Arbre
1
L’arbre apaise ta folie.
Le bon remède est d’écouter
les pauses mélodieuses
d’un eucalyptus qui grandit
sur un fleuve souterrain
lorsque midi
brûle la plume
d’un vieux récit de cigales.
Les feuilles mortes dessinent les mains du harpiste.
2
Comment tolérer cette vie
qui n’a jamais été la mienne
autrement que par les racines
où s’assoient les musiciens
autrement que par la mouette
qui se reflète dans mes lunettes noires
et que par le joueur d’échecs
qui montre ses gencives
dans le tourbillon poudreux du poème ?
3
Nous irons nous asseoir sous l’arbre
avec l’enfant qui parle en rêvant.
N’aie pas peur des cauchemars
ni des fantômes de la cour obscure
ni du grand-père qui sourit et qui est mort.
Demain nous irons au marché
pour acheter et vendre de la semence rouge
des mouettes en porcelaine
des chevaux de cristal bleu.
4
Ecoute les algues marines
et la ville déserte
comme un cimetière plein de décombres.
Ecoute ce que dit
le joueur d’échecs
le dieu de pierre qui dort
près de la mer.
Ce sont des voix déformées comme
un visage écrasé contre la vitre.
L’arbre rêve et ne dort pas
en brûlant à voix basse.
5
Midi éclate
la pierre ouvre ses racines.
Géométrie de la flamme
soulevant des dalles d’ombre
inquiétant la perspective
confondant tunnels et ponts
séchant le bois les battements du cœur
dénudant les tambours
du sexe et de la peau :
La ville du Sud vit menacée.
6
Une salive désespérée
mouille les lèvres du dieu bâtard.
L’arbre s’incline sous le poids
des voix qui naviguent sur les hauteurs
qui pleurent sans chagrin
et qui brûlent en rêvant
dans la grande solitude de la fenêtre.
7
Miroir brisé en fragments inégaux :
miel et forge
chêne et poirier sauvage
puits guêpe et framboise
sapin et immortelle
poivrier et noyer
vent et pluie
pierre griotte et ronces
fleuve bambou et papaye
pluie charbon et mer.
8
Les mains du harpiste s’amincissent
son écriture incessante
confond voix et semences.
Le vent déforme ses gestes sans poids
et le harpiste se déguise
en homme et en femme il est
coquille et tonnerre
étoile sous-marine
et soleil nocturne
oreille de pierre
et fleuve souterrain.
9
Et le harpiste se déguise en pendu
pour chanter sans rien
nu
avec sa gorge morte
devinant le passé à naître
10
Quelquefois une parole se perd
ou tombe en ricochant dans l’eau.
Le feuillage des voix s’exaspère
et cherche entre les pages déchirées
de ses partitions
le regard impitoyable qui le fixe.
11
Viens t’asseoir sur les racines
du figuier en flammes
lecteur de merveilles
dans un jeu de cartes crasseux
là où le bandit offre son meilleur vin.
Viens avec moi marcher à la dérive
sur le parchemin de la terre
sous le vent du Sud et l’étoile fumante.
Nous laisserons un rouge itinéraire
sur les partitions.
Le ciel est plein de poissons et de galaxies
de fruits archaïques d’écritures pures
nous rirons de tes fabulations
en chevauchant parmi les pierres
des prisons écroulées.
La conque du soleil
s’ouvrira devant nos yeux
comme le sexe d’une vierge
12
Je connais un autre remède
disait mon ami malchanceux
assis entre les sabots d’un cheval
qui toussait
sous les grands arbres d’écume noire :
Ecoute l’eau incohérente et pure
d’un fleuve souterrain.
13
L’arbre brûle et rêve
une étoile obscure respire sur l’eau
et le ciel est plus bleu que l’apocalypse
où les statues de marbre sont en sueur.
Ses racines surgissent de vieilles photos
couleur d’encre
lacs souterrains
où la lumière surprenait les rides de ton rire.
Ses racines surgissent
du naufrage et de la tombe
des ordures pourries de la fête
et comme un musicien après une orgie
il ouvre les bras
et tente de marcher
sur l’eau du petit jour.
14
Il est l’ami sans chemise
qui te réveille dans la nuit marine
en jetant quelques pièces de monnaie contre ta vitre
pour te raconter l’histoire de sa vie.
