Nocturnes
Pour Jeanine
I
Le noir te sied
ainsi le blanc
à la morte.
Fallait-il le dire
à toi ?
Si parfaitement proche
comme absente
en ces instants
où les couleurs t’habitent.
II
Et toi, marchant
dans l’ombre qui s’engrange.
De toutes rumeurs,
tu gardes celle
du flot ressassant
la plainte antique.
Et toi, conservant
de l’été
ces mêmes bruissement d’élytres,
tu appuies la mémoire
à ses recoins d’ombre.
Je sais !
De la brume peut surgir une île
mais il faudra y marcher comme si le flot
continuait.
III
Terre, plus durable
que l’image que tu en as,
si durable
qu’elle émeut.
Elle,
toujours en passage
et cependant là,
si incomparablement là,
que ton pas s’y arrête
interdit devant tant
d’évidence.
IV
Il y a ce moment
impossible à dire et qui sera,
cependant, d’une précision certaine.
Nous l’avons, dès la naissance, consigné en nos
livres. La lande nous l’apprend, la mer nous le
rappelle, le cri plaintif de la mouette nous y
transporte parfois.
Mais nous demandons
si la longueur des nuits
n’infléchit pas le temps.
V
Il restera deux mains
mêlées à la terre
deux mains pour creuser
l’immuable.
Ce terreau inconnu où,
déjà, croissent nos silences.
Tu sais, les jours s’écourteront, la nuit se répandra,
viendront les rides et s’épaissira le salpêtre du mur.
A toi,
soutenant que la souffrance n’a pas de voix,
elles enseigneront
sa voix tenace.
VI
Elle dort
à la merci de la nuit
sans autre attirail que sa peau
et je sens passer la fièvre et
la peur des hommes d’alentour.
Peut-être, dort-elle
à même la terre
sans d’autre vêture
que la nuit ?
De quelle perte s’agit-il ou de
quelle lumière, alors, cherche-t-elle à se garder ?
VII
Ce fut l’enfance alertée,
déjà,
puis l’âge venu ; le règne minéral ;
la nuit lumineuse parfois
mais, ô combien, percée d’abîmes.
Enfin, la lente giration des pierres
si près de soi
comme au tombeau
quand on porte la main
vers l’huile de la lampe.
VIII
Viens sous la cendre
où la braise brûle encore.
Met-y la main
et garde ta salive
pour dire les mots
qui restent.
Ce fut la nuit qui t’appela
et te mit en garde
contre les jours trop clairs.
IX
L’hiver en appelle
à ta mémoire.
Tu sais ; les mains posées sur la table
et les visages ombrées pétrissant un temps d’ailleurs.
Celui, peut-être, du recueillement
venu au bout d’un âge
que le gel alourdi.
Tout a si peu d’importance
à part le poids des choses
familières et aimées,
les gens, ici, assemblés
en qui sommeillent les houles.
J’ai oublié leurs noms
qui furent les tuteurs du mien.
Je ne les ai jamais vus.
X
Le monde va,
en dépit des cris multiples,
frileusement jusqu’à la nuit.
C’est alors qu’aux abords du jardin,
Je l’entends bruire.
Il est,
comme la paume qui l’aurait
rassemblé et pacifié,
tout en caresses, en frôlements,
en tremblements.
XI
J’aimais la nuit,
les chemins s’y révélaient,
les pierres tordant au ras du flot
leur face moribonde
émettait des signes nouveaux.
La meilleure part était là,
dans ce presque silence
où se côtoyaient des ombres
don les noms avaient disparus.
XII
La nuit fut silencieuse
et la pensée reconquise.
Les mots ne nous aveuglaient plus
comme si nos mains avaient appris à les guider.
Nos corps se sentaient complices
et ne nous pesaient plus.
Ils allaient parmi les ombres
au bord d’un fleuve
dont le nom importe peu.
C’était une nuit pareille
aux autres nuits
et nous le découvrions
XIII
Le passeur d’un geste sûr
quitte la rive.
L’eau se déplace sous sa perche,
et le silence de l’homme
semble tenir à l’épaule
qui s’y appuie.
XIV
Découvriras-tu le chemin ?
sous l’œil imperturbable du passeur
dont les heures vont à rebours des heures.
Jamais il ne te fera signe,
le tien restera sans réponse
mais cependant il t’observera
te disant sans que tu puisses l’entendre :
« Il est là le chemin, et si tu ne le vois pas,
c’est qu’il est trop proche de toi.
Tâche d’apprendre à le reconnaître ! »
XV
Ce que tu fus,
le vent peut en parler
quand il rameute sous la soupente
les bruits de la maison.
L’ombre les recouvrait.
Elle te semble aujourd’hui
plus tenace, plus durable,
même si parfois, du lieu très reculé, la rumeur
de la mer
éclate comme un fanal.
XVI
Sur la lande
rien qu’une eau légèrement remuée,
un sens à peine éclos,
un accueil qui tarde.
Le silence en frémit, annonçant et gardant,
tout à la fois, l’évènement à venir.
Poème, peut-être
ou envol d’ailes ?
Déploiement à l’instant de la séparation
quand le ciel enferme ce qui va s’y nicher.
XVII
Sous un ciel
qui n’est pas étranger,
tu vas
méditant le pas
qui te précède.
Tu lui parles
comme à l’ami
resté après les autres.
La phrase, souplement,
coule ainsi la rivière
dans les herbes.
Enfin tu t’arrêtes,
le pas disparaît,
le ciel, d’un jour étrange,
se teinte,
et tu te tais.
Revue « Poésie partagée »
Editions Folle Avoine, 35850 Romillé, 1984
Du même auteur :
« Aucun de nous … » (28/03/2016)
« Mais la douleur s’avoue vivace... » (14/06/2019)