La Bible : Le livre de consolation
Rembrandt : "Moïse brisant les tables de la loi", 1659. (Gemädegalerie, Berlin)
Le livre de consolation
I
Consolez ma nation, consolez-la, dit Dieu,
Parlez au coeur de Jérusalem, criez-lui
Qu’est fini son servage et acquitté son crime,
Qu’elle a payé double rançon.
La voix crie : Tracez au désert l’allée de Dieu,
Préparez-lui sa chaussée à travers la steppe,
Comblez le précipice et rasez la montagne,
Sa gloire sera vue de tous.
La voix m’ordonne : « Crie » et je dis : « Que crier ? »
- Toute chair est de l’herbe et fleur des champs son charme,
L’herbe sèche, et la fleur se fane au vent de Dieu,
La parole de Dieu demeure.
Monte sur la montagne, ô faste messagère,
Hausse, pour dire à Jérusalem son bonheur,
Hausse sur la hauteur ta voix sans peur pour dire
A la Judée : Voici ton Dieu.
Voici l’Eternel et sa main dominatrice,
Il s’avance avec les trophées de sa victoire
Comme un berger qui prend dans ses bras les agneaux
Et fait reposer les brebis.
Qui a mesuré dans ses paumes l’eau des mers,
Réglé la dimension des cieux à son empan,
Jaugé la terre au boisseau ou pesé les monts
Et les coteaux à des crochets ?
Qui dirigea l’esprit de Dieu ? Qui L’instruisit ?
De qui prit-Il conseil dans ses évaluations ?
Demanda-t-Il les chemins de l’intelligence ?
Lui enseigne-t-on la justice ?
Les peuples ne sont que la goutte au bord du seau,
Qu’un grain de poussière au plateau de sa balance ;
Les nations devant Lui ne valent que néant,
Il les tient pour moins que du vide.
Le Liban n’a pas assez de bois pour son feu
Ni la terre d’animaux pour ses holocaustes.
Qu’oserez-vous imaginer qui lui ressemble ?
Qui pourra se figurer Dieu ?
Ne le saviez-vous pas ? Ne l‘avez-vous pas compris ?
N’est-ce point flagrant de la fondation du monde ?
Il subsiste au-dessus de l’orbe universel ;
La terre lui semble un insecte.
Il a déployé les cieux comme un pavillon.
Les princes et les rois sont à peine semés,
Ont à peine germé qu’Il souffle et les dessèche
Et sa tempête les emporte.
« Qui trouver qui m’égale ? à qui me comparer ? »
Dit le Très Pur. Levez les yeux et regardez :
Qui a rangé l’armée des astres par leur nom ?
Pas un ne manque à son appel.
Pourquoi dire, Israël : mon destin est obscur,
Mon droit est ignoré ? Es-tu sourd à ce point ?
Le créateur du monde est un Dieu éternel
Que rien ne peut lasser.
Il insuffle au plus faible une étrange vigueur
Alors que les plus forts titubent de fatigue.
Qui ne se fie qu’à Lui a les ailes de l’aigle
Et va sans jamais défaillir
II
Que se taisent les flots lorsque les peuples parlent
Pour que me soient confrontées les nations vantardes.
Qui a suscité en Orient un justicier ?
Et lui soumet races et rois ?
Son épée les disperse en poussière à tous vents.
Il s’avance et ses pieds n’effleurent pas le sol.
Qui l’a nommé dès l’origine sinon moi,
Moi le Premier et le Dernier ?
Les rivages marins tremblent à son approche.
Toi Israël mon serviteur que j’ai saisi,
Toi que j’ai pris aux extrémités de la terre,
Toi que je ne renierai pas,
Ne crains rien, je suis avec toi, je suis ton Dieu.
Ne t’effraie pas, je te soutiendrai de ma main.
Ceux qui daubaient sur toi se verront confondus
Et tes querelleurs périront.
Tu chercheras sans les trouver tes adversaires.
