Jehan-Rictus (1867-1933) : "Notre dab qu’on dit aux cieux..."
Portrait de Jehan-Rictus par Félix Vallotton
XVI
Notre dab qu’on dit aux cieux,
(C’est y qu’on n’pourrait pas s’entendre !)
Notre daron qui êt’s si loin
Si aveug’, si sourd et si vieux,
(C’est y qu’on n’pourrait pas s’entendre !)
Que Notre effort soit sanctifié,
Que Notre Règne arrive
À Nous les Pauvr’s d’pis si longtemps,
(C’est y qu’on n’pourrait pas s’entendre !)
Su’ la Terre où nous souffrons
Où l’on nous a crucifiés
Ben pus longtemps que vot’ pauv’ fieu
Qu’a d’jà voulu nous dessaler.
(C’est y qu’on n’pourrait pas s’entendre !)
Que Notre volonté soit faite
Car on vourait le Monde en fête,
D’ la vraie Justice et d’ la Bonté,
(C’est y qu’on n’pourrait pas s’entendre !)
Donnez-nous tous les jours l’ brich’ton régulier
(Autrement nous tâch’rons d’ le prendre) ;
Fait’s qu’un gas qui meurt de misère
Soye pus qu’un cas très singulier.
(C’est y qu’on n’pourrait pas s’entendre !)
Donnez-nous l’poil et la fierté
Et l’estomac de nous défendre,
(Des fois qu’on pourrait pas s’entendre !)
Pardonnez-nous les offenses
Que l’on nous fait et qu’on laiss’ faire
Et ne nous laissez pas succomber à la tentation
De nous endormir dans la misère
Et délivrez-nous de la douleur
(Ainsi soit-il !)
(Le Revenant)
Les Soliloques du pauvre
Chez l’auteur, 1897
Du même auteur :
« Et quand à moi pour le présent » (23/07/2020)
L’hiver (10/12/2022)