Mémoire II
EPHESE
Il parlait assis sur un marbre pareil
au débris d’un portail antique ;
la plaine à droite immense et vide
et de la montagne à gauche descendaient les ombres du soir :
« Le poème est partout. A son côté
parfois ta voix s’avance
comme le dauphin accompagne un instant
une voile d’or dans le soleil
et disparaît. Le poème est partout
comme les ailes du vent dans le vent
qui ont touché un peu les ailes de la mouette.
Pareils à notre vie, et autre, de même
que change et ne change pas le visage
d’une femme qui s’est mise nue. Tous ceux
qui ont aimé le savent : à la lumière des autres
le monde se corrompt ; toi au moins souviens-toi
Hadès et Dionysos, même chose. »
Il dit, puis il prit la grande route
qui mène à l’ancien port, aujourd’hui noyé
dans les joncs. Le crépuscule
autant que pour la mort d’une bête
était nu.
Je me souviens encore : il voyageait
au fin fond de l’Ionie, vers des théâtres coquilles vides
où le lézard seul se traîne sur une pierre sèche ,
et je lui demandai : « Se rempliront-ils un jour ? »
Il répondit : « Peut-être, à l’heure de la mort. »
Puis il courut dans l’orchestre, hurlant :
« Laissez-moi écouter mon frère ! »
Et le dur silence autour de nous
n’entaillait pas la vitre de l’azur.
Journal de bord III
Traduit du grec par Michel Volkovitch
in, « Anthologie de la poésie grecque contemporaine, 1945 – 2000 »
Editions Gallimard (Poésie), 2000
Du même auteur :
Hélène (17/09/2015)
Aveugle (01/02/2019)