Ils n’existeront plus. Car moi qui suis ton Dieu
Je te prends par la main et te dis : « N’aie pas peur,
« Voici que je viens à ton aide »
Frêle larve Israël, c’est moi ton défenseur,
Dis l’Eternel, et je fais de toi une herse
Pour hacher les hauteurs en poussière, un fléau
Pour battre toutes les montagnes.
Jette la paille en proie aux vents de la tempête
Et réjouis-toi de la gloire qu’en moi tu trouves.
Tes pauvres qui cherchaient de l’eau, brûlés de soif,
Je ne les délaisserai plus.
Sur le crâne des monts je fais jaillir les fleuves.
Je chante le désert en un pays lacustre.
Le cèdre, l’acacia, le myrte, l’olivier,
Le buis et le platane y croissent.
N’êtes-vous pas témoins du pouvoir de mon bras ?
Plaidez donc contre moi, dit le Pur d’Israël.
Parlez-moi du futur que j’en prévois l’issue !
Est-ce en votre pouvoir ?
Dévoilez-nous l’avenir et nous apprendrons
Si vous êtes des dieux. Agissez bien ou mal
Et prouvez que vous existez. Vous n’êtes rien
Et vous croire est abominable.
Aucun de vous n’a pu me donner de conseils.
J’appelle par son nom dans le soleil levant
Celui qui foule aux pieds les satrapes d’argiles
Comme un potier pétrit la glaise.
Qu’avez-vous donc annoncé que je le vérifie ?
Nul n’a parlé. Moi seul ai dépêché mon Ange
Pour avertir Sion. Tout autre peuple est vide
Leurs dieux sculptés sont du néant.
III
Chantez à l’Eternel un chant nouveau.
Qu’un chant se lève aux confins de la terre,
Prenne la mer, les monstres qui l’agitent
Et les hommes des îles
Que les cités du désert se récrient,
Que sous la tente on élève la voix,
Qu’on hurle sur les cimes des montagnes
Que Dieu soit acclamé.
Comme un héros s’avance l’Eternel.
Secoué d’ardeur guerrière il pousse un cri,
Un hurlement de combat et s’avance
Bravant ses adversaires.
J’ai trop longtemps su garder le silence.
Je me taisais, je contenais ma voix.
Mais je hurle comme une femme en couche.
Je crie à suffoquer.
Je brûlerai montagnes et collines.
Je flétrirai l’herbe et les frondaisons.
Je réduirai tout fleuve en marécages.
J’assécherai les lacs.
Je conduirai l’aveugle sur la route.
J’aplanirai les rocs de son chemin.
Je changerai en clarté ses ténèbres,
En fuyard son tyran.
Qui, sinon mon serviteur, est l’aveugle ?
Qui est plus sourd que celui que j’envoie ?
Son oreille est ouverte sans m’entendre
Et son oeil sans me voir.
O mon peuple pillé, emprisonné,
On te dépouille et nul ne te délivre.
Lève du moins tes yeux vers le futur,
Ecoute-le venir.
Jacob, tu fus livré au spoliateur.
Tu fus criblé des grêles de la guerre.
L’orage t’a enveloppé de flammes.
T’en apercevais-tu ?
Mais ne crains plus, car je t’ai racheté,
Je t’ai imposé ton nom, tu es mien.
Quand tu traverserais les grandes eaux
Je serais avec toi.
Les fleuves ne te submergeront pas.
Les flammes ne te dévoreront point :
Tu passerais par le feu sans brûlure.
Je suis ton Dieu sauveur.
Je donnerais pour ta rançon l’Egypte.
Tu as plus de prix pour moi que les peuples.
Je les livrerais pour toi. Ne crains pas.
Car je suis avec toi.
J’appellerai mes fils de tous les vents :
Je ferai revenir du bout du monde
Ceux qui portent mon nom, qui sont mon œuvre,
Que j’ai faits pour ma gloire.
Avance, aveugle aux yeux en vain ouverts.
Qui t’as révélé ce jour sinon moi ?
