Jacques Rebotier (1947 -) : Litanie du désamour
Litanie du désamour
42 C'est à ce moment que tu ne m'as pas vu, il faisait grand soleil, nous avons
alors senti très bien que rien ne va, que rien n'allait, que rien allait nous arriver
41 tout de suite, je me suis dit : fini c'est fini, les motos roulent, les mots
parlent, les arbres s'arrêtent, les bicyclettes se regardent : c'est bien fini
40 déjà hier nous n'étions plus très vivants, tu sentais bien un peu le rnfermé,
nous n'étions pas si vivants que ça, on sentait bien que ce n'était pas ça
39 c'était, ç'aurait pu être dans un train, dans un rêve, au restaurant, sur le sable
d'un nuage, sur un trajet de non-retour, c'était, c'était nous
38 déjà je ne te disais plus rien, tu ne me disais plut tu, sans doute avions-nous
déjà depuis un long temps cessé de nous voir venir, tu disais ?
37 tu m'avais dit : je vais voir et je reviens tu vas voir, je vais voir ce que je
peux faire, ne bouge pas voyons je vais voir et je reviens, viens !
36 c'était en traversant la rue tu allais chercher quatorze cigarettes c'est fou les
risques qu'on peut se prendre pour quelques cigarettes !
35 écoute bien : la nuit est grave, la nuit nous ment, la nuit dangereuse ment
comme elle respire à la santé obscure de nos poumons
34 en cas d'incident, lisez, prenez votre temps, prévenir tout objet permanent
ou personne suspecte au trois cent vingt neuf douze
33 j'aurais tant voulu pourtant, je voudrais tant, j'aurais tant voulu que ce soit
toi mon prince marchant, et toi ma belle au bois mordant
32 alors une dernière flamme nous a retournés, un grand besoin de bain de
sang, un grand retour de sang, un dernier tour ?
31 en cas d'incendie gardez votre sang chaud, ne criez pas au froid, suivez les
conconsignes de sécucucurité
30 tant de sang a passé dans l'obscurité, le temps dormait si bien dans son
sommeil, et voilà soudain qu'il se retourne !
29 j'aurais tout tant voulu, j'aurais tout l'temps voulu, j'aurais voulu tout le
temps, et maintenant voilà qu'il nous sépare !
28 est-ce que je te dis encor quelque chose, ou bien vraiment plus rien ? dis-
moi dis-moi vite quelque chose (quelque chose)
27 tant que le temps bougeait il était encor vivant, et puis il a cessé tu sais, et il
s'est arrêté
27 n'arrachez pas cette note, ne la recouvrez pas par des meubles ou des
dossiers, et ne la brûlez pas !
27 le temps aux babines retroussées, le temps diminué de moitié, les trois
quarts du temps, le très grand temps
27 il m'a suffi de te voir me voir pour voir que c'était tout, non non tu n'aurais
pas dû brûler cette note
26 le temps me vient, le temps repart, le temps-circulation illimité aux
urgences, le temps coupé
25 interdiction : ne pas s'arrêter sur les bandes d'absence, attention aux odeurs
de silence
24 tout de suite après je me suis dit : il n'y a plus rien à faire, il n'y a plus qu'à
rien faire
23 carrefour modifié, fin de priorité, le temps qui passe n'y pourra rien changer
22 j'ai rien vu, j'ai rien compris, je n'ai pas vu la malchance qui se glissait dans
mon lit
21 c'était sur l'autoroute, en été, c'était chez d'horribles amis (en effet)
20 en cas de mon absence tirez sur ma poignée, ah, nous avons bien changé...
19 il y a bien longtemps que je ne comprenais plus ce que je me disais
18 et je pensais : quelle est cette langue étrange dans ma bouche étrangère ?
17 une porte qui claque, un papillon de la nuit, c'est fini
16 un volet qui bat, une goutte de robinet, c'est fini
15 maintenant voilà, notre vie n'est pas plus qu'un souvenir
14 le souvenir d'une vie survenue par en dessous
13 le souvenir d'une vie qu'on vivra par la suite
12 un rayon de soleil, une table, fini
11 une vie qui ne nous a plus regardés
10 un véhicule de chantier, un nuage
9 une vie de désilluminé
8 tu dis : c'est fini, terminé
7 terminablement fini
6 finalement c'est bien
5 c'est bientôt fini
4 c'est bien fini
3 (l'infini)
2 tu dis ?
1 mm...
Le moment que
CipM / Spectres familiers, Marseille, 1998
Du même auteur : Litanie du coup de la foudre (03/06/2018)