Charles Dobzynski (1929 – 2014) : Aimer Mourir
Aimer Mourir
Aimer Mourir
Longtemps longtemps
je fus latent dans l’émeraude
d’aimer mourir
lesté
de trop de lèvres
nourri
de trop de voix entre les feuilles
Effroi
de lanternes
Lenteurs
de phosphores cerclant la soif
Incendie aux yeux crevés
ignorant le braille du feu
Troqué tronqué
fuyant dans l’arc
l’ultra-violet
l’averse
d’un dédoublement de la vie
Quel est cet autre
qui me traverse
me trahit par transparence
fait le vide
détache mon corps
de l’aubier des embrasements ?
Métallisé dans mes sources
mes secousses
je crie au secours
Je me vole
ce que je suis
Ma suie laisse une empreinte
qui me ment
Mon sexe
scintille à l’embrasure
d’une nuit sans peau
qui repousse sous mes paupières
Panique
d’opacités
je palpe
l’insondable qui me découpe
L’ossature sans suite
de mon passé
Mes pas
en pointillé dans d’autres pas
Eteint je me tais
dans les pores
des peurs et des paumes
de tant d’impossible qui tend
sa corde à mon cou
Je troue une ombre qui me cloue
Je hais
ce corps éclos
secret dans mon corps
Eau rêche
qui m’entraîne au for de la terre
Je fore un puits qui se referme
plus noir sur l’attente
luttant
à coups de veines et de lèvres
contre
mon sang décalque mon visage
contrefaçon
Plante que rien n’apaise
griffes
de qui m’emporte à sa merci
Un morceau de mon corps se greffe
sur l’avenir
l’autre pourri déjà sans rêve
dans mes hiers mes fondrières
Pierre
où l’or palpite
que pour appauvrir la lumière
Je hais
ce suif et ces plis
cet autre tenace sans bouche
sans langue sans loi
qui m’ampute
de toi
qui m’effrange
me rend étranger
enveloppé dans ma blessure
seul
à fendre oubli
Dans ma faiblesse
à pic la plaie
où fondent
les plombs de mes nuits
en creux
pour le soleil et pour le nacre
de l’instant
que tu combles
Je brûle à vue d’œil
dans tes combes
dans tes douves
Dévalant l’air
de ta douceur
comme un corbeau mort
Mais la mémoire
du moi qui tombe
du moi qui naît
de la marée
corail
de toi
n’est rien qu’un corps
qui se délivre
muant la chair dénouant
l’anneau du néant
dans son brisement d’une rive
à l’autre de nous
une durée lourde.
Arbre d’identité
Editions Rougerie, 1976
Du même auteur :
Mère (12/08/2014)
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