La société sans hommes
Le matin coule sur les végétaux froissés
comme une goutte de sueur sur les lignes de la main
je rampe sur la terre
bouche rugueuse et sévère
le soleil se dilate dans les canaux des feuilles monstrueuses
qui recouvrent les cimetières les ports les maisons
de la même ardeur visqueuse et verte
alors se présente à mon esprit avec une intensité bouleversante
l’absurdité des groupements humains
dans ces maisons pressées l’une contre l’autre
comme les pores de la peau
parmi le vide poignant des espaces terrestres
J’entends crier des oiseaux dont on a dit autrefois qu’ils chantaient
et qui ressemblent implacablement à des pierres
je vois des troupeaux de maisons qui broutent la sève de l’air
des usines qui chantent comme les oiseaux d’autrefois
des chemins qui se perdent dans les récoltes de sel
des morceaux de ciel qui sèchent sur la mousse vert-de-grisée
un grincement de poulie annonce qu’un seau remonte dans un puits
il est plein d’un sang limpide
qui s’évapore au soleil
rien d’autre ne troublera cette randonnée sur la terre
jusqu’au soir
qui tressaille sous la forme d(un immense papillon cloué
au seuil d’une gare immobile
In, revue « Le surréalisme au service de la Révolution. N° 5, 15 mai 1933 »
Edition des Cahiers Libres, 1933
Du même auteur :
Les égaux (26/10/2018)
Appel (26/10/2020)
L’oubli (26/10/2021)