Wolfdietrich Schnurre (1920 -1989) : Harangue du policier de banlieue pendant sa ronde du matin / Ansprache des vorortpolizisten
Harangue du policier de banlieue pendant sa ronde du matin
Tu habites dans la rosée, dans
le cri de la sittelle au-dessus des jardins,
dans le cauchemar du mouchard
et le rail conducteur du train de banlieue.
Tu souffles le brouillard dans la vallée,
la suie sur la bougie d’allumage,
tu chantes sous le sabot du cheval
et par la bouche de l’ivrogne.
Telle est ta mission.
Les veines du germe palpitent
dans le battement de ton pouls.
Mon maître et chef, si petit que je sois
devant le pupitre de ta puissance
je porte la main à ma casquette :
bonjour. Je fais à présent
ma ronde du matin, la ronde
des chats ; en passant devant les haies de jasmin,
devant les autos solitaires en stationnement,
plongé dans mes pensées, je compte
les flaques de lait sur l’asphalte,
j’ai encor le fracas des bidons dans la tête,
je le connais par cœur, et le barbotement
du lait, et son bruit sourd, quand il se cabre
contre la voûte du bidon,
je vois le veilleur de nuit éteindre
les lampes du chantier, je flaire
le mendiant, qui, raide maintenant,
sur le banc du parc se redresse,
bâille, se gratte l’oreille et
de nouveau s’assoupit, muet,vb
un torse d’or. Tout cela
est en moi, me resterait, même
si j’étais aveugle et sourd,
comme un sel qui retombe en putréfaction.
Sans bruit, cela coule à travers
mes veines, réfléchi
par l’expérience du sang,
à qui si peu de gens se fient.
Bien qu’il en soit ainsi
et que l’on puise être content
- car la mort attend
une vie entière,
souvent même il faut la prier –
je prends la liberté
d’oublier mon moi
er d’être seulement un souffle
sur la harpe de la peur :
A ce matin donne ton existence.
Fais souffler ton haleine
au-dessus des toits,
pour que tes enfants ne s’essoufflent pas.
Les poumons du soleil emplis-les
de lumière, fais-le nous éclairer,
apaiser l’abcès d’ombre
de notre peur. Lève la main ;
doucement comme le tilleul fleurit,
fais-la descendre sur les nuages
du monde. Ils peuvent comme givre
épouvanter les herbes,
ne plus se consumer autour
du fichu de la vendeuse de journaux.
Que lèvent
les semences du labeur,
que mûrisse l’espoir des abeilles
avec le pollen du vent,
avec la douceur du trèfle.
Mais la hâte,
cette meurtrière,
qui imagina la torture,
la capsule d’acide prussique,
elle doit s’engourdir
dans la glace du bac à essai,
s’assoupir dans la vapeur
des laboratoires et s’émousser
dans la poussière des casernes.
Que ne bâille point la vengeance ;
qu’elle soit exigeante.
Que ceux qui lui échappent
demeurent affligés
de rêves terrifiants.
Mais ceux qui parlent fort
et qui sont là pleins d’assurance,
qu’ils marchent en souliers de mousse
et fassent lever des colombes
aux bord des champs de tir,
laissés à l’abandon,
qu’ils taillent donc les haies,
apprennent à savoir
contrôler les filets
pour la pêche. Qu’un homme
soit de nouveau un homme.
Que du blé soit du blé,
si on le destine à
Irkoutsk ou Haïfa.
Car la voix de la mort
est suffisamment triste ;
peu nous chaut le discours
de l’orateur funèbre,
nous trouverons tout seuls
le royaume de l’oubli.
Les diffuseurs de tracts
peuvent dormir leur soûl,
ils épargneront
beaucoup de travail
aux balayeurs.
Qu’on renonce aussi
à la salve
du peloton d’exécution.
Les meneurs peuvent employer
leurs colleurs d’affiches
à cirer les chaussures
et bêcher les parterres.
Que les maîtres eux-mêmes
rentrent à la maison,
mais nous laissent aller
au parc, au cinéma
et dans notre jardin.
Leur sourire au vinaigre
a déjà empoisonné trop
de jours. Il faut aussi
une bonne foi commencer la guérison,
dessécher la ciguë
dans le jardin des ministères,
élever un enfant
qui pour jouer
n’ait pas besoin de règlement.
Regarde les oiseaux ;
ils font leur nid dans les canons
jetés à la ferraille
et chantent au printemps.
Que désirons-nous donc ?
Dire bonjour,
regarder par-dessus
la clôture, échanger
contre une peau de chèvre
quelques pommes ; qui donc
pense alors au couteau ?
Mais ils ont usurpé
les fonctions des anges
et singent le destin.
Mon maître et chef, la question
n’est pas de savoir comment
tu as pu permettre cela,
la question est de savoir
quand tu vas le changer.
Car nous sommes impuissants.
Ce n’est qu’à la patience
que succombe la force.
