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Le bar à poèmes
2 novembre 2020

Pablo Neruda (1904 – 19733) : La Ma Nounou / La Mamadre

pablo-neruda[1]

 

La Ma Nounou

 

 

La Ma Nounou s’avance

dans ses sabots de bois. Au soir d’hier

le vent du Pôle a soufflé, les toits

se sont brisés, les murs

et les ponts se sont effondrés,

toute la nuit a hurlé avec ses pumas,

et maintenant, en ce matin

de soleil glacé, la voici

la Ma Nounou doña

Trinidad Marverde,

douce comme la timide fraîcheur

du soleil dans les pays de tempête,

lampe

menue et s’éteignant,

se rallumant

pour que tous voient bien le chemin.

 

O douce Ma Nounou

- je n’ai jamais pu

t’appeler belle-mère -

maintenant

ma bouche tremble pour te définir,

j’étais à peine

à l’âge où l’on comprend

que je voyais déjà la bonté habillée de pauvres nippes noires,

la sainteté la plus utile :

celle de l’eau, celle de la farine   ;

tu fus cela : la vie te pétrit, tu fus pain

que nous mangions là-bas,

de l’hiver long à l’hiver désolé

où notre toit gouttait

à l’intérieur de la maison

et ton humilité partout présente

égrenant

l’âpre

céréale de la pauvreté

comme si tu avais

réparti

une rivière de diamants. 

 

Aïe ! maman, comment ai-je pu

vivre sans t’évoquer

à chacune de mes minutes ?

Ce n’est pas possible. Je porte

dans mon sang ton Marverde,

le nom

du pain qu’on se partage,

de ces

douces mains

qui dans le sac à farine taillèrent

les caleçons de mon enfance,

le nom de celle qui cuisina, repassa, lava,

 sema, calma ma fièvre

et qui, lorsque tout fut fini

et que

je pouvais bien me tenir ferme sur mes jambes,

s’en alla, obscure et parfaite,

vers le petit cercueil

où pour la première fois elle n’eut plus rien à faire

sous la pluie dure de Temuco.

 

 

Traduit de l’espagnol par Claude Couffon

In, Pablo Neruda : « Mémorial de l’Isle-Noire »

Editions Gallimard, 1970

 

 La Mamaman  

 

La Mamaman s’avance

dans ses sabots de bois. Au soir d’hier

le vent du Pôle a soufflé, les toits

se sont brisés, les murs

et les ponts se sont effondrés,

toute la nuit a hurlé de ses pumas,

et à présent, en ce matin

de soleil glacé, la voici

la Mamaman, doña

Trinidad Marverde,

douce comme la timide fraîcheur

du soleil dans les pays de tempête,

petite lampe

menue et s’éteignant,

se rallumant

pour que tous voient bien le chemin.

 

O douce Mamaman

- je n’ai jamais pu

t’appeler belle-mère -

à présent  

ma bouche tremble pour te définir,

j’étais à peine

à l’âge où l’on comprend

que je voyais déjà la bonté habillée de nippes noires,

la sainteté la plus utile :

celle de l’eau et de la farine,

tu a été cela : la vie t’a faite pain

que nous mangions là-bas,

hiver long après hiver désolé

où notre toit gouttait

à l’intérieur de la maison

et ton humilité partout présente

égrenant

l’âpre

céréale de la pauvreté

comme si tu donnais

en partage

une rivière de diamants. 

 

Ah ! Maman, comment ai-je pu

vivre sans t’évoquer

à chaque minute ?

C’est impossible. Je porte

dans mon sang ton Marverde,

le nom

du pain qu’on se partage,

de ces

douces mains

qui dans le sac à farine ont taillé

les caleçons de mon enfance,

le nom de celle qui a cuisiné, repassé, lavé

semé, calmé la fièvre,

et qui, sa tâche accomplie,

quand enfin j’ai pu

me tenir bien ferme sur mes deux jambes,

s’en est allée, soumise, obscure

vers le petit cercueil

où pour la première fois elle n’a eu

plus rien à faire

sous la pluie dure de Temuco.

 

Traduit de l’espagnol par Claude Couffon

(Révision de Stéphanie Decante)

In, Pablo Neruda : « Résider sur la terre. Oeuvres choisies ».

Edition Gallimard (Quarto), 2023

 

 

Du même auteur :

Dernières volontés / Disposiciones (02/11/2014)

Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée / Veinte poemas de amor y una canción desesperada  (02/11/2015)

Testament d’Automne (02/11/2016)

Hauteurs de Macchu-Picchu / Alturas de Macchu-Picchu (02/11/2017)

« Que ne t’atteigne pas l’air... » / « No te toque la noche... » (02/11/2018)

Le paresseux / El perozoso (02/11/2019)

Sévérité / Severidad (02/11/2021)

« La grande pluie du Sud tombe sur Isla Negra... » / « La gran lluvia del sur cae sobre Isla Negra... » (02/11/2022)

 Oui, j’aime ce morceau de terre que tu es... » / « Amo el trozo de tierra que tú eres ... (02/11/2023)
 

La Mamadre

 

La mamadre viene por ahí,

con zuecos de madera. Anoche

sopló el viento del polo, se rompieron

los tejados, se cayeron

los muros y los puentes,

aulló la noche entera con sus pumas,

y ahora, en la mañana

de sol helado, llega

mi mamadre, doña

Trinidad Marverde,

dulce como la tímida frescura

del sol en las regiones tempestuosas,

lamparita

menuda y apagándose,

encendiéndose

para que todos vean el camino.

 

 

Oh dulce mamadre

—nunca pude

decir madrastra—,

ahora

mi boca tiembla para definirte,

porque apenas

abrí el entendimiento

vi la bondad vestida de pobre trapo oscuro,

la santidad más útil:

la del agua y la harina,

y eso fuiste: la vida te hizo pan

y allí te consumimos,

invierno largo a invierno desolado

con las goteras dentro

de la casa

y tu humildad ubicua

desgranando

el áspero

cereal de la pobreza

como si hubieras ido

repartiendo

un río de diamantes.

 

Ay mamá, cómo pude

vivir sin recordarte

cada minuto mío?

No es posible. Yo llevo

tu Marverde en mi sangre,

el apellido

del pan que se reparte,

de aquellas

dulces manos

que cortaron del saco de la harina

los calzoncillos de mi infancia,

de la que cocinó, planchó, lavó,

sembró, calmó la fiebre,

y cuando todo estuvo hecho,

y ya podía

yo sostenerme con los pies seguros,

se fue, cumplida, oscura,

al pequeño ataúd

donde por vez primera estuvo ociosa

bajo la dura lluvia de Temuco.

 

 

Memorial de Isla Negra,

Editorial Losada, Buenos Aires, (Argentina), 1964

Poème précédent en espagnol :

ClaudioRodríguez : Etranger / Ajeno (04/10/2020)

Poème suivant en espagnol :

Blas de Otero : Automne / Otoño (07/11/2020)

 

 

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