D’autres l’ont-ils prédit ? Que leurs témoins
Paraissent s’il en est.
C’est vous que j’ai choisis, mes serviteurs,
Pour qu’en vous l’on me connaisse et me croie.
Car aucun dieu avant moi n’existait
Ni après ne viendra.
Je suis seul l’Eternel. Il n’est que moi.
Moi seul sauve et révèle. Il n’en est d’autre.
Moi seul suis Dieu de toute éternité.
Nul n’échappe à ma main.
IV
J’ai envoyé pour vous mon Oint à Babylone
Qu’il ôte aux prisons leurs verrous.
Quels cris sur les vaisseaux ! Moi, je suis Dieu, le Pur,
Votre créateur et Seigneur.
J’ai jadis fait route au travers des grandes eaux.
Les chars, les chevaux, les héros
Sont sortis, sont tombés, ne se lèveront plus,
Se sont éteints comme des mèches.
Ne vous souvenez plus de l’antique prodige,
J’en veux désormais un nouveau.
Il germe : N’apprenez-vous pas que je prépare
Un chemin dans les solitudes ?
L’autruche et le chacal verront passer ma gloire.
Je ferai surgir du désert
Des fontaines pour abreuver mon peuple élu,
Ce peuple que j’ai fait pour moi.
Israël ce n’est pas que tu m’aies appelé.
Tu étais bien trop las de moi.
T’ai-je obligé jamais de m’offrir l’oblation,
L’encens et l’holocauste ?
Toi tu m’as asservi à tes iniquités,
Fatigué d’injustices,
Et tes fautes c’est moi qui dois les effacer !
Ah ! souviens-t’en si tu m’accuses !
Car ton premier père a péché, tes médiateurs
Se sont révoltés contre moi.
Moi j’ai donc profané les principes de ton peuple,
J’ai livré Jacob aux outrages.
Maintenant, ô Jacob mon serviteur, écoute :
Je t’ai formé dès la matrice
Moi ton Dieu, ton secours. Je te dis : Ne crains pas,
O mon peuple, je t’ai choisi.
Je verserai les eaux sur les terres arides
Et mon esprit sur tes enfants.
Ils pousseront comme une herbe aux champs irrigués
Comme des saules sur les rives.
Il n’est de Dieu que moi, dit le Dieu d’Israël.
Se prétend-on semblable à moi
Qui me suis établi un peuple impérissable
Et lui a dévoilé les siècles ?
Ne vous-ai-je pas tout révélé dès longtemps ?
Ne soyez pas épouvantés.
Vous êtes mes témoins qu’il n’est pas d’autre Dieu.
D’autre Roc je n’en connais point.
V
Israël, souviens-t’en, tu es mon serviteur.
Je t’ai fait tel et je ne l’oublierai jamais.
J’ai dissipé tous tes péchés comme un nuage
Je t’ai racheté : reviens-moi.
O cieux, criez de joie. Abîmes, triomphez.
Et vous cimes des monts, vous arbres des forêts,
Exultez : l’Eternel a racheté Jacob,
On voit sa Gloire en Israël.
Seul j’ai fondé la terre et déployé le ciel.
J’ai rendu fou les devins, vaines les magies,
Obscur le savoir du sage, mais j’accomplis
La parole de mes prophètes.
Moi j’ai dit à Jérusalem : sois rebâtie,
Et je relèverai les ruines de Juda
Comme jadis j’ai dit à l’océan : sois sec,
Et que j’ai fait tarir les flots.
J’ai dit à Cyrus mon berger : Fais mon plaisir.
J’ai pris mon Oint Cyrus par la main pour abattre
Les nations, dépouiller les rois, forcer les portes
Afin que rien ne lui résiste.
Moi j’irai devant toi niveler les hauteurs,
Je briserai verrous de fer, battant de bronze,
Te livrerai les trésors cachés. Tu sauras
Que Dieu t’appelle par ton nom.
