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Le bar à poèmes
23 juillet 2018

Frantisek Hrubin (1910 – 1971) : Romance pour un clairon

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Romance pour un clairon

 

 

                                                                     Nuit du 28 août

 

Forêts vierges d’orties fouettées par les étoiles

à la fenêtre grande ouverte. Chaude nuit d’août.

Assis à la fenêtre genoux au menton. Je veille.

Je dois veiller. Et la fraîcheur de la chambre me presse

contre les empreintes chaudes et parfumées du dehors...

 

... Il est minuit aux orties, minuit aux aneth.

Terina, je te revêtirai d’étoiles

et ton corps éclaboussera les espaces infinis.

 Tu pourras entendre là-haut le dernier stridule

du grillon à l’automne

et l’explosion de l’étoile nouveau-née.

Mais l’infini pourra à peine contenir

cette larme brusquement surgie...

 

... Tu es partie au soir dans la carriole à rideaux.

Hier tu m’as embrassé sur la bouche

et le blanc flocon de ton baiser

s’est multiplié dans le ciel.

Je regarde du côté des étoiles et à chaque inspiration

je les attire toutes sur mes lèvres (...)

 

 

C’était au cours d’une de ces veillées

j’étais assis sur la fenêtre et je ne savais plus

combien tu avais de mains, combien de bouches.

C’était au cours de cette veillée funèbre

alors qu’il s’en fallait de peu que le sang

ne se figeât dans mes veines

et la sève dans mes ailes palpitantes.

C’était ta bouche effleurée promesse invariable

quand l’amour et la mort se croisaient en moi.

C’étai quand j’étais sûr que rien jamais rien

ne chasserait mes vingt ans, poissons aux nageoires dorées.

C’était si loin ! (...)

 

                               Et moi

deux semaines encore après la fête foraine

j’irai chaque jour à Chleb pour te revoir

et tu m’attendras au milieu des hauts genêts.

Et comme eux nous brûlerons de tous nos ors

avec autour de la bouche l’odeur frémissante des abeilles.

Et nos têtes, comme deux galets luisants

perdus au fond d’une rivière de soleil.

La couleuvre sentinelle sifflera sur les rives

et nous ignorerons la mort

comme la fleur de trèfle ignore l’ombre du papillon (...)

 

 

Le bac

 

La perche du passeur plonge à la recherche

d’un appui entre les galets du fond

et au milieu des craquements.

je ressens à la place de ces pierres

ce point qui m’appuie sur le cœur

à intervalles réguliers

pesant brutalement et relâchant sa poussée.

Pendant tout ce temps le soleil me consume

et l’autre rive au loin paraît inaccessible.

Alors je rejette la perche, lourde aile de bois

et je bondis sur le vert de la rive...

 

Terina ! les grillons nous joueront d’étonnantes rhapsodies

jamais entendues et tes yeux

comme de merveilleuses étoiles fermerai

et couvrirai par mes baisers. Le chant

des grillons nous rendra fous de bonheur.

Déjà j’arrive à t’imaginer tout entière

depuis le frémissement de tes narine dorées

jusqu’à la veinule de la blanche fossette

de tes genoux.

                                   Faut-il deviner

ce que tu fais à ce moment même ?

Je te vois couchée sur le dos, allongée

dans l’ombre de la carriole. Le soleil envoie

ses rayons pour te trouver.

                                   J’arrive (...)

 

 

                         Aujourd’hui nuit du 28 août

 

Forêts vierges d’orties fouettées par les étoiles

à la fenêtre grande ouverte. Chaude nuit d’août.

Assis à la fenêtre genoux au menton. Je veille.

Je dois veiller.

                                   Grand-père repose dans l’alcôve

sous le drap blanc. La bougie à sa tête

s’est déjà consumée. Je dois veiller.

Impossible par cette chaleur de fermer la fenêtre

et je protège mon grand-père des agressions

du monde grouillant dehors.

                             (.......................)

                                    Un jour quand je serai vieux, Terina

c’est ta tombe que je chercherai. Le fossoyeur

soufflera sur le feuillet au soleil de septembre

« Je me la rappelle bien. C’est noté dans le livre

j’ai prêté un costume à son père

pour l’enterrement.

                              Mais la tombe, dira le fossoyeur

n’existe plus depuis deux ans. »

Et moi, je serai vivant, vivant

comme un fou et mes ailes repliées

dans le sang de mes veines trépideront,

pleines de sève

                             (.......................)

Ne meurs pas, m’as-tu dit ce matin.

Moi mourir ?

                             Je suis assis à la fenêtre

je dois veiller. Et toi tu dors je ne sais où

Là-bas, loin, quelque part dans la carriole à rideaux.

Moi mourir ? Aujourd’hui il y a tous ces jours en plus...

où je m’épanouis dans l’éclat du soleil

me répandant comme une chanson à mille refrains.

Aujourd’hui il y a aussi cette nuit en plus

et je me retrouve à la charge des autres

et de moi-même...

 

Traduit du Tchèque par Milan Kepel

in, «  Poésie 1, La Nouvelle poésie tchèque, N° 46, juillet-août 1976 »

Librairie Saint-Germain-des-Prés,Editeur, 1976

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