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Le bar à poèmes
28 janvier 2020

Whalt Whitman (1819 - 1892) : Calamus

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Calamus

 

PAR DES SENTIERS VIERGES

 

Par des sentiers vierges,

Par des maquis touffus sur la marge des étangs,

M’étant échappé de la vie qui se donne en spectacle,

M’étant évadé des normes jusqu’ici reconnues, des plaisirs, profits et milles

     conformismes

Dont je fis si longtemps l’aliment de mon âme,

Claires à mes yeux désormais les normes encore tenues secrètes, clair à mes

     yeux que l’âme,

Mon âme humaine pour qui je parle se plaît à l’amitié des camarades,

Seul dans mon coin, à l’écart du tapage du monde,

En concert avec les mots des langues aromatiques,

Toute honte bue (car dans ce coin discret je peux enfin répondre comme je ne

     l’eusse osé nulle part ailleurs),

Prégnante en moi la vie qui ne se publie pas mais est pourtant exhaustivement

     inclusive,

Résolu à ne plus chanter aujourd’hui que des chants d’affection virile,

Médités à l’ombre de cette vie substantielle,

Léguant en héritage des types d’amour athlétique,

L’après-midi de ce délicieux neuvième Mois de mon année quarante et une,

Parlant au nom de tous ceux qui furent ou sont jeunes gens,

J’affiche le secret de mes jours et de mes nuits,

Célèbre mon besoin de camarades.

 

MON SEIN A TOISON D’HERBE PARFUMEE

 

Mon sein à toison d’herbe parfumée,

Je te cueille des pages où j’écris, qui seront lues plus tard, avec plus de

     noblesse,

Feuilles tombales, pages corporelles me dépassant en hauteur, dépassant la

     mort,

Racines pérennes, feuilles élancées, feuilles délicates que l’hiver, ah certes

     non ! ne brûlera pas,

Année après année vous fleurirez, laissant vos souterrains pour de nouveau

     paraître au jour ;

Bien sûr je ne sais si, passant près de vous, les foules vous verront, inhaleront

     votre parfum discret, mais quelques-uns, oui je le crois ;

Mes feuilles, mes pages graciles ! Vous les fleurs de mon sang ! Je vous

     autorise à dire, à votre guise, le cœur qui bat en vous,

Sais-je seulement ce qu’il veut dire, ce cœur, là, tout en dessous de vous, vous

     n’êtes pas que bonheur,

Plus que je ne l’accepte souvent vous êtes amères, vous me brûlez par vos

     brûlures,

Mais vous êtes si belles, petites racines colorées qui m’évoquez la mort,

Par vous la mort est somptueuse (car qu’y a-t-il de beau pour finir que la mort

     et l’amour ?)

Et les psaumes aux amants que je compose sur vous touchent moins à la vie

     qu’à la mort, je le crains,

Tant leur solennité, tant leur sérénité s’enfle et monte jusqu’aux sphères

     amoureuses,

D’ailleurs mort ou vie me sont une, mon âme décline de choisir

(N’étant pas sûr que l’âme noble des amants n’accueille pas mieux la mort),

Que dis-je, mort, mes feuilles n’ont-elles pas le même sens exact que toi ?

Montez pour nous faire voir, montez plus haut feuilles délicates de mon sein !

Quittez la prison du cœur, ouvre-vous !

Ne vous repliez pas si timidement sur vos racines rose pâle,

Ne faites pas humblement les modestes, pâture de mon torse !

Allons, j’ai décidé de mettre à nu mon large torse, assez vécu dans l’ombre,

     assez étouffé !

Capricieuses lancéoles emblématiques je vous abandonne, vous ne m’êtes plus

     utiles,

Je dis clairement ce que j’ai à dire,

Je nous proclame très haut mes camarades et moi, plus jamais ne lancerai

     d’appel qui n’émane d’eux,

Qui ne résonne d’accents immortels à travers nos Etats,

Désormais, aux amants, je donne l’exemple de forme et direction permanentes

     pour tous nos Etats,

Par moi les mots auront légende de rendre la mort enivrante,

Mort, donne-moi ton diapason auquel m’accorder,

Donne-toi à moi puisque tu m’appartiens suprêmement et qu’avec l’amour

     vous êtes ensemble indissolubles,

Je ne te laisserai plus m’aveugler davantage par ce que je nommais la vie

Tant il m’est devenu clair aujourd’hui que tu es le dessein essentiel,

Mystérieusement dissimulé en les mouvances changeantes de l’existence

     d’abord faites pour toi,

D’au-delà desquelles tu émanes immuable réelle réalité,

Patientant interminablement, s’il le faut, derrière le masque de la matière,

Toi qui, un jour peut-être, contrôleras tout,

Et dissiperas peut-être l’entier spectacle des apparences,

Tant il m’est clair que tu dois être le plan premier, mais qui sait ! de durée

     éphémère,

Tandis que toi dureras longtemps.

 

TOI QUI QUE TU SOIS, QUI ME TIENS A CETTE HEURE DAND TA MAIN

 

Toi qui que tu sois, qui me tiens à cette heure dans ta main,

L’absence d’une seule chose rendra tout inutile,

Laisse-moi t’avertir avant que tu ne m’essaies plus loin :

Je suis tellement différent de celui que tu crois.

 

Qui donc s’apprête à devenir mon sectateur ?

Qui se déclare candidat à mes affections ?

 

Route douteuse, résultat incertain, voire destructeur !

Obligation de tout abandonner, moi seul devenant ton critère unique et

     exclusif,

Perspective de noviciat long et épuisant,

Devoir de quitter les théories de vie anciennes et la conformité à ton entourage,

Allez, ne te fais plus de souci, lâche-moi, ôte tes mains de mes épaules,

Chasse-moi de tes pensées, passe ton chemin.

 

Encore qu’au secret des sous-bois, à l’essai,

A l’abri d’un rocher en plein air

(Jamais je ne me trahis sous les toits des maisons, jamais en société,

Quant aux bibliothèques j’y fais le mort, le balourd, l’inconçu),

Au sommet d’une colline, pourquoi pas, après avoir inspecté à la ronde pour

     voir si personne n’approchait en cachette,

Ou bien en mer, avec toi, en voilier, sur une île tranquille, sur une plage,

Je te donne permission de déposer un baiser sur mes lèvres,

Un long baiser affectueux de camarade ou de nouveau marié,

Car je suis tout ensemble époux et camarade.

 

Préfères-tu me fourrer sous tes habits,

Où je sente ton cœur battre ? Ou bien contre ta hanche,

Voyageant avec moi sur la terre ou sur l’eau ?

Suffit que je te frôle, ce que j’aime le mieux,

J’aimerai dormir en silence, à peine te frôlant et voyageant à l’infini !

 

A tes risque et périls, la lecture de mes pages,

Tu n’y comprendras rien pas plus qu’à moi,

Le sens t’échappera en mystère croissant, çà oui, je te fuirai,

A la minute même où tu croiras m’avoir durablement rattrapé, ô surprise !

Je serai déjà tellement loin de toi.

 

Je n’ai pas fait ce livre pour son contenu,

Ta lecture ne te le communiquera pas,

On ne me connaît pas mieux quand on m’admire, quand on ne tarit pas

     d’éloges sur moi,

Les candidats à mon amour (deux ou trois exceptés) ne gagneront pas,

Mes poèmes ne feront pas seulement le bien, ils feront le mal, peut-être

     même plus de mal que de bien,

C’est peine perdue si tu veux toucher du doigt ce qu’il faut deviner seulement,

     que je suggère ;

Allons bon, lâche-moi, passe ton chemin !

 

POUR TOI DEMOCRATIE

 

Oui, je ferai ce continent inaltérable,

Ferai la plus splendide race sur laquelle le soleil ait brillé,

Ferai cette terre divine magnétiquement,

     Par l’amour des camarades,

          Par le fidèle amour des camarades.

 

Je planterai communauté de compagnons aussi drue que les arbres sur les rives

     des rivières d’Amérique, sur les rivages des grands lacs, à la surface des

     prairies,

Je rendrai les cités indénouables avec leurs bras au cou

     l’une de l’autre

     Par l’amour des camarades

          Par le viril amour des camarades.

 

Pour toi, Démocratie, pour te servir ma femme !

Pour toi, mes chants, mes chants trillés.