Il n’est de Dieu sauf moi qui suis Dieu sans égal
Et je t’ai donné ton nom sans que tu me connaisses.
Je t’ai fait te lever pour Jacob mon élu,
Qu’on voie que sauf moi tout en vain.
Cieux distillez d’en haut la rosée de justice,
Terre, ouvre-toi que de toi germe le salut,
Dit le Dieu non pareil qui fait le bien, le mal,
Les ténèbres et la lumière.
La jarre dit-elle au potier : Qu’as-tu fait là ?
L’argile qu’il pétrit dit-elle : Où sont tes mains ?
A son père dit-on : Qu’as-tu engendré-là ?
A sa mère : Qu’enfantes-tu ?
M’interrogez-vous sur mes fils et mes œuvres,
Moi qui peuple le sol d’hommes et le ciel d’astres ?
J’ai suscité mon Juste et déblayé sa voie
Afin qu’il rapatrie mon peuple.
Les paysans d’Egypte et les marchands arabes
Viendront m’adorer dans ma ville rebâtie
Disant : le Dieu qui loge ici est sans comparses,
Les autres dieux n’existent pas.
VI
Bel se courbe, Nebo succombe.
Leurs statues s’en vont à dos d’âne :
Ces fardeaux sont lourds pour les bêtes.
Les dieux fléchissent et s’effondrent.
Ils s’en vont en captivité
Sans délivrer ceux qui les portent.
Jacob, je t’ai porté enfant,
Ecoute-moi : je suis le même,
Je soutiendrai tes cheveux blancs.
A qui me comparerais-tu ?
Le métal a besoin d’orfèvres :
Ils adorent les dieux qu’ils font !
On hisse l’idole en son lieu :
Elle y demeure sans bouger,
On la prie sans qu’elle réponde.
Pêcheur souviens-toi du passé :
Dès le début j’ai dit la fin.
Je suis Dieu. Il n’en est pas d’autre.
Je sais ce qui n’est pas encore.
J’accomplis mes moindres desseins.
Je t’avais parlé d’Aujourd’hui.
J’ai nommé au fond de l’Orient
Cet oiseau de proie que voici
Prédestiné pour mon projet.
Ecoutez-moi, cœurs accablés :
Voici survenir ma Justice.
Et ma gloire est sur Israël.
VII
(Lamentation sur Babylone)
Descends t’asseoir dans la poussière, ô Babylone
Viens t’accroupir sur le sol, fille détrônée.
Tu ne seras plus nommée « la tendre, l’exquise ».
Prends la meule, broie le grain et dénoue ton voile.
Relève pour passer l’eau ta robe à tes cuisses
Et qu’on voie ta nudité. C’est là ma vengeance.
Assois-toi dans l’ombre en silence, ô Chaldéenne.
Tu ne seras plus nommée « reine des royaumes. »
Je t’avais livré mon peuple et dans ma colère
Le profanais à tes mains : tu fus sans pitié.
Tu écrasais le vieillard sous ton joug pesant,
Tu te disais : « Je serai toujours souveraine. »
Et maintenant écoute un peu, ô voluptueuse
Qui sans rien craindre disais : « Moi seule et nulle autre,
« Jamais je ne serais veuve ou privée d’enfant. »
Ces deux malheurs surviendront sur toi d’un seul coup :
En un jour tu seras veuve et privée d’enfants
Malgré tes enchantements et tes sortilèges.
O toi rusée qui te disais : « Nul ne me voit »
Ta sagesse et ton savoir t’ont bien mal conduite !
Tu te disais dans ton cœur : « Moi seule et nulle autre ! »
Tu ne pourras conjurer le malheur qui vient :
La catastrophe imprévue va fondre sur toi,
C’est un désastre soudain qui va t’assaillir.
Et maintenant rappelle à toi tes sortilèges.
Tu as travaillé pour eux depuis ta jeunesse :
C’est temps d’en tirer profit pour m’effaroucher !
Serais-tu lasse à la fin de tes conseillers ?
