Friedrich Hölderlin (1770 – 1843) : Chant du destin d’Hypérion / Hyperions Schickalslied
Chant du destin d’Hypérion
Vous avancez là-haut dans la lumière
Sur un sol tendre, bienheureux génies ;
Les souffles scintillants des dieux
Vous effleurent à peine,
Ainsi les doigts musiciens
Les cordes saintes.
Les habitants du Ciel vivent purs de Destin
Comme le nourrisson qui dort ;
Gardé avec pudeur
En modeste bouton,
L’esprit éternellement
Fleurit en eux.
Et les yeux bienheureux
Considèrent la calme
Eternelle clarté.
Mais à nous il échoit
De ne pouvoir reposer nulle part.
Les hommes de douleur
Chancellent, tombent
Aveuglément d’une heure
A une autre heure,
Comme l’eau de rocher
En rocher rejetée
Par les années dans le gouffre incertain.
Traduit de l’allemand par Philippe Jaccottet
1n, « Anthologie bilingue de la poésie allemande »
Editions Gallimard (La Pléiade), 1995
Chant du destin
Vous marchez doucement là-haut dans la lumière
Sur un sol tendre, ô bienheureux Génies !
Les divins vents brillants
Légèrement vous touchent,
Ainsi les cordes sacrées
Les doigts de la musicienne.
Sans destin, comme est le sommeillant
Nourrisson, respirent les divinités célestes.
Et chaste se garde en son bouton modeste
Fleurit toujours pour eux l’esprit,
Et les bienheureux yeux regardent
Dans la paisible
Clarté éternelle.
Mais à nous, à nous fut donné
Nulle part de n’avoir repos.
Il tombe et disparaît, l’homme souffrant
Aveuglément d’une heure dans l’autre heure
Comme l’eau d’un brisant
Lancée sur le brisant,
Pendant les temps jusques à l’incertain d’en bas.
Traduit de l’allemand par Pierre Jean Jouve et Pierre Klossowski
in, « Poèmes de la folie de Hölderlin »
Editions J.O. Fourcade, 1930
Du même auteur :
« Je connais quelque part un château-fort… » / « Das alte Schloss zu untergraben … » (14//02/2015)
Ainsi Ménon pleurait Diotima /Menons Klagen um diotima (14/02/2016)
Le Pays / Die Heima (06/02/2017)
Fantaisie du soir / Abendphantasie (06/02/2019)
En bleu adorable / In lieblicher Bläue (06/02/2020)
« Comme, lorsqu’au jour de fête... » / « Wie wenn am Feiertage... » (06/02/2021)
Fête de la paix / Friedensfeier (01/08/2021)
La moitié de la vie / Hälfte des Lebens (06/02/2022)
Pain et vin / Brot und wein (06/02/2023)
Patmos (06/02/2024)
Hyperions Schickalslied
Ihr wandelt droben im Licht
Auf weichem Boden, selige Genien!
Glänzende Götterlüfte
Rühren euch leicht,
Wie die Finger der Künstlerin
Heilige Saiten.
Schicksallos, wie der schlafende
Säugling, atmen die Himmlischen;
Keusch bewahrt
In bescheidener Knospe,
Blühet ewig
Ihnen der Geist,
Und die seligen Augen
Blicken in stiller
Ewiger Klarheit.
Doch uns ist gegeben,
Auf keiner Stätte zu ruhn,
Es schwinden, es fallen
Die leidenden Menschen
Blindlings von einer
Stunde zur andern,
Wie Wasser von Klippe
Zu Klippe geworfen,
Jahr lang ins Ungewisse hinab.
Poème précédent en allemand :
Raoul Schrott : Du sublime III / Über das Erhabene III (01/01/2018)
Poème suivant en allemand :
Peter Huchel : Origine / Herkunft (16/04/2018)