 

CES VERS QUE JE CHANTE AU PRINTEMPS

 

Ces vers que je chante au printemps pour les amants sont recueil

(Qui, sauf moi, comprend les amants, leurs peines, leurs joies,

Qui, sinon moi, le poète des camarades ?),

Les cueillant recueillant à travers le jardin notre monde, voici que je franchis

     les portes,

Longe la rivière de l’étang, patauge un peu sans crainte de me mouiller,

Atteins la palissade, pieux et barreaux, où les vieilles pierres sorties des

     champs furent jetées en tas

(Fleurs sauvages, liserons, ivraies poussent parmi elles, les dissimulent, je

     passe mon chemin),

M’enfonce très loin dans la forêt, ou bien ce sera l’été un peu plus tard, je

     flâne, j’hésite sur la voie,

Seul, hume le parfum du terreau, m’arrête çà et là dans le silence,

N’étais-je pas seul ? non, voici que m’entoure une troupe

A ma droite les uns, d’autres derrière, puis on me prend le bras, le cou,

C’est une foule de plus en plus dense, moi au milieu d’eux les esprits de mes

     amis vivants ou morts,

Et voici qu’en ces lieux écartés je cueille, je donne à la ronde, je chante,

Prends pour cadeau la première chose venue que je lance au premier voisin

     venu,

Tiens, ce lilas avec une branche de pin,

Tiens, cette mousse, au fond de ma poche, cueillie par mes propres soins à un

     chêne vert de Virginie d’où elle pendait en traîne,

Tiens, ces œillets, ce laurier, cette poignée de sauge,

Et ces floraisons d’eau arrachées à fond de gué de l’étang

(Lieu de notre ultime rencontre à moi et mon ami tendre, qui est revenu pour ne

     plus me quitter,

C’est pourquoi cette tige de jonc, ce calame, ce calumet, ah ! je le veux

     dorénavant, sera l’emblème des camarades,

Jeunes gens faites-en circulation entre vous, ne souffrez pas qu’on vous le

     rende !)

Et ces baguettes de bouleau, ce bouquet de châtaignes, d’oranges sauvages,

Ces tiges de groseillier, ces fleurs de prunier, ce cèdre aromatique.

Et moi, toujours allant aux bras d’une nuée pressante de fantômes,

Touche ici, montre du doigt là, lance mollement au loin fleurs ou fruits,

Disant et donnant à chacun son dû ;

Bien que me réservant le fruit de ma cueillette aux rives de l’étang,

Dont je ne ferai jamais don qu’aux amants dont le pouvoir d’amour égale le

     mien.

 

BIEN MOINS DANS CES SOUPIRS QUI SOULEVENT

LA CAGE DE MES CÖTES

 

Bien moins dans ces soupirs qui soulèvent la cage de mes côtes,

Bien moins dans ces soupirs nocturnes où s’exhale ma rage insatisfaite,

Bien moins dans ces excessivement longs soupirs réprimés à grand-peine,

Bien moins dans maint serment ou promesse brisés,

Bien moins dans mon vouloir à l’âme tenace et sauvage,

Bien moins dans le nourrissement insubstantiel de l’air,

Bien moins dans les marteaux cogna nt à mes poignets, à mes tempes,

Bien moins dans le curieux systole-diastole interne qui un jour cessera,

Bien moins dans ces mille vœux avides confiés au seul ciel,

Bien moins dans ces cris, ces rires, ces défis que je fais exploser seul en pleine 

     forêt,

Bien moins dans ces râles rauques entre les dents tenues l’une contre l’autre,

Bien moins dans la musique réverbérée des mots, le bavardage, l’écho, la mort

     des mots,

Bien loin dans le murmure rêveur qui traverse mon sommeil,

Ou dans l’autre murmure de l’incroyable rêve éveillé,

Bien moins dans les membres, les sens de mon corps qui sans cesse vous

     saisissent, vous démissionnent – oui,

Bien moins ai-je besoin que tu paraisses dans l’un quelconque d’eux ou dans

     tous, ô adhésivité,

Ô toi sang de ma vie, que tu n’apparaisses ici même dans mes chants.

 

QUANT AU DOUTE ANGOISSANT SUR LES APPARENCES

 

Quant au doute angoissant sur les apparences,

Quant à cette inquiétude, somme toute, que nous serions trompés,

Qu’espoir, confiance en soi ne seraient qu’hypothèses,

Qu’identité après la mort, une fable magnifique,

Que les choses que je vois, qui sait, animaux, hommes, arbres, montagnes,

     eaux vives et brillantes,

Ciel du jour, ciel nocturne, couleurs, densité, formes, ne sont (c’est d’ailleurs

     vrai) qu’apparitions, que le réel en soi est encore à connaître

(Je ne compte plus les fois où émanant d’elles-mêmes je suis trompé, je suis

    moqué par elles,

Le nombre de fois où je me prends à penser que moi ni aucun homme

     n’entendons rien à elles),

Que le réel donc ne me semble ce qu’il est (et c’est sans doute le cas) que du

     point de vue où je suis, et qu’il pourrait bien s’avérer (ce qui est assez

     vraisemblable) tout autre qu’il me semble, voire ne pas être du tout, si les

     points de vue étaient totalement différents ;

Ces doutes, ces soupçons, curieusement, dans mon cas, trouvent leur réponse

     chez mes amants, chez mes amis,

Comme lorsque l’ami que j’aime voyage à mon côté ou qu’il me tient la main,

Comme lorsque l’air subtil, insaisissable, au point que les mots ni la raison ne

     semblent plus tenir, nous berce, nous entoure,

Car alors je me sens lourd d’une inouïe et incommunicable sagesse, et je me

     tais, je ne demande rien,

Bien incapable de résoudre la question des apparences ou de l’identité après la

     mort,

Je suis indifférent, je suis satisfait, que je sois assis ou que je marche,

Celui qui a cure de ma main m’a pleinement assouvi.

 

AU PRINCIPE DE TOUTE METAPHYSIQUE

 

Et maintenant messieurs,

Incrustez bien dans vos mémoires et vos esprits

Ceci qui est prémisse et finale de toute métaphysique.

 

(Ecoutons le vieux professeur s’adresser à l’amphithéâtre

Comble d’étudiants, au terme de sa leçon.)

 

Ayant étudié anciens et modernes, systèmes grecs et allemands,

Kant ayant fait l’objet de mon cours professé, comme Fichte, Schelling, Hegel

Ayant professé Platon et Socrate qui est plus grand que Platon,

Et plus apte encore à l’enseignement et à l’exégèse que Socrate, Jésus-Christ le

     fils divin ayant fait l’objet de mes longues recherches,

Je vois aujourd’hui en rétrospective les systèmes grecs et allemands,

Je vois toutes les philosophies, les Eglises chrétiennes, les dogmes chrétiens,

Et cependant, derrière Socrate, et cependant derrière Jésus-Christ qui est Dieu

     je vois

L’amour tendre de l’homme pour son compagnon, l’attirance de l’homme pour

     l’ami,

De l’époux heureusement uni pour son épouse, des enfants pour leurs parents,

De la cité pour l’autre cité ou des pays entre eux.

 

MEMORIALISTES DANS LES AGES FUTURS

 

Mémorialistes dans les âges futurs,

Approchez, je voudrais vous faire passer sous la surface de mon apparence

     impassible, vous racontez ce que vous devez dire de moi,

Et donc, publiez mon nom, accrochez mon portrait comme celui de l’amant le

     plus tendre,

Le portrait de l’amant ami, dont l’ami son amant fut le plus amoureux,

Et qui jamais ne tira fierté de ses chants, bien moins que de l’illimité océan

     d’amour contenu en lui, qu’il versa à foison,

Qui marcha seul, bien souvent, pensant à ses chers amis, ses amants,

Qui connut les affres de l’insomnie, bien souvent, par mélancolie d’être séparé

     de celui qu’il aimait,

Et qui souffrit tellement de l’épuisante crainte de savoir son amant n’avoir pour

     lui qu’indifférence secrète,

Et dont les jours de bonheur se passèrent dans les champs, les bois, sur les

     collines tout au loin, marchant avec un autre, main dans la main, tous les

     deux ensemble à l’écart des autres hommes,

Et qui, comme il flânait au hasard des rues, souvent passa le bras au cou de son

     ami cependant que le bras de son ami entourait son cou.

