie rivières des vallées cavaliers voitures et cours à frontons et

     fontaines

 

La quotidienne première page de l’après-mort.

 

(*) « C’est le dernier rêve et le seul ». Fragment du 3ème hymne à la nuit de Novalis (Friedrich von Hardenberg)

 

Traduit du grec par Michel Volkovitch

in, « Anthologie de la poésie grecque contemporaine, 1945 – 2000 »

Editions Gallimard (Poésie), 2000

Du même auteur :

Six plus un remors pour le ciel (08/10/2015)

L'icône /Το εικόνισμα (23/11/2021)

« Je pleure le soleil... » (23/11/2022)

Le monogramme .III /Το Μονόγραμμα. III (23/11/2023) 

 
 
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