La terre est engraissée
de victoire ; et pourtant
c’est la force qui règne.
Ainsi pour quoi des armes ?
Alors plutôt vieillir
pour voir la violence
perdre ses dents,
l’injustice avoir une attaque
et les dénonciateurs
marcher avec des béquilles.
Tel est mon souhait.
C’est pourquoi j’évite
l’accident et garde
les années pour moi.
Je peux aussi mourir,
(tout métier a ses risques) ;
pourtant vivre est meilleur.
Nous devrions être prudents ;
peut-être vaincre le pouvoir
ne signifie rien d’autre
que de reste en vie
le plus longtemps possible.
Rusé par amour : voilà
ce que je veux être. Aussi
je me riens au carrefour
et conduis l’aveugle.
Chacun a le droit de devenir vieux,
le piéton aussi.
Qui ne voit pas les feux,
je le lui crie ; car
ils brillent pour tous.
Mon maître et chef. Cette ronde
touche à sa fin. Le parc
resplendit, sa verdure
cache les plaies de la colère.
Déjà le loriot fait silence.
L’été rouille de l’intérieur.
D’abord dans le gosier des martinets,
puis au fond du calice des tulipes
et lentement
le rouge monte aussi
aux joues du vin.
Fais-nous également mûrir
dans l’éclat de cette lumière,
sans nous plaindre, prêter l’oreille
à la chute des marrons,
au départ de la grue,
prendre patience même
avec l’hiver.
Le but est le grand âge,
il n’aime pas les gens pressés ;
son sourire appartient
aux vieillards qui jubilent.
Prenez garde, jeune homme,
en traversant la chaussée.
Traduit de l’allemand par Raoul Bécousse
In, Wolfdietrich Schnurre : « Messages clandestins,
et nouveaux poèmes »
Editions Noah, 1986
Du même auteur :
Adoration /Anbetung (28/11/2014)
Messages clandestins, poèmes 1945 – 1956 / Kassiber, gedichte 1945 – 1956 (I) (28/11/2015)
Messages clandestins, poèmes 1945 – 1956 / Kassiber, gedichte 1945 – 1956 (II) (28/11/2016)
Messages clandestins, poèmes 1945 – 1956 / Kassiber, gedichte 1945 – 1956 (III) (28/11/2017)
Messages clandestins, poèmes 1945 – 1956 / Kassiber, gedichte 1945 – 1956 (IV) (28/11/2019)
Nouveaux poèmes 1965 – 1979 (III) / Neue Gedichte 1965 – 1979 (III) (28/11/2020)
Nouveaux poèmes 1965 – 1979 (I) / Neue Gedichte 1965 – 1979 (I) (28/11/2021)
Nouveaux poèmes 1965 – 1979 (II) / Neue Gedichte 1965 – 1979 (II) (28/11/2022)
Nouveaux poèmes 1965 – 1979 (IV) / Neue Gedichte 1965 – 1979 (IV) (28/11/2023)
Ansprache des vorortpolizisten waehrend der morgenrunde
Du wohnst im Tau, im
Kleiberruf über den Gärten,
im Albtraum des Spitzels und
in der Stromschiene der S-Bahn.
Du hauchst den Nebel ins Tal,
den Russ auf die Zündkerze,
du singts unterm Pferdehuf und
mit dem Mund des Betrunknen.
Dein ist der Auftrag.
Das Geäder des Keimlings
zuckt im Takt deines Pulses.
Mein Herr und Chef, so klein
ich auch bin vorm Pult deiner Macht,
ich lege die Hand and die Mütze:
Guten Morgen. Ich gehe
die Frührunde jetzt, die Runde
der Katzen ; an Jasminhecken vorbei,
vorbei an einsam parkenden Autos,
zähle gedankenversunken
die Milchflecke auf dem Asphalt,
hab noch das Dröhnen der Kannen
im Kopf, kenne es auswendig, das
Plantschen der Milch, wie es dumpf
gegen die Wölbung sich aufbäumt,
sehe den Wächter die Lampen
der Baustelle löschen, rieche
den Bettler, der sich nun steif
von der Parkbank erhebt,
gähnt, sich am Ohr kratz und
wieder einnickt, stumm,
ein goldener Torso. All das
ist in mir, blieb mir, auch
wenn ich blind wäre, taub
wie moderndes Salz.
Lautlos durchrinnts
meine Adern, gespiegelt
von der Erfahrung des Blutes,
der so wenige trauen. Obwohl
das so ist und man
zufrieden sein könnte,
- denn der Tod
wartet ein Leben lang, oft
muss man ihn bitten –
erlaube ich mir,
mein Ich zu vergessen,
ein Hauch nur zu sein
auf der Harfe der Furcht :
Gib diesem Morgen dein Wesen.
Lasse deinen Atem hinwehen
über die Dächer, auf dass
deine Kinder nicht keuchen.