 

AU SOIR LA NOUVELLE M’EST VENUE

 

Au soir la nouvelle m’est venue qu’au Capitole on avait ovationné mon nom et

     la nuit, cependant, pour moi, ne fut pas heureuse,

Pas plus qu’en d’autres occasions pourtant fastes pour mes projets ou certains

     jours de festoiement,

Mais quand un beau matin sortant du lit de la santé parfaite, en forme,

     chantant, humant à pleines narines l’odeur mûre de l’automne,

J’ai vu décroître à l’ouest puis s’effacer dans le blanc de l’aube la pleine lune,

Et qu’allant seul dessus la plage, je me suis déshabillé, et me suis baigné riant

     tout seul dans la fraîcheur de l’eau, et que j’ai vu le lever du soleil,

Pensant qu’à la minute même mon cher ami, mon amant était en route, oui

     alors quel bonheur !

Oh ! la douceur accrue de chaque vague d’air dans mes poumons et combien

     plus appétissante la nourriture tout au long de cette journée magnifique,

Ma joie restant égale le lendemain, jusqu’au soir du jour suivant qui m’amena

     mon ami,

Et j’entendis cette nuit là au milieu du silence l’incessante montée régulière des

     rouleaux sur le rivage,

Le sifflement joyeux du liquide et du sable chuchotant comme exprès pour moi

     leurs congratulations,

Car l’amour qui m’est cher dormait à mon côté sous la même couverture dans

     la nuit froide,

Sous les rayons de la lune, dans la sérénité, son visage tourné vers moi,

Son bras encerclant légèrement mes épaules – et cette nuit-là je connus le      

     bonheur.

 

ÊTES -VOUS L’HOMME NOUVEAU

ATTIRE PAR MON INFLUENCE ?

 

Êtes-vous l’homme nouveau attiré par mon influence ?

D’abord, méfiez-vous, je suis probablement aux antipodes de celui que vous

     croyez ;

Êtes-vous si sûr de rencontrer votre idéal en moi ?

Croyez-vous que ce sera si facile de vous faire aimer par moi ?

Croyez-vous que mon amitié sera pour vous une satisfaction sans partage ?

Me croyez-vous si fidèle et si sûr ?

Vos yeux s’arrêtent-ils à la façade, mes manières suaves et patientes ?

Vous sentez-vous marcher sur la terre ferme à la rencontre d’un vrai héros ?

Ô rêveur ! imaginez un peu que tout cela ne soit qu’illusion, que maya !

 

EN SOI SEUL CE SONT FEUILLES ET RACINES

 

En soi seul ce sont feuilles et racines,

Que ces parfums sensibles à l’homme et à la femme dans les sous-bois

     sauvages, sur le bord des étangs,

Que les œillets d’amour, que les surelles des seins, que les doigts se liant

     plus enlacés que vignes,

Que la pluie musicale du gosier de l’oiseau caché dans le feuillage au lever du

     soleil,

Que les alizés de la terre et de l’amour soufflant des rives de la vie vers la mer

     vive où vous êtes, ô marins !

Que les baies attendries par le gel, que les ramilles du troisième Mois tendues à

     neuf aux jeunes que le dégel invite aux champs,

Que les bourgeons d’amour en vous ou devant vous, qui que vous soyez,

Bourgeons qui vont éclore selon les vieux usages,

Et qui s’ouvrant sous votre chaude caresse de soleil vous donneront forme,

     couleur, parfum,

Se feront fleurs et fruits, branches et arbres, sous l’aliment de vos pluies.

 

FLAMMES NE BRÜLENT NI NE CONSUMENT

 

Flammes ne brûlent ni ne consument,

Vagues n’accourent ni ne refluent,

Délicieux et léger air d’été, saison mûre, ne porte blanches boules duveteuses

     aux myriades de graines,

Que ses souffles entraînent, voiles gracieuses, sur la terre au hasard,

Plus légèrement, ah non ! que mes flammes à moi ne me brûlent, ne me

     consument pour son amour, celui que j’aime,

Plus précipitamment que mes vagues n’accourent ni ne refluent :

Dit-on que la marée, dans sa course, dans sa quête, ne cesse jamais ? Ainsi de

     moi,

Qui plus que boules duveteuses ou parfums, ou hautes nuées émettrices des

     pluies emportées par les airs,

Ai l’âme librement diffusée dans l’amplitude de l’air,

Confiance cardinale, en tous ses souffles ô mon amour, allant à l’amitié, allant

vers toi.

 

UNE A UNE, GOUTTES, TOMBEZ !

 

Une à une, gouttes, tombez ! en quittant mes veines bleues !

Qui êtes à moi ! une à une, lentement,

Candidement, vous qui saignez, une à une,

Des plaies qui vous libèrent de votre prison,

De mon visage, de mon front, de mes lèvres,

De mon cœur, de la nuit intime où je me cachais, gouttes rouges exprimées,

     gouttes de confession,

Maculez une à une mes pages, maculez mes chansons, le moindre mot dit par

     moi, gouttes sanglantes,

Apprenez-leur votre chaleur écarlate, votre lueur vermeille,

Saturez-les de votre grande honte mouillée,

Rougeoyez sur tous mes écrits passés ou à venir, gouttes qui saignez,

Tout doit être vu à votre lumière, gouttes timides !

 

VILLE DES ORGIES

 

Ville des orgies, des bois, des balades,

Ville que le fait d’avoir vécu et chanté en ton sein rendra illustre un jour,

Ni tes cortèges, ni tes changeants décors, ni tes spectacles ne me paient,

Ni tes interminables alignements de maisons, ni tes bateaux à quai,

Ni tes processions dans les rues, ni tes vitrines brillantes de nourritures,

Ni mes conversations avec tes doctes, ni ma part prise à tes fêtes, tes soirées ;

Non, absolument rien de tout cela, mais quand je croise, ô Manhattan, ces

     vives, ces innombrables promesses d’amour dans tes yeux,

Qui répondent à mes propres offres – c’est cela mon salaire,

Les amants, les continuels amants, il n’y a qu’eux qui me paient.

 

REGARDEZ-MOI CETTE PEAU BASANEE

 

Regardez-moi cette peau basanée, ces yeux gris,

Cette barbe, cette laine blanche mal taillée sur mon cou,

Ces mains brunes, cette attitude silencieuse dénuée de charme, la mienne ;

Et puis tout à coup surgit un Manhattanien , qui me posera un baiser léger sur

     les lèvres, preuve solide d’amour, en nous quittant,

Et moi, carrefour de rue ou pont de bateau, je lui retourne son baiser,

En toute circonstance, terre ou mer, respectant la façon de saluer de deux

     camarades américains,

Nonchalamment naturels, eux, c’est-à-dire nous.

 

EN LOUISIANE J4AI VU GRANDIR UN CHÊNE VERT

 

En Louisiane, j’ai vu grandir un chêne vert,

Tout seul dans son coin, de la mousse pendait à ses branches,

Il poussait là, sans compagnon, émettant joyeusement se feuilles vert sombre,

Et, à le voir, aussi droit, aussi frustre, aussi plein de sève, je me dis que c’était

     moi,

Seulement je me demandai comment il pouvait bien émettre joyeusement ses

     feuilles, là, tout seul, sans ami à côté de lui, car, pour moi, je savais que ce

     n’était pas possible,

Alors j’ai cassé un rameau avec un certain nombre de feuilles dessus, je l’ai

     entouré d’un manchon de mousse,

Je l’ai emporté avec moi, je l’ai mis bien en vue dans ma chambre,

Sans qu’il me serve aucunement à me souvenir de mes chers amis

(Car eux ces derniers temps, ne quittent plus guère mes pensées),

Mais faisant bizarrement figure de symbole, d’image de l’amour viril,

Malgré tout, le chêne vert en question a beau resplendir dans sa Louisiane

     natale là-bas, tout seul au milieu de sa grande plaine plate,

En émettant joyeusement ses feuilles toute sa vie durant sans la proximité d’un

     ami ou d’un amant,

Moi je sais bien que je n’y arriverai pas.

