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Le bar à poèmes
31 mars 2020

Nizar Quabbani (1923 – 1998) / نـزار قـبـّانـي : « Quand je t’ai dit : / « Je t’aime »... »

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- 3 -

Quand je t’ai dit :

« Je t’aime »

je savais...

que je menais un coup d’Etat contre les coutumes de la tribu

que je sonnais les cloches du scandale

je voulais prendre le pouvoir

pour rendre les forêts du monde plus feuillues

les mers du monde plus bleues

les enfants du monde plus innocents

je voulais...

mettre fin à l’ère de la barbarie

et tuer le dernier Calife

j’avais l’intention – quand je t’ai aimée –

de briser les portes du harem

de sauver les seins des femmes...

des dents des hommes...

de faire danser gaiement

leurs mamelons dans l’air

comme les pommettes de l’azérolier...

 

Quand je t’ai dit :

« Je t’aime »

je savais...

que j’inventais un nouvel alphabet

pour une ville qui ne lit pas...

que je chantais ma poésie dans une salle vide

que je servais du vin

à ceux qui ignorent la grâce de l’ivresse.

 

Quand je t’ai dit :

« Je t’aime »

je savais... que les sauvages me poursuivraient

avec des lances empoisonnées et des flèches

que ma photo...

serait collée sur les murs

que mes empreintes...

seraient diffusées dans tous les commissariats

et que le prix fort serait donné

à celui qui leur apporterait ma tête

afin qu’elle soit exposée à la porte de la ville

... comme une orange palestinienne

quand j’ai écrit ton nom sur des cahiers de roses,

je savais que tous les illettrés s’opposeraient à moi

toute la famille ottomane... contre moi

tous les derviches... et les fez contre moi

tous les chômeurs de l’amour de père en fils... contre moi

et tous les pustuleux du sexe...

contre moi...

Quand j’ai décidé de tuer le dernier Calife

et de proclamer un Etat pour l’Amour

dont tu serais la petite reine...

je savais...

que seuls les oiseaux...

déclaraient la révolution à mes côtés...

 

- 4 –

Quand Allah a distribué les femmes aux hommes

et t’a donnée à moi...

j’ai senti...

qu’il s’est mis de mon côté ostensiblement

il a contredit tous les livres célestes qu’il a composés

il m’a donné le vin leur a donné le blé

il m’a vêtu de soie et les a vêtus de coton

il m’a offert la rose

et leur a offert la branche...

 

Quand Allah m’a fait faire ta connaissance...

puis est rentré chez lui

j’ai pensé... à lui écrire une lettre

sur des feuilles bleues

la mettre dans une enveloppe bleue

la laver avec des larmes bleues,

je l’aurais commencée avec ces mots : mon ami.

J’aurais voulu le remercier

parce qu’il t’avait choisie pour moi...

car Allah – à ce qu’on m’a dit –

ne reçoit que les lettres d’amour

et il ne répond qu’à celles-ci...

 

Quand j’ai reçu ma récompense

et suis revenu te portant dans mes paumes

comme une fleur de magnolia

j’ai embrassé la main d’Allah...

j’ai embrassé la lune et les astres

l’un après l’autre

j’ai embrassé les montagnes... les vallées

les ailes des moulins

embrassé les grands nuages

et ceux qui vont à l’école

j’ai embrassé les îles imprimées sur les cartes

et celles qui sont encore dans la mémoire des cartes

j’ai embrassé les peignes avec lesquels tu te peignerais

les miroirs sur lesquels tu serais dessinée

et toutes les colombes...

qui porteraient sur leurs ailes

la dot de ton mariage.

 

(Cent lettres d’amour)

 

Traduit de l’arabe par Saleh Diab

in, « Poésie syrienne contemporaine. Edition bilingue »

Le Castor Astral, éditeur, 2018

Du même auteur :

Mots (31/03/2021)

Au café (31/03/2022)

Leçon d’art plastique (31/03/2023

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