Fülle die Lungen der Sonne
mit Licht, lass sie uns leuchten,
lindern das Schattengeschwür
unserer Angst. Hebe die Hand;
sanft wie die Linde erblüht,
senke sie auf die Wolken
der Welt. Sie mögen als Reif
die Grasër erschrecken,
nicht meh runs Kopftuch
der Zeitungsfrau schwelen.
Aufgehen soll,
was gesät ist an Fleiss,
reifen die Hoffnung der Bienen
mit den Pollen des Windes,
mit der Süsse des Klees.
Aber die Hast,
jene tödliche, die
die Folter ersann,
die Blausäurekapsel,
sie solt erstarren
im Eis des Versuchsschachts,
schläfrig werden im Dunst
der Laboratorien, stumpf
im Staub der Kasernen.
Die Rache möge nicht gähnen ;
wählerisch sei sie.
Die ihr entkommen,
sollen heimgesucht bleiben
vom Terror der Träume.
Die Lauten aber,
die da so sicher sind, sie
sollen in Moosschuhen gehen,
Tauben aufsteigen lassen
vom Rand
verwilderter Schiessplätze,
Hecken beschneiden
und Kenntnisse im
Ueberprüfen von Angelgarnen
erlangen. Ein Mensch
werde wieder ein Mensch.
Weizen sei Weizen, ob er
für Irkutsk bestimmt ist
oder für Haifa.
Die Stimme des Todes
ist traurig genug; wir
brauchen die Ansprache
des Totredners nicht,
wir finden allein
ins Reich des Vergessens.
Die Flugblattverteiler
mögen sich ausschlafen
sie ersparen
den Strassenkehrern
viel Arbeit.
Auch auf die Salve
des Exekutionskommandos
lässt sich verzichten.
Die Anführer können
ihre Plakatkleber als
Schuhputzer verwenden
und beim Umgraben der Beete.
Sie selber, die Herren,
sie mögen sich nach Hause
begeben, uns aber
in den Park
gehen lassen, ins Kino
und auf die Parzelle.
Ihr Essiglächeln
hat schon zu viele Tage
vergiftet. Es muss auch einmal
die Heilung beginnen,
der Schierling im Garten
der Ministerien verdorren,
ein Kind aufwachsen, das
für sein Spiel
keine Vorschrift benötigt.
Siehe die Vögel;
sie nisten in den Kanonen,
die auf den Schrottplätzen stehen
und singen im Frühling.
Was wollen wir denn.
Guten Tag sagen,
über den Zaun sehen,
für eine Ziegenhaut
Aepfel erhalten; wer
denkt da ans Messer.
Sie aber massen sich an
die Aemter der Engel
und spielen Geschick.
Mein Herr und Chef, die Frage
ist nicht, wie du das zulassen
konntest, die Frage ist, wann
wirt du es ändern.
Denn wir sind machtlos.
Die Macht unterliegt
nur der Geduld.
Die Erde ist mit Siegen
gedüngt; und doch
herrscht die Macht.
Wofür also Waffen.
Dann Lieber alt werden,
zusehen, wie der Gewalt
die Zähne ausfallen, das
Unrecht der Schlag trifft
und die Denunzianten
an Krückstöcken gehen.
Dies ist mein Wunsch.
Deshalb vermeid ich
den Unfall und hebe
die Jahre mir auf. Ich
könnte auch sterben,
Gefahr wohnt in jedem Beruf ;
doch leben ist besser.
Wir sollten vorsichtig sein;
vielleicht heisst, die Macht
zu besiegen, nichts
als so lange wie möglich
am Leben zu bleiben.
Listig aus Liebe : dies
will ich sein. Deshalb
stehe ich an der Kreuzung
und geleite den Blinden.
Jeder hat ein Recht alt zu werden,
auch der Fussgänger. Wer
das Licht der Ampel nicht sieht,
dem ruf ich es zu ; es
leuchtet für alle.
Mein Herr und Chef. Diese Runde
nähert sich ihrem Ende. Der Park
leuchtet, sein Grün
verbirgt die Wunden des Zorns.
Schon schweigt der Pirol.
Der Sommer rostet von innen.
Zuerst in den Kehlen der Segler,
dann am Kelchgrund der Tulpen
und langsam
steigt das Rot auch
in die Wange des Weins.
Lasse auch uns reif werden im
Schein dieses Lichts, klaglos
dem Fall der Kastanie lauschen,
dem Aufbruch des Kranichs,
Geduld haben selbst
mit dem Winter.
Das Ziel ist das Alter,
es liebt den Eiligen nicht ;
sein Lächeln gehört
dem Froholocken der Greise.
Geben Sie acht, junger Mann
beim Ueberschreiten der Fahrbahn.
Kassiber und neue Gedichte,
Ullstein Buch, Berlin, 1979 et 1982
Poème précédent en allemand :
Nelly Sachs : « Vous mes morts... » / « Ihr meine Toten... » (16/09/2018)
Poème suivant en allemand :
Paul Celan : « Voix... / Stimmen... » (01/12/2018)