 

ETRANGER, ETRANGERE QUI PASSES

 

Etranger, étrangère qui passes ! sais-tu tout le désir qu’il y a dans mes yeux

     pour toi,

Que tu ne sois pas celui, celle que je cherchais (ne suis-je pas dans un rêve ?)

     est impossible,

Il faut qu’ailleurs, ensemble, nous ayons connu une existence de bonheur,

Car nos routes se croisent, fluides, affectueuses, chastes, mûres, et tout revient

     à la mémoire,

Tu as été garçon ou fille, à mes côtés, dans ton enfance,

Nous avons partagé nos repas, le même lit, nos corps l’un à l’autre ont grandi

     sans plus s’appartenir  à eux seuls,

Tu m’offres dans la rue le plaisir de tes yeux, de ton visage, de ta chair, et tu

     prends en retour le plaisir de mes mains, de ma barbe, de mes épaules,

Il ne me sera pas échu de te parler, mais de penser à toi assis dans mon coin,

     veillant au fond de la nuit,

L’attente m’est promise, je ne doute pas que nous nous croisions un jour à

     nouveau,

Déjà je fais en sorte, alors, de ne plus te perdre ;

 

PENSIF ET LANGUISSANT EN CETTE MINUTE MEME

 

Pensif et languissant en cette minute même, assis, dans mon coin,

Me vient à l’esprit l’image d’autres êtres humains en des terres lointaines aussi

     pensifs et languissants que moi,

D’ici je me les imagine, je les vois en Allemagne, en Italie, en France, en

     Espagne,

Ou tout au bout de la terre, en Chine, en Russie, au Japon, parlant des

     dialectes différents,

Et si j’avais le moyen de les connaître, ces hommes, me dis-je, ne leur

     deviendrais-je pas aussi attaché qu’aux hommes de mon pays,

Mais si ! je sais que nous serions fières et amants,

Et qu’ensemble nous serions heureux.

 

J’APPRENDS QU’ON M’ACCUSE

 

J’apprends qu’on m’accuse d’avoir voulu détruire les institutions,

En vérité je ne suis ni pour ni contre les institutions.

(Qu’ai-je en commun avec elles ? qu’ai-je à voir avec leur destruction ?)

Si j’ai un but c’est d’établir sur Manhattan, et dans la moindre de nos cités,

     côtière ou intérieure,

Dans les bois, dans les champs, sur les ponts de toutes les quilles de toutes

     les tailles qui entament l’eau,

En l’absence d’édifices, de règles, de garants, de palabres,

L’institution unique du tendre amour des camarades.  

 

ECARTANT L’HERBE DE LA PRAIRIE

 

Ecartant l’herbe de la prairie, respirant son odeur reconnaissable,

J’en attend une correspondance spirituelle,

J’en attend un compagnonnage massif et dru parmi les hommes,

J’attends que des tiges lèvent les mots, les actes, les êtres,

Qu’ils aient l’ampleur de l’air vif, ensoleillé, nourrissant,

Qu’ils aillent leur allure, droite, majestueuse et libre, prenant la tête plutôt que

     suivre,

Qu’ils affichent une audace irrépressible, une peau douce et pulpeuse sans

     l’ombre d’une tache,

Qu’ils dévisagent froidement Présidents, gouverneurs, dans les yeux comme

     pour dire Et vous qui êtes-vous ?

Qu’ils brûlent de la passion terrestre, simple, spontanée, jamais servile,

Qu’ils soient le cœur profond de l’Amérique.

 

QUAND JE PASSE EN REVUE LES GLOIRES ACQUISES

 

Quand je passe en revue les gloires acquises par le héros ou les succès

     prestigieux des généraux, je ne les jalouse pas,

Pas plus que je n’envie le Président en sa Présidence, ou les riches dans leurs

     palais,

Mais lorsque rumeur est faite de la fraternité des amants, quelle fut leur vie,

Leur vie ensemble dans la durée de l’existence, à travers les dangers, la haine,

     immuable infiniment,

A travers l’adolescence, les années du milieu, le vieil âge, quel fut leur degré

     d’affection, de fidélité, d’infaillibilité l’un à l’autre,

Cela me rend pensif – je m’éloigne promptement empli de la jalousie la plus  

     cuisante.

 

ENFANTS ENSEMBLE L’UN A L’AUTRE ATTACHES

 

Enfants ensemble l’un à l’autre attachés,

Ne nous quittant jamais l’un l’autre,

Marchant dans tous les sens du chemin, faisant excursion nord au sud,

Fiers de nos énergies, bras tendus, doigts noués,

En armes et intrépides, mangeant, buvant, dormant, aimant,

N’avouant d’autre loi que la nôtre, marins, soldats, voleurs, chenapans,

Avares, valets, terreur des prêtres, grands buveurs d’air et d’eau, grands

     danseurs de pelouses ou de plages,

Déchireurs de cités, contempteurs de confort, railleur de règles, traqueurs de

     faiblesse,

En bref, menant nos brigandages.

 

CHOSES PROMISES A LA CALIFORNIE

 

Choses promises à la Californie,

Comme aux grandes Plaines pastorales de l’intérieur jusqu’au détroit de Puget

     et de l’Oregon ;

Projetant de séjourner à l’Est encore un peu, bientôt j’irai chez vous, en

     permanence, enseigner le robuste amour américain,

Car vous êtes notre terre promise, oui je le sais, à l’amour et à moi, là-bas vers

     l’intérieur et sur le bord de l’océan occidental ;

Car nos Etats prennent le chemin de l’intérieur et de l’océan de l’Ouest, et moi,

     tantôt, de même.

 

C’EST ICI QUE SONT MES FEUILLES LES PLUS FRËLES

 

C’est ici que sont mes feuilles les plus frêles mais de plus longue durée

     cependant,

C’est ici que j’ombrage et abrite mes pensées, ne les découvrant pas moi –

     même,

Mais les laissant me découvrir bien davantage que le reste de mes poèmes.

 

LA MACHINE A ECONOMISER LE TRAVAIL

 

La machine à économiser le travail,

Je ne l’ai pas inventée, non je n’ai rien inventé,

Donc je n’aurai pas la chance de léguer à ma mort de quoi fonder un hôpital

     ou une bibliothèque,

Non plus que je ne laisserai trace d’un acte quelconque de courage dans les

     mémoires américaines,

Ou de réussite littéraire ou intellectuelle, de livre fait pour les rayons,

Rien que deux ou trois noëls sonnants dans l’air à mon départ,

Pour mes camarades et mes amants.

 

UN PETIT COUP D’ŒIL RAPIDE

 

Un petit coup d’œil rapide par une fente,

On voit une foule d’ouvriers, de cochers attablés autour d’un poêle dans un bar,

     il est tard, c’est une nuit d’hiver, je suis assis incognito dans un coin,

Le jeune garçon qui m’aime et que j’aime s’approche sans bruit, s’assoit tout à

     côté de moi pour me tenir la main,

Dans la cacophonie ambiante, verres trinquées, jurons, histoires grasses, très

     longtemps lui et moi,

Sans presque rien dire, pas un mot, heureux d’être ensemble, satisfaits, nous

     restons là.

 

CETTE FEUILLE POUR SE TENIR ENSEMBLE PAR LA MAIN

 

Cette feuille pour se tenir ensemble par la main ;

Tous, jeunes et vieux, créatures naturelles !

Sur le Mississipi, sur son réseau de bras de bayous tout là-bas !

Canotiers mes amis, et vous mes durs, mécaniciens !

Vos deux tribus plus mille autres cortèges dans les rues !

Je veux infuser parmi vous aussi longtemps qu’il faudra attendre pour vous

     voir spontanément vous prendre l’un l’autre par la main.

 

TERRE MON IMAGE

Terre, mon image,

Tu me sembles si froide, si lointaine en ta volumineuse sphère,

Or vois-tu, je soupçonne quelque chose d’autre ;

Je soupçonne en toi une sauvagerie ne demandant qu’à exploser,

Car un athlète m’aime et je l’aime,

Et mon amour pour lui renferme une telle violence sauvage tout près

     d’exploser,

Que je n’ose pas l’écrire, même dans ces pages-ci.

 

EN UN RËVE J’AI RËVE

En un rêve j’ai rêvé d’une cité inattaquable par le reste de la terre,

Qu’elle était la nouvelle cité des Amis,

Qu’on n’y tenait rien en plus grande estime que la qualité d’amour robuste,

Lequel, à chaque heure, dans les actions de ses héros,

Leurs regards, leurs paroles, éclatait.

