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Le bar à poèmes
9 août 2020

Joachim Du Bellay (1522 – 1560) : La complainte du désespéré

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La complainte du désespéré

 

Qui prêtera la parole

     A la douleur qui m’affole ?

     Qui donnera les accents

     A la plainte qui me guide :

     Et qui lâchera la bride

     A la fureur que je sens ?

 

 

 

Qui baillera double force

     A mon âme, qui s’efforce

     De soupirer mes douleurs ?

     Et qui fera sur ma face

     D’une larmoyante trace

     Couler deux ruisseaux de pleurs ?…

 

 

 

Et vous mes vers, dont la course

     A de sa première source

     Les sentiers abandonnés,

     Fuyez à bride avalée.

     Et la prochaine vallée

     De votre bruit étonnez.

 

 

Votre eau, qui fut claire et lente,

     Ores trouble et violente,
 

     Semblable à ma douleur soit,

     Et plus ne mêlez votre onde

     A l’or de l’arène blonde,

     Dont votre fond jaunissoit…

 

 

 

Chacune chose décline

     Au lieu de son origine :

     Et l’an, qui est coutumier

     De faire mourir et naître,

     Ce qui fut rien, avant qu’être,

     Réduit à son rien premier.

 

 

 

Mais la tristesse profonde,

     Qui d’un pied ferme se fonde

     Au plus secret de mon coeur,

     Seule immuable demeure,

     Et contre moi d’heure en heure

     Acquiert nouvelle vigueur…

 

 

 

Quelque part que je me tourne,

     Le long silence y séjourne

     Comme en ces temples dévots,

     Et comme si toutes choses

     Pêle-mêle étaient r’encloses

     Dedans leur premier Chaos…

 

 

Maudite donc la lumière

     Qui m’éclaira la première,

     Puisque le ciel rigoureux

     Assujettit ma naissance

     A l’indomptable puissance

     D’un astre si malheureux…

 

 

 

Heureuse la créature

     Qui a fait sa sépulture

     Dans le ventre maternel !

     Heureux celui dont la vie

     En sortant s’est vue ravie

     Par un sommeil éternel !…

 

 

 

Sus, mon âme, tourne arrière,

     Et borne ici la carrière

     De tes ingrates douleurs.

     Il est temps de faire épreuve,

     Si après la mort on treuve

     La fin de tant de malheurs.

 

 

Œuvres de l’Invention de l’auteur,

1552

Du même auteur :

« Heureux qui comme Ulysse… » (09/08/2014)

« Déjà la nuit en son parc… » (09/08/2015)

« Las où est maintenant ce mépris de Fortune ? » (09/08/2016)

« J'aime la liberté… » (09/08/2017)

D’un vanneur de blé aux vents (09/08/2018)

« Comme on passe en été... » (09/08/2019)

« Seigneur, je ne saurais regarder... » (09/08/2021)

Trois poésies latines (09/08/2022)

« Comme le marinier... » (09/0/2023)

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