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Le bar à poèmes
10 avril 2018

Jacques Réda (1929 -) : « Quand montant de la porte d’Orléans… »

    

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      Quand montant de la porte d’Orléans on arrive à peu près au milieu

de l’avenue du Maine, il y a ce replat vaste où le ciel s’enfle et roule

sans peser plus qu’une bulle contre la Tour. Encore moins de

 cinquante mètres et la ville se reconstitue , on le sait depuis toujours.

Mais le savoir ne change pas grand-chose, s’en assurer non plus :

quelques pas en arrière et de nouveau c’est l’extrême limite,

l’interruption de tout au bord d’un néant lumineux. La Tour elle-

même n’a rien changé car elle pointe, comme en haut d’une jauge,

ses dernières graduations qui plongent dans l’inconnu. Cherchant une

figure plus concrète, on dirait que l’Océan s’annonce au-delà de ce

plan de goudron, cependant sans insistance et en quelque sorte sans

flots : réduit, après un infini de vase et de sables tendres, à ce léger

trait de feu qui palpite, qui va chavirer comme une barque sous un

excès de toile et de bleu. Ainsi lorsqu’une turbulence de clartés

signale de très loin le large, dans l’espace en dilatation, mais que ce

qui paraît peut bien n’être qu’une gare de triage, avec ces jets en

éventail de rails étincelants. On est d’ailleurs ici tout près des  

combinaisons de Montparnasse, et l’on aspire plutôt à des chemins de

terre accompagnant le ballast qu’à, cette chimère métaphysique de

vide et de plénitude, de fin et de recommencement, dont pourtant le

bout du trottoir, au niveau des nuages, surplombe l’immense vision.

mais bientôt la rue de l’Ouest, à gauche, puis encore la rue du

Château, les zincs arabisés et les épiceries juives, une foule de piétons

peu causants, qui flânent (ont du reste l’air en flanelle) et s’attardent

en longs attroupements : on signe la pétition contre le projet d’une

autoroute qui, sur ce vieux quartier sombre et pauvre mais doucement

replié sur soi, sur les gens qui l’habitent, s’abattrait en travers comme

une grande matraque de béton.

 

Les Ruines de Paris

Editions Gallimard, 1977

Du même auteur :

Elégie de la petite gare (10/04/2015)

 Aux environs (10/04/2016) 

 Pluie du matin (10/04/2017)

Oraison du matin (10/04/2019)

Le soir, rue de la Duée (10/04/2020)

 L’aurore hésite (10/04/2021) 

Lettre à Marie (10/04/2022)

La pente (10/04/2023)

Un paradis d’oiseaux (10/04/2024)

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