 

POURQUOI CROYEZ-VOUS QUE JE PRENNE LA PLUME ?

 

Pourquoi croyez-vous que je prenne la plume ?

Le spectacle du cuirassé aux mesures idéales, passé majestueusement tout à 

     l’heure devant mes yeux en direction du large ?

Ou bien les splendeurs du jour écoulé ? Les splendeurs de la nuit qui

     m’enveloppe ?

La glorieuse expansion de la grande cité étendue autour de moi ? - non ;

Simplement l’histoire de deux hommes ordinaires vus par moi aujourd’hui

     sur la jetée dans la foule, se disant adieu en amis tendres,

Celui restant à terre, bras entourant le cou de l’autre en une étreinte passionnée,

Celui qui s’en allait serrant très fort dans ses bras celui qui restait.

 

POUR L’EST COMME POUR L’OUEST

 

Pour l’Est comme pour l’Ouest,

Pour l’homme de l’Etat côtier, pour l’homme de la Pennsylvanie,

Pour le Kanadien tout au Nord, pour l’homme du Sud que j’aime,

Ces pages fidèles vous dépeignant à mon image, en chacun les mêmes germes,

Car j’ai confiance que le but majeur de nos Etats est de fonder une amitié

     superbe, inouïe, exaltée,

Que je vois promise depuis l’origine, cachée en chacun de nous.

 

ENVERS CELUI QUE J’AIME, QUELQUEFOIS

 

Envers celui que j’aime, quelquefois me prend cette crainte folle que je lui

     prodiguerais sans échange mon amour,

Mais désormais je sais que la réciprocité de l’amour existe, que tôt ou tard vous

     serez payés en retour,

(Naguère, j’ai nourri pour un être une passion ardente et vaine,

Eh bien ! n’ai-je pas écrit mes chants par la grâce de cet amour ?)

 

POUR UN GARCON DE L’OUEST

 

Mille choses à absorber dans mes leçons, pour t’aider à devenir mon élève !

Oui mais si ce n’est pas mon sang qui irrigue tes veines,

Su tu n’es pas élu secrètement par tes amants comme en secret tu les élis toi-

     même

A quoi bon devenir mon élève ?

 

AMOUR, ANCRE IMMUABLE D’ETERNITE !

 

Amour, ancre immuable d’éternité ! Ô femme mon amour !

Mon épouse ! Ma conjointe ! irrésistible en moi plus que je ne saurais dire, ton

     image !

Et puis je me sépare, change de corps, vis une seconde naissance,

Suis éther, ultime réalité athlétique qui me console,

Et je monte, et je flotte aux zones de ton amour, toi l’Homme,

Qui partages ma vie de nomade !

 

DANS LA MULTITUDE

Dans la multitude,

J’en vois un qui me reconnaissant par signes secrètement divins m’a choisi

A l’exclusion de tout proche, parent, épouse, époux, enfant ou frère,

Confusion générale ! sauf lui – il me connaît.

 

Ah, mon amant, parfait égal !

Je me suis ingénié à ce que tu me découvres par tant de biais subtils,

Comptant qu’il en sera de même pour moi lorsque je te rencontrerai.

 

TOI QUE SOUVENT JE FREQUENTE EN SILENCE

 

Toi que souvent je fréquente en silence aux lieux où tu te trouves,

Marchant à tes côtés, m’asseyant à distance, demeurant dans la même pièce,

Ah ! comme tu sais peu de chose du feu électrique que tu fais subtilement

     courir en moi !

 

CETTE OMBRE MON IMAGE

 

Cette ombre mon image qui fébrilement bavarde ou barguigne en quête de son

     gagne-pain,

Je ne compte plus les fois où, me figeant moi-même, je la vois voleter en tous

     sens sous mes yeux,

Je ne compte plus les fois où j’en viens à douter si c’est moi, réellement ;

Mais dès que je noëlle mes chants auprès de mes amants,

Alors plus une seconde de doute, c’est bien moi !

 

MOI, RESPLENDISSANT DE VIE A LA SECONDE MËME

 

Moi,  resplendissant de vie à la seconde même, massif, visible,

Avouant quarante années en la quatre-vingt-troisième année de nos Etats,

Dédié à l’inconnu du siècle suivant ou des suivants

Ces vers : tu n’es pas né, c’est toi qu’ils cherchent.

 

Ti les liras quand de visible je serai devenu invisible

Et visible et massif à ton tour, toi, comprenant mes poèmes, me cherchant,

Rêveras à l’impossible bonheur d’être avec moi, ton camarade ;

Faisons être l’impossible ! (Es-tu sûr, en fait, qu’à la seconde précise, je ne sois

     pas près de toi ?)

 

Traduit de l’anglais par Jacques Darras

In, Walt Whitman :“ Feuilles d’herbes"

Editions Gallimard (Poésie), 2002

Du même auteur :

 Descendance d’Adam / Children of Adam (27/01/2015)

Chanson de moi-même / Song of myself (28/01/2017)

Drossé au sable / Sea - drift (25/07/2017)

Départ à Paumanok / Starting from Paumanok (28/01/2018)

Envoi / Inscriptions (28/01/2019)

Salut au monde ! (28/01/2021)

Chanson de la piste ouverte /Song of the open road (28/01/22)

Sur le bac de Brooklyn / Crossing Brookling ferry (31/07/2022)

La chanson du Grand Répondant - Notre antique feuillage /Song of the answerer / Our old feuillage (28/01/2023)

Chanson des joies / A song of joys (28/01/2024)

 

 

Calamus

 

IN PATHS UNTRODDEN.

 

In paths untrodden,

In the growth by margins of pond-waters,

Escaped from the life that exhibits itself,

From all the standards hitherto publish'd, from the pleasures, profits,

     conformities,

Which too long I was offering to feed my soul,

Clear to me now standards not yet publish'd, clear to me that my soul,

That the soul of the man I speak for rejoices in comrades,

 Here by myself away from the clank of the world,

 Tallying and talk'd to here by tongues aromatic,

No longer abash'd, (for in this secluded spot I can respond as Iwould not dare

      elsewhere,)

 Strong upon me the life that does not exhibit itself, yet containsall the rest,

 Resolv'd to sing no songs to-day but those of manly attachment,

 Projecting them along that substantial life,

 Bequeathing hence types of athletic love,

Afternoon this delicious Ninth-month in my forty-first year,

I proceed for all who are or have been young men,

To tell the secret of my nights and days,

 To celebrate the need of comrades.

 

SCENTED HERBAGE OF MY BREAST.

 Scented herbage of my breast,

 Leaves from you I glean, I write, to be perused best afterwards,

Tomb-leaves, body-leaves growing up above me above death,

Perennial roots, tall leaves, O the winter shall not freeze you delicate leaves,

Every year shall you bloom again, out from where you retired you shall emerge

      again;

O I do not know whether many passing by will discover you orinhale your faint

     odor, but I believe a few will;

O slender leaves! O blossoms of my blood! I permit you to tell in your own

     way of the heart that is under you,

O I do not know what you mean there underneath yourselves, you are not

     happiness,

You are often more bitter than I can bear, you burn and sting me,

Yet you are beautiful to me you faint tinged roots, you make me think of death,

Death is beautiful from you, (what indeed is finally beautiful except death and

     love?)

O I think it is not for life I am chanting here my chant of lovers,

I think it must be for death,

For how calm, how solemn it grows to ascend to the atmosphere of lovers,

 Death or life I am then indifferent, my soul declines to prefer,

(I am not sure but the high soul of lovers welcomes death most,)

Do not remain down there so ashamed, herbage of my breast!

Come I am determin'd to unbare this broad breast of mine, I have long enough

stifled and choked;

 Emblematic and capricious blades I leave you, now you serve me not,

 I will say what I have to say by itself,

 

I will sound myself and comrades only, I will never again utter a call only their

call,

 I will raise with it immortal reverberations through the States,

 I will give an example to lovers to take permanent shape and will through the

      States,

Through me shall the words be said to make death exhilarating,

Give me your tone therefore O death, that I may accord with it,

 Give me yourself, for I see that you belong to me now above all, and are folded

      inseparably together, you love and death are,

Nor will I allow you to balk me any more with what I was calling life,

For now it is convey'd to me that you are the purports essential,

That you hide in these shifting forms of life, for reasons, and that they are

     mainly for you,

That you beyond them come forth to remain, the real reality,

That behind the mask of materials you patiently wait, no matter how long,

That you will one day perhaps take control of all,

That you will perhaps dissipate this entire show of appearance,

That may-be you are what it is all for, but it does not last so very long,

But you will last very long.

