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Le bar à poèmes
7 février 2018

René Depestre (1926 -) : Atibon-Legba

 

renedepestre_1_

 

 

Atibon – Legba

 

 

Je suis Atibon-Legba

Mon chapeau vient de la Guinée

De même que ma canne de bambou

De même que ma vieille douleur

De même que mes vieux os

Je suis le patron des portiers

Et des garçons d'ascenseur

Je suis Legba-Bois I.egba-Cayes

Je suis Legba-Signangnon

Et ses sept frères Kataroulo

Je suis Legba-Kataroulo

Ce soir je plante mon reposoir

Le grand médicinier de mon âme

Dans la terre de l'homme blanc

À la croisée de ses chemins

Je baise trois fois sa porte

Je baise trois fois ses yeux !

Je suis Alegba-Papa 

Le dieu de vos portes 

Ce soir c'est moi

Le maître de vos layons

Et de vos carrefours de blancs

Moi le protecteur des fourmis

Et des plantes de votre maison

Je suis le chef des barrières

De l'esprit et du corps humains !

J'arrive couvert de poussière

Je suis le grand Ancêtre noir

Je vois j’entends ce qui se passe

Sur les sentiers et les routes

Vos cœurs et vos jardins de blancs

N'ont guère de secrets pour moi

J'arrive tout cassé de mes voyages

Et je lance mon grand âge

Sur les pistes où rampent

Vos trahisons de blancs! 

 

Ô vous juge d'AJabama

Je ne vois dans vos mains

Ni cruche d'eau ni bougie noire

Je ne vois pas mon vêvé tracé

Sur le plancher de la maison

Où est la bonne farine blanche

Où sont mes points cardinaux

Mes vieux os arrivent chez vous

Ô juge et ils ne voient pas

De bagui où poser leurs chagrins

Ils voient des coqs blancs

Ils voient des poules blanches

Juge où sont nos épices

Où est le sel et le piment

Où est l'huile d'arachide

 Où est le maïs grillé

Où sont nos étoiles de rhum

Où sont mon rada et mon mahi

Où est mon yanvalou?

Au diable vos plats insipides

Au diable le vin blanc

Au diable la pomme et la poire

Au diable tous vos mensonges

Je veux pour ma faim des ignames

Des malangas et des giraumonts

Des bananes et des patates douces

Au diable vos valses et vos tangos

La vieille faim de mes jambes

 Réclame un crabignan-legba

 La vieille soif de mes os

Réclame des pas virils d'homme !

 

Je suis Papa-Legba

Je suis Legba-Clairondé

Je suis Legba-Sé

Je suis Alegba-Si

Je sors de leur fourreau

Mes sept frères Kataroulo

le change aussi en épée

Ma pipe de terre cuite

Je change aussi en épée

Ma canne de bambou

Je change aussi en épée

Mon grand chapeau de Guinée

Je change aussi en épée

Mon tronc de médicinier

Je change aussi en épée

Mon sang que tu as versé !

 

O juge voici une épée

Pour chaque porte de la maison

Une épée pour chaque tête

Voici les douze apôtres de ma foi

Mes douze épées Kataroulo

Les douze Legbas de mes os

Et pas un ne trahira mon sang

Il n'y a pas de Judas dans mon corps

Juge il y a un seul vieil homme

Qui veille sur le chemin des hommes

Il y a un seul vieux coq-bataille

Ô juge qui lance dans vos allées

Les grandes ailes rouges de sa vérité !

 

Journal d’un animal marin

Pierre Seghers, éditeur, 1964 

Du même auteur :

Minerai noir (15/02/2016)

Dito (07/02/2017)

 

Le métier à métisser (07/02/2019)

 

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Commentaires
T
GRAND HOMME!
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