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Le bar à poèmes
16 décembre 2017

Jean-Claude Renard (1922 – 2002) : L’exode annonce une rivière

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L’exode annonce une rivière

A Jean Grosjean

 

1

Entre les roseaux, les flaques d’herbe, les buissons de genévriers,

L’arc du sel au bord des vins rouges,

- Je marchais vers Aigues-Mortes,

Un canal ridé d’air attirait le silence, le sable

Et parfois des chevaux.

Qui transformera la braise immobile ?

 

2

Il y eut un goût de raisins à l’aplomb des saintes murailles :

Une liqueur de menthe.

Mais je n’entrai pas dans la ville.

S’écarter comme l’épaisse trace jaune de la mer

Au Grau-du-Roi,

Deviendrait peut-être une parole,

Une danse,

Le bruit blanc des flûtes près des tours

Ou tout à coup la main du cavalier ôtant de la corbeille l’orange.

 

3

Une fois traversés les marais anciens sous lesquels…

(Honorons l’innocence,

Commémorons un mort à peine né des vagues, plus bas, dans le gravier,

Et nul ne sait si l’île fut sa mère.

La transparence terrible et fascinante

Modifiant le sens de la nuit),

- Un mystère pur et libre de mûrir

M’enseigne avec le feu qu’il n’est pas de pierre infaillible.

 

4

Ce matin, en Arles

Sur la place étroite où le dieu brûla

(Toute une épaule couverte de poulpes frais)

Une foison d’oiseau prédit dans les platanes

Qu’il n’a pas quitté la fontaine.

 

5

Avant d’atteindre la fête,

A l’est, dans la grande garrigue où l’on ne souille plus l’été

(Dira-t-elle vers qui l’on voyage ?)

Ni l’immémorial miracle sur la plage plate que le fleuve mue

en sombre peau de buffle,

- Montmajour luit

Debout sur les arbres avec le ciel

Et de minces corneilles aux fenêtres hautes

Comme furent devant le soleil (en quel temps ?) les femmes arrivées d’Asie.

 

6

De toutes ces tombes dans la roche (était-ce ravins d’enfants ? profond jeu de

secrets ?) ouvertes avec un peu d’eau, de mica, de mousse

Sur la pente que les prés assaillent,

A l’orée du vent,

Aux angles justes de la lumière,

L’être allait-il exact surgir et se donner ?

 

7

Dans la galerie souterraine,

Avec des puits pour la lune,

La fable des belles faces blessées

et les trois œufs (pourquoi) sur un nid de feuilles glaciales,

Dormait le chien.

 

8

A l’abri d’une falaise tiède

Un instant l’absence bougea comme une bûche que l’on entaille

- Puis il me souvint

(D’où venais-je ? Qui viendrait avec l’huile d’olive, le seigle, les

tranches de citron pour les noces ?)

Comment furent pareils sous la mer et le verre rose et gris du soir

A S’Agaro

Les oursins et les pommes de pin.

 

9

A pluie cessée, le houx brilla brusquement

Et sur une souche, avec des fourmis à tête de groseille

(Comme choses mêmes du langage),

Une serpe oubliée.

Des vignerons qui rapportaient leurs hottes – un coq sur le muscat noir –

Déposèrent près d’elle des grappes.

 

10

J’avançais un peu dans les bois,

Vers les terriers,

Jusqu’à la source des racines,

Pour demander à qui

S’il n’y a pas quelque part un amour toujours neuf ?

 

11

Dans la jeune chaleur,

Une science sacrée tremblait sur les Baux.

 

12

Lorsque entre les calcaires étincelant de trous et d’arêtes

Comme des éponges pétrifiées

Il fallut inventer une sente

Et dans la poussière, parmi les décombres (il n’est pas d’autre temple

que celui d’être unis),

Féconder l’avenir sans que l’avenir tue,

Changer sans se détruire et sans rien profaner,

Puis les paumes sur une rambarde rouillée s’habituer d’abord à l’abîme

Pour qu’il n’y ait plus que toute la plaine éclatante,

- Serait-il dit (dans l’agonie même de dire) que sans cesse, dehors, en ces

os qui croissent et s’usent,

Si quelqu’un se tient avec eux

(N’ayant pas ailleurs de nom)

Il y doit se perdre et manquer,

Parler et mourir comme les rocs creusés par l’orage

Pour donner d’entendre qu’il est ?

 

13

Rien ne demeurait que l’exode.

Et pourtant chaque pas, dans la sécheresse qui lave,

Ne faisait plus paraître une cendre sanglante

Mais des guêpes, des piérides, des bouquets épars de mauves,

- L’oracle d’une gloire issue de la chair

 

14)

De lentes montagnes, des nuages ardoisés

Promettraient peut-être qu’il ne neige sur les rivières,

Ne gèle autour de la foudre

Que par défaut ou refus (mais qui refuse ?)

Sitôt pris dans le val obscur

Suffira-t-il de garder confiance ?

 

15

Penché sur une plume bleue, des cailloux, une touffe de thym,

- Loin des rites qui cachent le feu dans les cavernes dévorantes,

J’apprenais que même quand les corps sont vides

(Ou l’or seulement comme une lampe de ténèbres)

Vivre reste possible.

 

16

Aucun repère,

Demain,

Ne subsistera-t-il dans les champs d’amandiers

Sinon de la parole qui lève l’interdit,

Chaque jour, au fond du labyrinthe,

Et comme un cerf, avec la violence des sèves vertes,

Perce dans la forêt froide et fossile

Une piste propice à l’alliance,

- Ou sera-ce inutile d’espérer d’autres signes que ceux qui, sans merveilles,

Encore teints d’acide et de sang,

Prophétiseront (comme au ras des tuiles, ce soir, sur les branches, les

premières étoiles de septembre)

Que le règne n’approche pas si l’homme ne devient l’homme ?

 

17)

Franchi le Rhône

Des hiboux vermeils attendaient.

 

La Nouvelle revue Française, N° 200, Août 1969

Editions Gallimard, 1969

Du même auteur :

Approche de la mort (14/10/2014) 

Psaume de Pâques (16/12/2015)

  Noir – mais pour initier (16/12/2016)   

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