Que se lèvent tes sauveurs, observateurs d’astres !
Qu’ils t’épargnent le fléau, tes pronostiqueurs !
Ils ne sont que proie de la flamme ainsi que paille.
Ils ne pourront échapper au pouvoir du feu.
Tu n’y cuiras pas ton pain comme sur des braises.
Tu n’y viendras pas t’asseoir comme à un foyer.
Tu as travaillé pour eux depuis ta jeunesse :
Ils s’en iront en leur lieu sans te délivrer.
VIII
Ecoutez donc, héritiers de Jacob,
O mentionneurs de mon nom éternel,
Mes mensongers suppliants, mes parjures
Qui vous targuez du secours de ma force
Et vous croyez ma cité sainte.
J’ai dés longtemps prédit ce qui advint.
Ce qui fut dans ma bouche est arrivé.
Tout malheur vint de ton obstination.
Ta nuque de fer, ton front de bronze.
Je le savais et je l’ai dit.
J’ai dit dès le début ce qui viendrait,
Te l’ai montré de peur que tu ne penses :
« Ma statue de métal a fait ces choses »
Tout ce qui fut je te l’avais prédit,
N’en conviendras-tu pas maintenant ?
Voici que j’ai des mystères nouveaux,
De surprenants secrets à t’enseigner.
Je n’y avais pas ouvert tes oreilles,
Car je savais combien tu es rebelle
Et traître depuis ta naissance.
A cause de mon nom j’atermoyais,
Mais à la fin mon courroux t’a brisé.
Si je t’ai éprouvé comme l’argent
Au creuset du malheur c’est pour ma gloire
Dont je suis seul à prendre soin.
Mais maintenant qui prévoyait ceci ?
Mon Aimé accomplit mon bon plaisir
Contre les Chaldéens et Babylone.
Ce n’est plus un secret, il peut le dire :
« L’Esprit du Seigneur Dieu m’envoie. »
Fuyez les Chaldéens, criez de joie,
Sortez de Babylone en proclamant :
« Dieu a sauvé son serviteur Jacob.
« Ils n’ont pas soif ceux qu’Il mène au désert :
« Il fait jaillir l’eau du rocher. »
IX
(Le serviteur)
Voici mon serviteur que je soutiens,
Mon préféré, le choisi de mon âme,
J’ai fait sur lui reposer mon esprit
Qu’il annonce aux nations mon jugement.
Il ne crie pas, ne hausse pas le ton.
Sa voix ne retentit pas dans les rues.
Je ne romprai pas ce roseau froissé
Ni n’éteindrai la mèche encore fumante.
Il est fidèle à publier mon droit.
Je ne l’éteindrai ni ne le romprai
Qu’il n’ait sur terre établi ma justice :
Les rivages désirent sa lumière.
Mon Dieu m’a dit en déployant le ciel,
Fondant le sol, le recouvrant de plantes
Et donnant souffle aux êtres qui s’y meuvent ;
« Toi je t’ai appelé pour la justice.
« Je t’ai pris dans mes mains et t’ai pétri
« Pour être alliance et clarté des nations :
Ouvre maintenant les yeux des aveugles,
« Brise les fers des captifs, fais lever
« Ceux qui sont accroupis dans les ténèbres. »
Peuples d’îles au loin, écoutez-moi :
Dieu m’a nommé dès le sein de ma mère,
De ma bouche il a fait l’épée tranchante
Qu’il tient cachée dans l’ombre de sa main,
Je suis sa flèche aiguë dans son carquois.
Mon Dieu m’as dit : « Tu es mon serviteur. »
Moi je pensais : « J’ai travaillé en vain,
« J’ai consumé ma vie pour le néant. »
Mais mon droit subsistait chez l’Eternel,
C’est à ses yeux que j’étais glorifié.
Lui qui m’a désigné dès la matrice
Pour rassembler les tribus d’Israël
M’a dit : « C’est peu de relever Jacob,
« Je fais de toi la lumière des peuples
« Que mon salut brille aux confins du monde. »
Dieu m’a donné de parler en disciple
Afin de soutenir les épuisés.