15
Est-ce encore l’arbre
ce dessin distrait maladroit
que nous traçons en marge du feuillet
ou à la fin du manuscrit ?
16
Sur les faux lions décoratifs
et sur les faux canons
brûle l’écriture du harpiste :
semence rouge
vieille chronique de l’écorce
tache de lumière qui brûle et qui respire
dans le regard distrait de l’homme qui passe
eau d’ombre noire
où le vent touche à peine
un reflet de feuilles vertes.
17
Un grand récit inachevé
conque du soleil étoile fumante.
L’arbre se transforme en rose des vents
et sa voix est plus profonde que la peur
dans le vieux cœur de la semence.
Un visage ailé
souffle sur la mer.
18
Quand il nous semblait que tout était dit
et répété mille fois
quelqu’un parla
mais peut-être n’était-ce qu’un éclat
et personne ne disait rien
on entendait seulement les voix
déracinées de l’arbre
et l’écume brûlante de son visage
décomposé
sur un miroir de mille années.
19
Près de ma ville sans mémoire
brûle un bois de grands eucalyptus.
Des signes impalpables restent dans mes livres
de vieux jambages oubliés
apparaissent sur tous mes papiers.
N’efface pas ce chant ces cendres
ces feuilles de boldo de lithi ces aiguilles de pin
poèmes écrits dans un cahier d’écolier
saules mimosas chardons
il pleut un chant obscur sur la mer
et les plages
les toits des maisons
et les vagues.
Le vent oublie
les mots à peine dits
dans sa trame de brins.
Le vent vient du soleil ou du ciel
de là-haut de l’aube et de la mémoire.
Ici nous oublions entre tous ces murs
que la lumière est un éclat sans mots
et le mot une poussière illuminée.
Traduit de l’espagnol par Claude Couffon
In, « Luis Mizón. Poèmes du Sud et autres poèmes
Poema del Sur. Edition bilingue »
Editions Gallimard (Du monde entier), 1982
Du même auteur :
Prisons / Prisiones (05/08/2014)
L’arbre / El árbol (05/08/2015)
Terre prochaine / Tierra próxima (05/08/2016)
Vent du Sud / Viento Sur (05/08/2017)
Retour / Retorno (05/08/2018)
Fantôme / Fantasmas (05/08/2020)
La mer des Sargasses (extraits) (05/08/2021)
Le songe du figuier en flammes / El sueño de la higuera en llamas (I) (05/08/2022)
Le songe du figuier en flammes / El sueño de la higuera en llamas (II-III)) (05/08/2023)
Árbol
1
El árbol calma tu locura.
Es el mejor remedio
escuchar las pausas melodiosas
de un eucalipto que crece
sobre un río subterráneo
cuando el mediodía
quema la pluma
de un viejo relato de cigarras.
Las hojas secas dibujan las manos del arpista.
2
¿ Cómo soportar esa vida
que nunca fue la mía
sino fuero por las raíces
donde se sientan los músicos
sino fuera por la gaviota
que se refleja en mis anteojos negros
y el jugador de ajedrez
que muestra sus encías
en la polvareda del poema ?
3
Iremos a sentarnos bajo el árbol
con el niño que habla en sueños.
No tengas miedo de las pesadillas
ni de los fantasmas del patio oscuro
ni al abuelo que sonríe y que murió.
Mañana iremos al mercado
a comprar y vender semillas rojas
gaviotas de porcelana
caballos de vidrio azul.
4
Escucha las algas marinas
y la ciudad desierta
como un cementerio lleno de descombros.
Escucha lo que dice
el jugador de ajedrez
el dios de piedra que duerme
cerca del mar.
Son voces desformadas como un rostro
aplastado contra la ventana.
El árbol sueña y no duerme
ardiendo en voz baja.
5
El mediodía estalla
la piedra abre sus raíces.
Geometría de la llama
rompiendo baldosas de sombra
inquietando la perspectiva
confundiendo túneles y puentes
rescando la madera y los latidos del corazón
desnudando los tambores
del sexo y de la piel :
la ciudad del Sur vive amenazada.
6
Una saliva desesperada moja los labios
del dios bastardo
el árbol se inclina bajo el peso
de las altas voces navegantes
que lloran sin pena
y se queman soñando
en la gran soledad de la ventana.
