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Le bar à poèmes
6 août 2019

Robert Desnos (1900 – 1945) : De la rose de marbre à la rose de fer

desnos021_1_Robert Desnos en 1924

 

De la rose de marbre à la rose de fer

 

La rose de marbre immense et blanche était seule sur la place déserte où les

     ombres se prolongeaient à l’infini. Et la rose de marbre seule sous le soleil

     et les étoiles était reine de la solitude. Et sans parfum la rose de marbre sur

    sa tige rigide au sommet du piédestal de granit ruisselait de tous les flots du

     ciel. La lune s’arrêtait pensive en son cœur glacial et les déesses des jardins

     les déesses de marbre à ses pétales venaient éprouver leurs seins froids.

La rose de verre résonnait à tous les bruits du littoral. Il n’était pas un sanglot

     de vague brisée qui ne la fit vibrer. Autour de sa tige fragile et de son cœur

     transparent des arcs-en-ciel tournaient avec les astres. La pluie glissait en

     boules délicates sur ses feuilles que parfois le vent faisait gémir à l’effroi

     des ruisseaux et des vers luisants.

La rose de charbon était un phénix nègre que la poudre transformait en rose de

     feu. Mais sans cesse issue des corridors ténébreux de la mine où les mineurs

     la recueillaient avec respect pour la transporter au jour dans sa gangue

     d’anthracite la rose de charbon veillait aux portes du désert.

La rose de papier buvard saignait parfois au crépuscule quand le soir à son pied

     venait s’agenouiller. La rose de buvard gardienne de tous les secrets et

     mauvaise conseillère saignait un sang plus épais que l’écume de mer et qui

     n’était pas le sien.

La rose de nuages apparaissait sur les villes maudites à l’heure des éruptions

     de volcans à l’heure des incendies à l’heure des émeutes et au-dessus de

     Paris quand la commune y mêla les veines irisées du pétrole et l’odeur de

     la poudre elle fut belle belle au 21 janvier belle au mois d’octobre dans le

     vent froid des steppes belle en 1905 à l’heure des miracles à l’heure de

     l’amour.

La rose de bois présidait aux gibets. Elle fleurissait au plus haut de la guillotine

     puis dormait dans la mousse à l’ombre immense des champignons.

La rose de fer avait été battue durant des siècles par des forgerons d’éclairs.

     Chacune de ses feuilles était grande comme un ciel inconnu. Au moindre

     choc elle rendait le bruit du tonnerre. Mais qu’elle était douce aux

     amoureuses désespérées la rose de fer.

 

La rose de marbre la rose de verre la rose de charbon la rose de papier buvard

     la rose de nuages la rose de bois la rose de fer refleuriront toujours mais

     aujourd’hui elles sont effeuillées sur ton tapis.

 

Qui es-tu ? toi  qui écrases sous tes pieds nus les débris fugitifs de la rose de

     marbre de la rose de verre de la rose de charbon la rose de papier buvard de

     la rose de nuages de la rose de bois de la rose de fer.

 

Corps et biens

Editions Gallimard, 1930

Du même auteur :

J’ai tant rêvé de toi (06/08/2014)

Les espaces du sommeil (06/08/2015)  

Ô douleurs de l’amour ! (06/08//2016)

Infinitif (06/08/2017)

Baignade (06/08/2018)

« Hors du manteau, la lumière... » (06/08/2020)

La belle que voilà (06/08/2021) 

Les sources de la nuit (06/08/2022)

« Comme une main à l’instant de la mort... » (06/08/2023)

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