Chaque matin il m’éveille l’oreille
Et j’écoute en disciple sa parole.
Je n’ai pas résisté, ni reculé,
Tendant le dos à ceux qui me frappaient,
Les joues à ceux qui m’arrachaient la barbe,
Ni retiré ma face des crachats.
Je n’ai pas voulu ressentir l’outrage.
J’ai durci comme un caillou mon visage.
J’étais sûr de n’avoir pas à rougir.
M’accuseront-ils devant mon Sauveur ?
Me condamneront-ils s’Il me défend ?
Ils s’en vont en charpie, rongés de teigne !
Chercheurs de Dieu, voyez son Serviteur
Qui marche à tâtons la nuit, sans flambeau :
Il se confie, il s’appuie sur son Dieu.
Quant aux mauvais qui allument des feux
Pour enflammer à ces brasiers leurs flèches
Ils tomberont parmi leurs propres flammes
Car je les coucherai dans leurs supplices.
Voici que s’est levé mon Serviteur.
Ils sont frappés de stupeur à sa vue
Tant il n’a plu l’apparence d’un homme
Et tant son visage est défiguré.
La multitude est saisie d’épouvante.
Les rois des nations restent bouche close.
Ils voient Celui qu’ils ne prévoyaient pas,
L’ont sous les yeux sans l’avoir attendu.
Car qui aurait pu croire à ma parole ?
Auquel avais-je expliqué mon dessein ?
Il grandit devant nous comme un surgeon,
Un rejeton dans une terre aride.
Nous l’avons vu sans éclat ni beauté.
Nul charme en lui, rien qui puisse nous plaire.
Il n’a été qu’un objet de mépris,
Le plus malade et le dernier des hommes,
Un homme de douleur et de rebut,
Celui dont on détourne son visage.
Mais c’étaient nos douleurs qu’il supportait.
Il était accablé de nos souffrances.
Quand nous pensions que Dieu le punissait
Il était transpercé pour notre faute.
C’est notre guérison qui le broyait.
C’est par ses plaies que nous sommes sauvés.
Nous étions tous des brebis égarées,
Chacun vaquait par son propre chemin :
Dieu fit sur lui retomber tous nos crimes,
Dieu l’a traité selon notre injustice.
Lui s’est soumis sans même ouvrir la bouche
Comme aux mains des tondeurs vont les brebis.
Il a été saisi et condamné
Comme un agneau qu’on pousse à l’abattoir.
Nul n’a compris, ni défendu sa cause.
Il fut frappé à mort pour nos péchés,
Retranché de la terre des vivants.
Sa sépulture est avec les impies.
Il est couché avec les malfaiteurs,
Lui dont la bouche a été sans mensonge,
Tant le Seigneur s’est plus à l’écraser.
Mon serviteur en s’accablant soi-même
Justifie les nations par son malheur.
S’il a livré son âme en expiation
J’ai trouvé dans ses mains mon bon plaisir.
Ses jours et ses lignées seront sans fin.
Il verra la lumière en plénitude.
Il aura pour butin des multitudes.
Je lui accorde en trophées les puissants.
Car il s’est lui-même livré à la mort.
Il accepta d’être estimé pêcheur.
Il a porté le fardeau des impies
Et dans l’angoisse intercédé pour eux.
X
Dieu parle en libérateur d’Israël
A celui que les nations méprisaient
Et qu’asservissaient les tyrans :
Les rois se lèveront à ton aspect,
Les seigneurs se courberont devant toi,
Puisque est fidèle un Dieu qui t’as choisi.
Je t’ai entendu au temps favorable,
J’ai été ton aide au jour du salut,
Je t’ai redonné ton pauvre héritage,
Je t’ai relevé des dévastations,
J’ai dit à tes captifs : « Prenez le large »,
A tes enténébrés : « Sortez au jour. »
Ils n’auront faim sur les voies du retour
Ni jamais soif sur les hauteurs arides
Et vent ni soleil ne les brûleront.
