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Le bar à poèmes
20 avril 2020

Tristan Corbière (1845 – 1875) : Sous un portrait de Corbière

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Sur un portrait de Corbière

en couleurs fait par lui

et daté de 1868

 

 

              Jeune philosophe en dérive

              Revenu sans avoir été,   

              Cœur de poète mal planté :

              Pourquoi voulez-vous que je vive ?

 


 
L’amour !... je l’ai rêvé, mon cœur au grand ouvert

Bat comme un volet en pantenne

Habité par la froide haleine

Des plus bizarres courants d’air ;

Qui voudrait s’y jeter ?... pas moi si j’étais ELLE !...

Va te coucher, mon cœur, et ne bats plus de l’aile. 


 
J’aurais voulu souffrir et mourir d’une femme,

M’ouvrir du haut en bas et lui donner en flamme,

Comme un punch, ce cœur-là, chaud sous le chaud soleil...

Alors je chanterais (faux, comme de coutume)

Et j’irais me coucher seul dans la trouble brume

Éternité, néant, mort, sommeil, ou réveil.


 
Ah si j’étais un peu compris ! Si par pitié

Une femme pouvait me sourire à moitié,

Je lui dirais : oh viens, ange qui me consoles !...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

... Et je la conduirais à l’hospice des folles.

 
On m’a manqué ma vie !... une vie à peu près ;

Savez-vous ce que c’est : regardez cette tête.

Dépareillé partout, très bon, plus mauvais, très

Fou, ne me souffrant... Encor si j’étais bête !


 
La mort... ah oui, je sais : cette femme est bien froide,

Coquette dans la vie ; après, sans passion.

Pour coucher avec elle il faut être trop roide...

Et puis, la mort n’est pas, c’est la négation.


 
Je voudrais être un point épousseté des masses,

Un point mort balayé dans la nuit des espaces,

              ...Et je ne le suis point !


 
Je voudrais être alors chien de fille publique,

Lécher un peu d’amour qui ne soit pas payé ;

Ou déesse à tous crins sur la côte d’Afrique,

Ou fou, mais réussi ; fou, mais pas à moitié.

 

Poèmes retrouvés,

In, Tristan Corbière : « Oeuvres complètes »

Editions Gallimard (La Pléiade), 1970

Du même auteur :

La Fin (29/05/2014)

La pastorale de Conlie (29/05/2015)

Epitaphe (29/05/2016)

Petit mort pour rire (20/10/2018)

Au vieux Roscoff (20/04/2021)

« Mousse : il est donc marin, ton père ?… » (28/09/2022) 

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