 Indeed O death, I think now these leaves mean precisely the same as you mean,

Grow up taller sweet leaves that I may see! grow up out of my breast!

Spring away from the conceal'd heart there!

Do not fold yourself so in your pink-tinged roots timid leaves!

Do not remain down there so ashamed, herbage of my breast!

 Come I am determin'd to unbare this broad breast of mine, I have long enough

      stifled and choked;

 Emblematic and capricious blades I leave you, now you serve me not,

I will say what I have to say by itself,

I will sound myself and comrades only, I will never again utter a call only their

     call,

I will raise with it immortal reverberations through the States,

I will give an example to lovers to take permanent shape and will through the

     States,

Through me shall the words be said to make death exhilarating,

Give me your tone therefore O death, that I may accord with it,

Give me yourself, for I see that you belong to me now above all, and are folded

      inseparably together, you love and death are,

Nor will I allow you to balk me any more with what I was calling life,

For now it is convey'd to me that you are the purports essential,

That you hide in these shifting forms of life, for reasons, and that they are

     mainly for you,

That you beyond them come forth to remain, the real reality,

That behind the mask of materials you patiently wait, no matter how long,

That you will one day perhaps take control of all,

That you will perhaps dissipate this entire show of appearance,

That may-be you are what it is all for, but it does not last so very long,

But you will last very long.

 

WHOEVER YOU ARE HOLDING ME NOW IN HAND.

Whoever you are holding me now in hand,

Without one thing all will be useless,

I give you fair warning before you attempt me further,

I am not what you supposed, but far different.

 

Who is he that would become my follower?

Who would sign himself a candidate for my affections?

 

The way is suspicious, the result uncertain, perhaps destructive,

 You would have to give up all else, I alone would expect to be your sole and

     exclusive standard,

Your novitiate would even then be long and exhausting,

The whole past theory of your life and all conformity to the lives around you

     would have to be abandon'd,

Therefore release me now before troubling yourself any further, let go your

     hand from my shoulders,

Put me down and depart on your way.

 

Or else by stealth in some wood for trial,

Or back of a rock in the open air,

(For in any roof'd room of a house I emerge not, nor in company,

And in libraries I lie as one dumb, a gawk, or unborn, or dead,)

But just possibly with you on a high hill, first watching lest any person for

     miles around approach unawares,

Or possibly with you sailing at sea, or on the beach of the sea or some quiet island,

Here to put your lips upon mine I permit you,

With the comrade's long-dwelling kiss or the new husband's kiss,

For I am the new husband and I am the comrade.

 

Or if you will, thrusting me beneath your clothing,

Where I may feel the throbs of your heart or rest upon your hip,

Carry me when you go forth over land or sea;

For thus merely touching you is enough, is best,

And thus touching you would I silently sleep and be carried eternally.

 

But these leaves conning you con at peril,

For these leaves and me you will not understand,

They will elude you at first and still more afterward, I will certainly elude you,

Even while you should think you had unquestionably caught me, behold!

Already you see I have escaped from you.

 

For it is not for what I have put into it that I have written this book,

Nor is it by reading it you will acquire it,

Nor do those know me best who admire me and vauntingly praise me,

Nor will the candidates for my love (unless at most a very few) prove

     victorious,

Nor will my poems do good only, they will do just as much evil, perhaps more,

For all is useless without that which you may guess at many times and not hit,

     that which I hinted at;

Therefore release me and depart on your way.  

FOR YOU O DEMOCRACY.

Com, I will make the continent indissoluble,

I will make the most splendid race the sun ever shone upon,

I will make divine magnetic lands,

With the love of comrades,

With the life-long love of comrades.

 

I will plant companionship thick as trees along all the rivers of

America, and along the shores of the great lakes, and all

     over the prairies,

I will make inseparable cities with their arms about each other's


      necks,

By the love of comrades,

By the manly love of comrades.

 

For you these from me, O Democracy, to serve you ma femme!

For you, for you I am trilling these songs.

 

THESE I SINGING IN SPRING.

 

These I singing in spring collect for lovers,

(For who but I should understand lovers and all their sorrow and joy?

And who but I should be the poet of comrades?)

Collecting I traverse the garden the world, but soon I pass the gates,

Now along the pond-side, now wading in a little, fearing not the wet,

Now by the post-and-rail fences where the old stones thrown there, pick'd from

     the fields, have accumulated,

(Wild-flowers and vines and weeds come up through the stones and partly

     cover them, beyond these I pass,)

Far, far in the forest, or sauntering later in summer, before I think where I go,

Solitary, smelling the earthy smell, stopping now and then in the silence,

Alone I had thought, yet soon a troop gathers around me,

Some walk by my side and some behind, and some embrace my arms or neck,

They the spirits of dear friends dead or alive, thicker they come, a great crowd,

    and I in the middle,

 Collecting, dispensing, singing, there I wander with them,

Plucking something for tokens, tossing toward whoever is near me,

Here, lilac, with a branch of pine,

Here, out of my pocket, some moss which I pull'd off a live-oak in Florida as it

     hung trailing down,

Here, some pinks and laurel leaves, and a handful of sage,

And here what I now draw from the water, wading in the pondside,

(O here I last saw him that tenderly loves me, and returns again never to

     separate from me,

And this, O this shall henceforth be the token of comrades, this calamus-root

     shall,

Interchange it youths with each other! let none render it back!)

And twigs of maple and a bunch of wild orange and chestnut,

And stems of currants and plum-blows, and the aromatic cedar,

These I compass'd around by a thick cloud of spirits,

Wandering, point to or touch as I pass, or throw them loosely from me,

Indicating to each one what he shall have, giving something to each;

But what I drew from the water by the pond-side, that I reserve,

I will give of it, but only to them that love as I myself am capable of loving.

 

NOT HEAVING FROM MY RIBB'D BREAST ONLY.

 

Not heaving from my ribb'd breast only,

Not in sighs at night in rage dissatisfied with myself,

 

Not in those long-drawn, ill-supprest sighs,

Not in many an oath and promise broken,

Not in my wilful and savage soul's volition,

 

Not in the subtle nourishment of the air,

Not in this beating and pounding at my temples and wrists,

Not in the curious systole and diastole within which will one day cease,

Not in many a hungry wish told to the skies only,

Not in cries, laughter, defiances, thrown from me when alone far in the wilds,

Not in husky pantings through clinch'd teeth,

Not in sounded and resounded words, chattering words, echoes, dead words,

Not in the murmurs of my dreams while I sleep,

Nor the other murmurs of these incredible dreams of every day,

Nor in the limbs and senses of my body that take you and dismiss you

     continually—not there,

Not in any or all of them O adhesiveness! O pulse of my life!

Need I that you exist and show yourself any more than in these songs.

 

OF THE TERRIBLE DOUBT OF APPEARANCES.

 

Of the terrible doubt of appearances,

Of the uncertainty after all, that we may be deluded,

That may-be reliance and hope are but speculations after all,

That may-be identity beyond the grave is a beautiful fable only,

May-be the things I perceive, the animals, plants, men, hills, shining and

     flowing waters,

 The skies of day and night, colors, densities, forms, may-be these are (as

     doubtless they are) only apparitions, and the real something has yet to be

     known,

(How often they dart out of themselves as if to confound me andmock me!

How often I think neither I know, nor any man knows, aught of them,)

May-be seeming to me what they are (as doubtless they indeed but seem) as

     from my present point of view, and might prove (as of course they would)

     nought of what they appear, or nought anyhow, from entirely changed

     points of view;

To me these and the like of these are curiously answer'd by my lovers, my dear

     friends,

When he whom I love travels with me or sits a long while holding me by the

     hand,

When the subtle air, the impalpable, the sense that words and reason hold not,

     surround us and pervade us,

Then I am charged with untold and untellable wisdom, I am silent, I require

     nothing further,

I cannot answer the question of appearances or that of identity beyond the

     grave,

But I walk or sit indifferent, I am satisfied,

He ahold of my hand has completely satisfied me.