Le Maître du Pardon sera leur guide.
Il les emmènera vers les eaux vives
Et remblaiera leur route à travers monts,
Cieux, hurlez de plaisir. Exulte, ô terre.
Montagnes, éclatez de cris vainqueurs :
Dieu prend pitié du malheur de son peuple.
Sion disait : « L’Eternel m’abandonne. »
Quelle mère oublierait son nourrisson ?
Mais s’il en est, moi je ne t’oublie pas.
Je t’ai gravé dans le creux de mes mains.
J’ai constamment devant moi tes murailles.
J’ai éloigné de toi tes destructeurs.
Tes fils viendront te rebâtir en hâte.
Voici qu’autour de toi ils se rassemblent :
J’en fais ta parure de fiancée.
Les enfants dont tu te croyais privée
Se trouveront à l’étroit dans tes murs
Et te supplieront tout bas : « Fais-nous place. »
Ton cœur songera : « D’où me viennent-ils ? »
« Qui les a enfantés ? J’étais stérile.
« Qui les a élevés ? Je vivais seule. »
Moi j’ai brandi mon signal sur les peuples
Pour que sur leur épaule ou dans leurs bras
Ils re rapportent tes fils et tes filles.
Des reines te serviront de nourrices
Et tu auras des princes pour tuteurs
Et tu sauras que je suis l’Eternel.
Arrache-t-on les captifs aux vainqueurs ?
Moi pourtant je leur reprendrai leur proie
Et je querellerai tes querelleurs :
Tes tyrans se dévoreront entre eux,
Ils lècheront l’empreinte de tes pieds
Et tous sauront que je suis ton Sauveur.
XI
Où est la lettre qui répudiait votre mère ?
Auquel de mes créanciers vous ai-je donnés ?
Vous vous êtes vendus vous-mêmes par vos actes.
Ce sont eux qui ont fait rejeter votre mère.
Pourquoi suis-je venu sans rencontrer personne ?
Pourquoi ai-je appelé sans obtenir réponse ?
Mon bras deviendrait-il trop court pour délivrer ?
Ma force de salut serait-elle amoindrie ?
Il me suffit de hausser la voix sur les eaux
Pour assécher la mer et tarir les grands fleuves
Que, morts de soif, les poissons les empuantissent.
Je couvre à mon gré le ciel d’un noir sac d’orage.
Si vous cherchez la justice de l’Eternel
Voyez Abraham, ce roc où je vous ai taillé,
Voyez Sara, ce puits d’où je vous ai sorti :
Je les ai choisis seuls pour les multiplier.
Le Seigneur a pitié des ruines de Sion.
Il fera du pays saccagé son jardin.
On n’y entendra retentir que cris de joie,
Psaumes de gloire er récitations de louange.
C’est ma victoire qui est la clarté des peuples.
J’envoie pour les délivrer ma propre lumière.
C’est ma main seule qui statue sur les nations
Et les îles au loin ne s’attendent qu’à moi.
Levez les yeux : le ciel se dissipe en fumée.
Voyez la terre : elle est usée comme un haillon,
Ses habitants y périssent comme des mouches,
Ma victoire est seule à ne pas avoir de terme.
Ecoutez-moi donc car mes décrets vous concernent.
Ne fléchissez pas sous les injures des hommes
Que ronge la teigne et que dévorent les mites,
Car ma justice persiste éternellement.
Réveille-toi, réveille-toi, bras du Seigneur,
Réveille-toi dans ta force comme autrefois.
N’as-tu pas frappé Rahab et l’ancien Dragon
Et desséché sur ton chemin le grand Abîme ?
Moi seul suis ton Défenseur. Qu’as-tu à craindre ?
Les mortels n‘ont pas plus de durée que les herbes.
Tu oublies ton Dieu qui tient le ciel sur la terre.
