Jacques Dupin (1927 – 2012) : Chapurlat
Chapurlat
L’éclat – l’enfance –
des calcaires
après l’orage, l’éclat
d’une récitation de pierres
au sommet des labours...
- quand se dessine, et saigne, et commence
de battre comme altercation, et fugue,
sous les tempes, le réticulaire
espace attisé, -
Recrachant l’air monstrueux, il marche,
il compte : - l’écart approprié,
le débours de son pas détruit...
Evadé de la trame retorse
des poisons et des sangles
il marche, il compte, à voix basse,
les arbres, - les barreaux détruits,
à voix basse déchirée...
Délivré de sa rixe avec le soleil,
sur des terres actives
simplement, il va
- comme tout surcroit de force va
à la multitude, au torrent...
Dessous sont des souterrains
étayés depuis des millénaires
par un tel récit, son battement,
et qu’un rire d’enfant secouru écroule
le mien, crécelle entre les racines
et frémissement de bruyères...
Il marche, il suit les progrès
de la foudre,
dans ses gerces de bourrelier...
Comment se battre nu-pieds
contre ce qui tonne
et tourne
autour des tempes, et bourdonne
sans signification , et scintille
et que l’espace emporte
dans sa fraîche suffocation
Les grands châtaigniers fendus
se reposent, un instant, lumineux,
de leur dramaturgie noueuse,
des prouesses déchiquetées de leurs feuilles,
ancrés sur l’abrupt, enracinés,
eux, dans la tempête de l’aride...
Il monte –
et pour finir de le détruire, le calme
musicalement érigé
sans lequel serait le sens, - répercuté
contre le rocher, ou nul,
ou le cri,
sa tête éparpillée sous la hache
le retour des remous de l’air
Du chaotique point de l’aube,
ensemble nous cessons
de glisser
- et le ciel se découvre...
et craquent les coutures du temps
dans les branches de châtaignier...
Qu’il aille, - qu’il casse le soleil
pour empierrer les chemins
de sa tête, - et redresser la grille,
le solaire
écartèlement
de sa marâtre, morte
mais le soleil a bifurqué,
mais la calculatrice est sourde,
l’enfance morte...
Aux orgues de basalte du second ravin
le souffle manque...
il est rendu, lui,
aux genêts, par les éclairs,
à la charogne maternelle, par le labyrinthe
brusquement simplifié,
avant de tomber, de fouir,
un terrier sanglant, excrémentiel,
jusqu’à ta nudité dissolvante,
aigre soleil,
second mourir,
vérité de sable et de vent...
Courbe prise au lacet comme une simple colline
chaque pensée le contourne, ici,
ou s’allonge devant son pas, pur
nombre inscrit dans le regard, abîme
à sa hauteur, élevé,
où toute construction, musicalement,
se désagrège...
Quel rire
protègera l’extrême voyageur
contre l’ombre sienne, séduite, épouvantée
par une tache de soleil ?
Il s’écarte, et revient, vers elle, abîme,
femme ligneuse d’une terre âpre, plaie
débridée à sa naissance, plaie sans bords,
gisement où se tord l’écheveau
de l’écriture du soleil
- et son halètement,
une lime dans le thorax...
De sa propre parole monstrueusement retournée
ils l’ont empalé sur la grille, - et la norme,
la puanteur de la norme
a fait le reste
Calme le vent, calme-toi
ils pourraient à investir à nouveau ce cercle de pierres
et de douleurs, dressé à plusieurs voix
dans le désordre grandissant
quand le calme
terrible
oscille
et que vibre le fléau
de sa balance
sur l’inscription charnelle de ton couteau
De ta puissante poussée répétitive
des mots soustraits à la mort
nue – jusqu’à la pupille éclatée d’un seul,
le trait, sept fois, le corps, battu, traversé
s’inscrit selon tel rayon de spirale
avec de la terre sur le vide, et du sang
contre le mur
Dehors,
Editions Gallimard, 1975
Du même auteur :
« j’ai cru rejoindre par instants… » (28/06/2014)
Grand vent (27/06/2015)
« Expérience sans mesure… » (28/06/2016)
Le règne minéral (28/07/2017)
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