 

THE BASE OF ALL METAPHYSICS.

 

And now gentlemen,

A word I give to remain in your memories and minds,

As base and finalè too for all metaphysics. 

 

(So to the students the old professor,

At the close of his crowded course.)

 

Having studied the new and antique, the Greek and Germanic systems,

Kant having studied and stated, Fichte and Schelling and Hegel,

Stated the lore of Plato, and Socrates greater than Plato,

And greater than Socrates sought and stated, Christ divine having studied long,

I see reminiscent to-day those Greek and Germanic systems,

See the philosophies all, Christian churches and tenets see,

Yet underneath Socrates clearly see, and underneath Christ the divine I see,

The dear love of man for his comrade, the attraction of friend to friend,

Of the well-married husband and wife, of children and parents,

Of city for city and land for land.

RECORDERS AGES HENCE.

 

Recorders ages hence,

Come, I will take you down underneath this impassive exterior, I will tell you

     what to say of me,

Publish my name and hang up my picture as that of the tenderest lover,

The friend the lover's portrait, of whom his friend his lover was fondest,

Who was not proud of his songs, but of the measureless ocean of love within

     him, and freely pour'd it forth,

Who often walk'd lonesome walks thinking of his dear friends, his lovers,

Who pensive away from one he lov'd often lay sleepless and dissatisfied at night,

Who knew too well the sick, sick dread lest the one he lov'd might secretly be

     indifferent to him,

 

Whose happiest days were far away through fields, in woods, on hills, he and

     another wandering hand in hand, they twain apart from other men,

Who oft as he saunter'd the streets curv'd with his arm the shoul der of his

     friend, while the arm of his friend rested uponim also.

 

WHEN I HEARD AT THE CLOSE OF THE DAY.

 

When I heard at the close of the day how my name had beenreceiv'd with

     plaudits in the capitol, still it was not a happy night for me that follow'd,

And else when I carous'd, or when my plans were accomplish'd, still I was not

     happy,

But the day when I rose at dawn from the bed of perfect health, refresh'd,

     singing, inhaling the ripe breath of autumn,

When I saw the full moon in the west grow pale and disappear in the morning

     light,

When I wander'd alone over the beach, and undressing bathed, laughing with

     the cool waters, and saw the sun rise,

And when I thought how my dear friend my lover was on his way coming, O

     then I was happy,

O then each breath tasted sweeter, and all that day my food nourish'd me more,

     and the beautiful day pass'd well,

And the next came with equal joy, and with the next at evening came my

     friend,

And that night while all was still I heard the waters roll slowly continually up

     the shores,

I heard the hissing rustle of the liquid and sands as directed to me whispering

     to congratulate me,

For the one I love most lay sleeping by me under the same cover in the cool

     night,

In the stillness in the autumn moonbeams his face was inclined toward me,

And his arm lay lightly around my breast—and that night I was happy. 

 

ARE YOU THE NEW PERSON DRAWN TOWARD ME?

 

Are you the new person drawn toward me?

To begin with take warning, I am surely far different from what you suppose;

Do you suppose you will find in me your ideal?

Do you think it so easy to have me become your lover?

Do you think the friendship of me would be unalloy'd satisfaction?

Do you think I am trusty and faithful?

Do you see no further than this façade, this smooth and tolerant manner of me?

Do you suppose yourself advancing on real ground toward a real heroic man?

Have you no thought O dreamer that it may be all maya, illusion?

 

ROOTS AND LEAVES THEMSELVES ALONE.

 

ROOTS and leaves themselves alone are these,

Scents brought to men and women from the wild woods and pondside,

Breast-sorrel and pinks of love, fingers that wind around tighter than vines,

Gushes from the throats of birds hid in the foliage of trees as the sun is risen,

Breezes of land and love set from living shores to you on the living sea, to you

     O sailors!

Frost-mellow'd berries and Third-month twigs offer'd fresh to young persons

     wandering out in the fields when the winter breaks up,

Love-buds put before you and within you whoever you are,

Buds to be unfolded on the old terms,

If you bring the warmth of the sun to them they will open and bring form,

     color, perfume, to you,

If you become the aliment and the wet they will become flowers, fruits, tall

     branches and trees.

 

NOT HEAT FLAMES UP AND CONSUMES.

 

Not heat flames up and consumes,

Not sea-waves hurry in and out,

Not the air delicious and dry, the air of ripe summer, bears lightly along white

      down-balls of myriads of seeds,

Wafted, sailing gracefully, to drop where they may;

Not these, O none of these more than the flames of me, consuming, burning for

     his love whom I love,

O none more than I hurrying in and out;

Does the tide hurry, seeking something, and never give up? O I the same,

O nor down-balls nor perfumes, nor the high rain-emitting clouds, are borne

     through the open air,

Any more than my soul is borne through the open air,

Wafted in all directions O love, for friendship, for you.

 

TRICKLE DROPS.

 

Trickle drops! my blue veins leaving!

O drops of me! trickle, slow drops,

Candid from me falling, drip, bleeding drops,

From wounds made to free you whence you were prison'd,

From my face, from my forehead and lips,

From my breast, from within where I was conceal'd, press forth red drops,

     confession drops,

Stain every page, stain every song I sing, every word I say, bloody drops,

Let them know your scarlet heat, let them glisten,

Saturate them with yourself all ashamed and wet,

Glow upon all I have written or shall write, bleeding drops,

 Let it all be seen in your light, blushing drops.

 

CITY OF ORGIES.

 

City of orgies, walks and joys,

City whom that I have lived and sung in your midst will one day make you

     illustrious,

Not the pageants of you, not your shifting tableaus, your spectacles, repay me,

 Not the interminable rows of your houses, nor the ships at the wharves,

Nor the processions in the streets, nor the bright windows with goods in them,

Nor to converse with learn'd persons, or bear my share in the soiree or feast;

Not those, but as I pass O Manhattan, your frequent and swift flash of eyes

     offering me love,

Offering response to my own—these repay me,

Lovers, continual lovers, only repay me.

 

BEHOLD THIS SWARTHY FACE.

 

Behold this swarthy face, these gray eyes,

This beard, the white wool unclipt upon my neck,

My brown hands and the silent manner of me without charm;

 Yet comes one a Manhattanese and ever at parting kisses me lightly on the lips

      with robust love,

And I on the crossing of the street or on the ship's deck give a kiss in return,

We observe that salute of American comrades land and sea,

We are those two natural and nonchalant persons.

 

I SAW IN LOUISIANA A LIVE-OAK GROWING.

 

I sax in Louisiana a live-oak growing,

All alone stood it and the moss hung down from the branches,

Without any companion it grew there uttering joyous leaves of dark green,

And its look, rude, unbending, lusty, made me think of myself,

But I wonder'd how it could utter joyous leaves standing alone there without its

     friend near, for I knew I could not,

And I broke off a twig with a certain number of leaves upon it, and twined

     around it a little moss,

And brought it away, and I have placed it in sight in my room,

It is not needed to remind me as of my own dear friends,

(For I believe lately I think of little else than of them,)

Yet it remains to me a curious token, it makes me think of manly love;

For all that, and though the live-oak glistens there in Louisiana solitary in a

     wide flat space,

Uttering joyous leaves all its life without a friend a lover near,

I know very well I could not.

 

TO A STRANGER.

 

Passingstranger! you do not know how longingly I look uponyou,

You must be he I was seeking, or she I was seeking, (it comes to me as of a

     dream,)

I have somewhere surely lived a life of joy with you,

All is recall'd as we flit by each other, fluid, affectionate, chaste, matured,

You grew up with me, were a boy with me or a girl with me,

I ate with you and slept with you, your body has become not yours only nor left

     my body mine only,

You give me the pleasure of your eyes, face, flesh, as we pass, you take of my

     beard, breast, hands, in return,

I am not to speak to you, I am to think of you when I sit alone or wake at night

     alone,

 

I am to wait, I do not doubt I am to meet you again,

I am to see to it that I do not lose you.

 

THIS MOMENT YEARNING AND THOUGHTFUL.

 

This moment yearning and thoughtful sitting alone,

It seems to me there are other men in other lands yearning and thoughtful,

It seems to me I can look over and behold them in Germany, Italy, France,

     Spain,

Or far, far away, in China, or in Russia or Japan, talking other dialects,

And it seems to me if I could know those men I should become attached to

     them as I do to men in my own lands,

O I know we should be brethren and lovers,

I know I should be happy with them.