7
Espejo roto en partes desiguales :
miel y fragua encina y peral salvaje
pozo avispa y frambuesa
pino y siempreviva
pimentero y nogal
viento y lluvia
piedra guinda y zarzamora
río bambú y papaya
lluvia carbón y mar.
8
Las manos del arpista se adelgazan
su escritura incesante
confunde voces y semillas.
El viento desforma sus gestos sin peso
y el arpista se disfraza
de hombre y de mujer
concha y trueno
estrella submarina
y sol nocturno
oreja de piedra
y río subterráneo
9
Y el arpista se disfraza de ahorcado
para cantar sin nada
desnudo
con su garganta rota
adivinando el pasado que vendrá.
10
A veces una palabra se pierde
o cae dando tumbos en el agua.
El follaje de voces se exaspera
y busca entre las páginas desgarradas
de sus partituras
la mirada implacable que lo mira.
11
Ven a sentarte en las raíces
de la higuera en llamas
lector de maravillas en la baraja sucia
allí donde el bandido ofrece su mejor vino.
Ven conmigo a caminar sin rumbo
por los pergaminos de la tierra
bajo el viento Sur y la estrella humeante.
Dejaremos un rojo itinerario
en las partituras.
El cielo está lleno de pescados y galaxias
frutos arcaicos escrituras puras
reíremos de tus fábulas
cabalgando entre las piedras
de las prisiones derrumbadas.
La concha del sol
se abrirá en nuestros ojos
come el sexo de una virgen.
12
Conozco otro remedio
decía mi amigo sin suerte
sentado entre las patas de un caballo
que tosía
bajo los grandes árboles de espuma negra :
escuchar et agua incoherente y pura
de un río subterráneo
13
El árbol arde y sueña
una estrella oscura respira sobre el agua
y el cielo es más azul que el apocalipsis
donde sudan las estatutas de mármol.
Sun raíces surgen de viejas fotografías
color de tinta
lagos subterráneos
donde el sol sorprendió las arrugas de tu risa.
Sun raíces surgen
del naufragio y de la tumba
de la basura podrida de la fiesta
y como un músico después de una orgía
abre los brazos
y trata de caminar
sobre el agua del alba.
14
Es el amigo sin camisa
que te despierta en la noche marina
tirando monedas a la ventana
para contarte la historia de su vida.
15
¿ Y es el árbol aún
ese dibujo distraido y mal hecho
que hacemos al margen de la página
o al final del manuscrito?
16
Sobre falsos leones decorativos
y falsos cañones
arde la escrutira del arpista :
semilla roja
vieja crónica de la corteza
mancha de luz que arde y respira
en la mirada distraída
del hombre que pasa
agua de sombre negra
donde el viento apenas toca
un reflejo de hojas verdes.
17
Un gran relato inacabado
concha del sol estrella humeante.
El árbol se transforma en roda de los vientos
y su voz es más honda que el miedo
en el viejo corazón de la semilla
Un rostro con alas
sopla sobre el mar.
18
Cuando parecía que todo estaba dicho
y repetido mil veces
alguien habló
o quizás fue sólo un resplandor
y nadie dijo nada
sino escuchar las voces
desarraigadas del árbol
y la espuma brillante de su rostro
deshecho
en un espejo de mil años.
19
Cerca de mi ciudad desmemoriada
arde un bosque de grandes eucaliptos.
Signos impalpables quedan en mis libros
viejos trazos que no puedo recordar
aparecen en todos mis papeles.
No borres ese canto esa ceniza
hojas de boldo de litre agujas de pino
poemas escritos en cuadernos escolares
sauces aromos cardos
llueve un canto oscuro sobre el mar
y las playas
el techo de las casas
y el oleaje.
El viento olvida
la palabra apenas dicha
en su trama de brizna.
El viento viene del sol o del cielo
de allá arriba del alba y la memoria.
Aquí olvidamos entre tantos muros
que la luz es un brillo sin palabras
y la palabra polvo iluminado.
Poème précédent en espagnol :
José Manuel Caballero Bonald : Pas aujourd’hui / Hoy no (10/07/2019)
Poème suivant en espagnol :
Claudio Rodríguez : Don de l’ivresse / Don de la ebriedad (04/10/2019)