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Le bar à poèmes
30 juin 2020

Nakahara Chûya / 中原 中也 (1907 – 1937) : Automne aveugle

nakahara[1]

Automne aveugle

 

I

Le vent se lève, les vagues grondent,

       Et devant l’infini j’agite les bras.

 

Entre-temps minuscule une fleur écarlate a surgi,

       Qui elle aussi finit par se briser.

 

Le vent se lève, les vagues grondent,

       Et devant l’infini j’agite les bras.

 

Las ! songeant à cela même qui à jamais ne reviendra

       Combien d’affreux soupirs n’aurai-je pas poussés...

 

Ma jeunesse désormais n’est plus qu’artères sclérosées,

       Où les amaryllis des Morts circulent dans les soleils couchants.

 

Et cela, calme, splendide, et tellement épanoui,

       Comme le dernier sourire d’une femme qui vous quitte,

 

Solennel, opulent, et cependant triste

       Etrange, doux, et scintillant, vous reste dans le cœur...

 

                              Oui, reste dans le cœur...

 

Le vent se lève, les vagues grondent,

       Et devant l’infini j’agite les bras.

 

II

Que les choses tournent ainsi, ou qu’elles tournent autrement,

Que m’importe, vraiment !

 

Et qu’est-ce donc que ceci, et qu’est-ce donc que cela,

Encore moins m’importe, ah oui vraiment !

 

Car pour l’homme ce qui compte c’est la croyance en soi

Et pour le reste advienne que pourra...

 

Croire en soi, croire en soi, croire en soi, croire en soi,

C’est la seule chose qui d’une action humaine ne puisse faire un péché.

 

Insouciant, joyeux, et ému comme une botte de paille,

Que ne puis-je, en fourrant dans la bouilloire les brumes du matin, me jeter

hors du lit !

 

 

III

Sainte Mère, oh ma Santa Maria !

       Quoi qu’il en soit, moi, j’ai craché le sang !...

Et puisque tu ne voulais rien entendre à toute ma tendresse,

       Quoi qu’il en soit, j’ai perdu la partie...

 

Et cela sans doute aussi parce que je n’étais pas simple,

       Et cela sans doute aussi parce que je manquais de courage,

Mais comme mon amour pour toi était si naturel,

       Toi aussi, je crois que tu m’aimais...

 

Oh ! Sainte Mère, oh ma Santa Maria !

       Maintenant sans doute n’y a-t-il plus rien à faire...

Mais au moins sache-le bien :

 

Un amour si naturel, oui pourtant naturel,

       N’est pas chose si fréquente,

Et en faire l’expérience, n’est pas permis à tous.

Sainte Mère, oh ma Santa Maria !

 

IV

Au moins à l’heure de la mort,

Cette femme sur moi ouvrira-t-elle son sein ?

       En cet instant, ah non, non, pas de fard blanc,

       Oh non, non, en cet instant, ne mets pas de fard blanc.

 

Seulement, tranquillement, m’ouvrant son sein,

Irradie-toi dans mes yeux.

Et, ah non, non, ne pense à rien, s’il te plaît,

Oh non, non, même pour moi, ne pense plus à rien.

 

Ravalant seulement larmes après larmes,

Laisse s’exhaler ton souffle chaud.

- Et si d’aventure quelques pleurs coulaient,

 

Tu pourrais soudain en t’allongeant sur moi,

Oui qu’en dis-tu ? finir par me tuer !

Alors, avec délices, je commencerais à gravir le chemin sinueux

du Pays des Ténèbres.

 

Traduit du japonais par Yves-Marie Allioux

in, Nakahara Chûya : « Poèmes »

Editions Philippe Picquier, 16630 Arles, 2005

Du même auteur :

Sur le lac (30/06/2019)

Le chant des grenouilles (30/06/2021)

 

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