Tu trembles devant les tyrans ! mais où sont-ils ?
XII
Réveille-toi, debout, Jérusalem,
Toi qu’enivra la coupe de colère,
Toit ruine inconsolée qui t’affalas
Lorsque tes fils sans force au coin des rues
Se débattaient sous le courroux de Dieu
Comme au filet sont pris les bœufs sauvages
Ecoute au fond du vertige, affligée.
Ton divin Défenseur te prend des mains
Le calice d’abîme où tu buvais.
Je le ferai goûter aux oppresseurs
Qui te disaient : « Courbe-toi que je passe. »
Et qui prenaient ton corps pour leur chaussée.
Réveille-toi, réveille-toi, Sion,
Vêts-toi de force et de magnificence.
Jérusalem, cité sainte, jamais
L’impur païen ne violera ton seuil.
Debout, captive, et secoue ta poussière.
Délivre-toi de tes liens, prisonnière.
Qu’ils sont beaux sur les montagnes, les pieds
Du messager de bonheur et de paix
Quand il annonce à Sion : « Ton Dieu règne ! »
La voix de tes guetteurs, clameur de joie !
Tous ensemble ils crient qu’ils voient face à face
Ton Dieu te revenir, Jérusalem.
Ah ! triomphez, décombres de Sion !
Dieu vous rachète et console son peuple.
Il met à nu son bras de sainteté.
Sortez, mais non comme en fuite, sortez
Sans hâte de Babel. Le même Dieu
Qui marche en tête est votre arrière-garde.
Stérile, oh ! cri de joie : L’abandonnée
A plus de fils que l’épouse, dit Dieu.
Déploie ta tente, allonge tes cordages.
Tu repeupleras les cités désertes.
De tous côtés ta race va s’étendre
Et posséder l’espace des nations.
Ne rougis plus, oublie que tu es veuve
car tu as pour époux ton Créateur.
Le Dieu de l’univers t’a rachetée.
O désolée, ton Seigneur te rappelle.
Tu t’es crue délaissée. Répudierais-je
La femme de ma jeunesse ? dit Dieu.
Je t’ai caché mon visage un instant
Quand j’ai laissé déborder ma fureur,
Mais comme au temps de Noé je te jure
Que mon courroux ne t’immergera plus.
Les monts peuvent sombrer, mais mon amour
T’a rassemblée pour ne cesser jamais.
O malheureuse, ô battue par les vents,
Je rebâtis tes murs sur le saphir.
Je te ferai des créneaux de rubis,
Des portes de cristal, inattaquables.
Et tu seras fondée sur la justice,
A l’abri des terreurs et des tyrans.
Et moi si j’ai créé le forgeron
Qui souffre sur la braise et fait les glaives
J’ai tout autant créé leur destructeur.
L’arme forgée contre toi se rompra
Et se taira la bouche qui t’accuse :
Tel est ton sort de serviteur de Dieu.
O vous qui avez soif, venez vers l’eau.
Buvez du vin et du lait sans payer,
Car pourquoi dépenser votre travail
Et votre argent pour n’être pas repus.
Le seul vrai pain c’est d’écouter ma voix :
Venez m’entendre et vous aurez la vie.
Mon alliance avec toi est éternelle.
J’ai fait de toi un témoin pour les peuples,
Un maître des nations, leur conducteur,
Et tu convoqueras les étrangers.
Les inconnus vont accourir à toi
Puisque ton Seigneur t’aura glorifié.
Cherchez le Seigneur pendant qu’il se trouve.
Invoquez l’Eternel tant qu’il est proche.
Quittez vos voies, vos pensées d’injustice,
Car mes pensées ne sont pas vos pensées :
Autant le ciel est au-dessus du sol
Autant mes voies sont au-dessus des vôtres.
Traduit de l’hébreu par Jean Grosjean
in, Jean Grosjean : « Les prophètes »
Editions Gallimard, 1955
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(Eli, éli, lama sabactani) (03/03/2016)
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