 

I HEAR IT WAS CHARGED AGAINST ME.

 

I hear it was charged against me that I sought to destroy institutions,

But really I am neither for nor against institutions,

(What indeed have I in common with them? or what with the destruction of

     them?)

Only I will establish in the Mannahatta and in every city of these States inland

     and seaboard,

And in the fields and woods, and above every keel little or large that dents the

     water,

Without edifices or rules or trustees or any argument,

 The institution of the dear love of comrades.

 

THE PRAIRIE-GRASS DIVIDING.

 

The prairie-grass dividing, its special odor breathing,

I demand of it the spiritual corresponding,

Demand the most copious and close companionship of men,

Demand the blades to rise of words, acts, beings,

Those of the open atmosphere, coarse, sunlit, fresh, nutritious,

Those that go their own gait, erect, stepping with freedom and command,

     leading not following,

Those with a never-quell'd audacity, those with sweet and lusty flesh clear of

     taint,

Those that look carelessly in the faces of Presidents and governors, as to

     say Who are you?

Those of earth-born passion, simple, never constrain'd, never obedient,

Those of inland America.


WHEN I PERUSE THE CONQUER'D FAME.

 

When Iperuse the conquer'd fame of heroes and the victories of mighty

     generals, I do not envy the generals,

Nor the President in his Presidency, nor the rich in his great house,

But when I hear of the brotherhood of lovers, how it was with them,

How together through life, through dangers, odium, unchanging, long and long,

Through youth and through middle and old age, how unfaltering, how

affectionate and faithful they were,

Then I am pensive—I hastily walk away fill'd with the bitterest envy.

 

WE TWO BOYS TOGETHER CLINGING.

 

We two boys together clinging,

One the other never leaving,

Up and down the roads going, North and South excursions making,

Power enjoying, elbows stretching, fingers clutching,

Arm'd and fearless, eating, drinking, sleeping, loving,

No law less than ourselves owning, sailing, soldiering, thieving, threatening,

Misers, menials, priests alarming, air breathing, water drinking, on the turf or

      the sea-beach dancing,

Cities wrenching, ease scorning, statutes mocking, feebleness chasing,

Fulfilling our foray.

 

A PROMISE TO CALIFORNIA.

 

A promise to California,

Or inland to the great pastoral Plains, and on to Puget sound and Oregon;

Sojourning east a while longer, soon I travel toward you, to remain, to teach

     robust American love,

For I know very well that I and robust love belong among you, inland, and

     along the Western sea;

For these States tend inland and toward the Western sea, and I will also.

 

HERE THE FRAILEST LEAVES OF ME.

 

Here the frailest leaves of me and yet my strongest lasting,

Here I shade and hide my thoughts, I myself do not expose them,

And yet they expose me more than all my other poems.

 

NO LABOR-SAVING MACHINE.

 

No labor-saving machine,

Nor discovery have I made,

Nor will I be able to leave behind me any wealthy bequest to found a hospital

      or library,

Nor reminiscence of any deed of courage for America,

Nor literary success nor intellect, nor book for the book-shelf,

But a few carols vibrating through the air I leave,

For comrades and lovers.

GLIMPSE.

 

A glimpes through an interstice caught,

Of a crowd of workmen and drivers in a bar-room around the stove late of a

     winter night, and I unremark'd seated in a corner,

Of a youth who loves me and whom I love, silently approaching and seating

      himself near, that he may hold me by the hand,

A long while amid the noises of coming and going, of drinking and oath and

     smutty jest,

There we two, content, happy in being together, speaking little, perhaps not a

     word.

A LEAF FOR HAND IN HAND.

 A LEAF for hand in hand;

You natural persons old and young!

You on the Mississippi and on all the branches and bayous of the Mississippi!

You friendly boatmen and mechanics! you roughs!

You twain! and all processions moving along the streets!

I wish to infuse myself among you till I see it common for you to walk hand in

     hand.

 

EARTH, MY LIKENESS.

 

Earth, my likeness,

Though you look so impassive, ample and spheric there,

I now suspect that is not all;

I now suspect there is something fierce in you eligible to burst forth,

For an athlete is enamour'd of me, and I of him,

But toward him there is something fierce and terrible in me eligible to burst forth,

I dare not tell it in words, not even in these songs.

 

I DREAM'D IN A DREAM.

 

I dream’d in a dream I saw a city invincible to the attacks of the whole of the

     rest of the earth,

I dream'd that was the new city of Friends,

Nothing was greater there than the quality of robust love, it led the rest,

 It was seen every hour in the actions of the men of that city,

And in all their looks and words.

 

WHAT THINK YOU I TAKE MY PEN IN HAND?

 

What think you I take my pen in hand to record?

The battle-ship, perfect-model'd, majestic, that I saw pass the offing to-day

     under full sail?

The splendors of the past day? or the splendor of the night thatnvelops me?

Or the vaunted glory and growth of the great city spread arounde?—no;

But merely of two simple men I saw to-day on the pier in theidst of the crowd,

     parting the parting of dear friends,

The one to remain hung on the other's neck and passionately kiss'd him,

While the one to depart tightly prest the one to remain in his arms.

 

TO THE EAST AND TO THE WEST.

 

To the East and to the West,

To the man of the Seaside State and of Pennsylvania,

To the Kanadian of the north, to the Southerner I love,

These with perfect trust to depict you as myself, the germs are in all men,

I believe the main purport of these States is to found a superb friendship,

     exaltè, previously unknown,

Because I perceive it waits, and has been always waiting, latent in all men.

 

SOMETIMES WITH ONE I LOVE.

 

Sometimes with one I love I fill myself with rage for fear I effuse unreturn'd

     love,

But now I think there is no unreturn'd love, the pay is certain one way or

     another,

(I loved a certain person ardently and my love was not return'd,

Yet out of that I have written these songs.)

 

TO A WESTERN BOY.

 

Many things to absorb I teach to help you become eleve of mine;

Yet if blood like mine circle not in your veins,

If you be not silently selected by lovers and do not silently select lovers,

Of what use is it that you seek to become eleve of mine?

 

FAST ANCHOR'D ETERNAL O LOVE!

 

Fast anchor’d eternal O love! O woman I love!

O bride! O wife! more resistless than I can tell, the thought of you!

Then separate, as disembodied or another born,

Ethereal, the last athletic reality, my consolation,

I ascend, I float in the regions of your love O man,

O sharer of my roving life.

AMONG THE MULTITUDE.

 

AMONG the men and women the multitude,

I perceive one picking me out by secret and divine signs,

Acknowledging none else, not parent, wife, husband, brother, child, any nearer

     than I am,

Some are baffled, but that one is not—that one knows me. 

 

Ah lover and perfect equal,

I meant that you should discover me so by faint indirections,

And I when I meet you mean to discover you by the like in you.

 

O YOU WHOM I OFTEN AND SILENTLY COME.

 

O you whom I often and silently come where you are that I may be with you,

As I walk by your side or sit near, or remain in the same room with you,

Little you know the subtle electric fire that for your sake is playing within me.

 

THAT SHADOW MY LIKENESS.

 

That shadow my likeness that goes to and fro seeking a livelihood, chattering,

     chaffering,

How often I find myself standing and looking at it where it flits,

How often I question and doubt whether that is really me;

But among my lovers and caroling these songs,

O I never doubt whether that is really me.

 

FULL OF LIFE NOW.

 

Full of life now, compact, visible,

I, forty years old the eighty-third year of the States,

To one a century hence or any number of centuries hence,

To you yet unborn these, seeking you. 

 

When you read these I that was visible am become invisible,

Now it is you, compact, visible, realizing my poems, seeking me,

Fancying how happy you were if I could be with you and become your

     comrade;

Be it as if I were with you. (Be not too certain but I am now with you.)

 

 

Leaves of Grass

David Mc Kay,Publisher, Philadelphia, 1891–92

Poème précédent en anglais :

Dylan Thomas :« La force qui pousse la fleur... » / « The force that through the green…» (30/12/2019)

Poème suivant en anglais :

Ezra Pound : « Pour les sept lacs... » / « For the seven lakes…» (16/03/2020)

 

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