Bernard Delvaille (1931 – 2006) : Elégie
Elégie
J’aime la mer et ses teintes de songe un peu trop vert
juste assez bleu violet au soir qui vient
si tristement dans une odeur de sable froid
à l’heure où dans l’estuaire aux pétroliers
avancent les bateaux sous les nuages à la Boudin
Un soir de pluie sur les pelouses de l’hôtel Skodsborg Söbad
nous longions des vitrines mortes des confiseurs
Le casino avait éteint la rouge ferveur de ses fuchsias
les villas s’endormaient dans un brouillard très Kierkegaard
lentement s’éclairaient les côtes de la Suède
Il y a longtemps de cela Nous avions des amours de plage
qui dès l’aube était de sel et de cerfs-volants
nous déjeunions de harengs crus et de bière Hamlet
et dès l’heure du thé le soleil à l’horizon baissait
La micheline rouge timbrait à la croix des allées
J’en ai longtemps connu de ces gazons d’aigue-marine
de ces roses de Picardie dans les jardins anglais
arrosées de jets d’eau aux couleurs d’arc-en-ciel
de ces ventilateurs de bars aux drapeaux frémissants
Tout paraissait léger comme à la jeunesse un destin
Il y eut les brouillards des quais les appels des bateaux
les ports et les néons qui cinglent au visage
les longues digues de verglas s’avançant dans la mer
le froid la neige au long d’interminables rails
où coule le genièvre dans l’odeur des jacinthes
Et puis le vent tourna et je vins à cueillir
aux talus interdits les roses de Touraine
et le haut bouillon-blanc des talus ferroviaires
mêlé à la fleur bleue des chicorées sauvages
quand le vent s’épaissit aux confins de la plaine
Dans la fraîcheur de l’aube où nait le chèvrefeuille
je partis tout au long des chemins et des haies
rapportant dans mes bras toutes les fleurs des bois
l’aconit violet et la gentiane amère
et de mauvais lilas couleur du souvenir
Aux jardins suspendus de Venise il y a
des arbustes fleuris qui s’accrochent aux pierres
des statues qui sourient de grands plaqueminiers
croulant sous les fruits lourds des oiseaux
qui ont peur des nuages et du vent et du ciel indigo
La mer vient au Lido s’épuiser sur le sable
une mouette se pose au sommet d’un duc d’Albe
surveille les bateaux s’enfuit dans un vol blanc
et la lune soudain au-dessus du Canal se lève
Qu’attendre encore ô dernière saison
Tout fut comme un fatal été qui se consume
Deauville – Elseneur – Venise, 1964 – 2004
Oeuvre poétique,
Editions de La Table ronde, 2006
Du même auteur :
« J’ai laissé tant d’amour dans les villes d’Europe… » (08/09/2014)
Amsterdam – Rembrandtsplein (13/10/2016)