Jacques Chessex (1934 – 2009) : L’énigme gère tes pas
L’énigme gère tes pas
Fuite des prés
Devant le soir
Le soleil est une barre jaune
Les graminées d’automne se penchent sous le vent
C’est l’heure où le passant fait ses comptes
Ni royaume ni certitude
D’autre tissu que d’air et de chemins perdus
De pensée en va-et-vient comme l’inquiet oiseau du regret
De pistes brûlantes et vaines
Cendre du soir
Quel signe suivre
L’entrelac des paroles disperse
Sait-il faire silence
Au vent du crâne passent trop de huées
La caverne du cœur résonne de trop de colère
Appels coups sursauts ressac
La hache du temps a taillé dans l’aubier de l’âme
La lame a fendu l’arbre de sel et de sang
La racine a tremblé comme un paysage de neige
Sous la montagne à crête de larmes
Ecoute
Rien n’est sûr l’énigme gère tes pas
Le safran du soir s’emplit de flûtes de crapauds
Assemblées d’autres errants moqueurs
A ton passage
La lune sort du champ de maïs
Elle aussi regarde ta figure de momie
Tu fais halte au soir éteint
Dans des cahutes de ruines blanches
Le délabrement est la loi
Tu t’égares dans des carrières désaffectées où règne la rouille
Le serpent du songe guette sous le tracteur abandonné
La lune avance sous le nuage à tête d’ours polaire
Et tes comptes en écho
Tes comptes pauvre Job
Rien n’est sûr rien ne s’allume
Ton pas dérange les dernières pailles de l’été
Dernières preuves
De la lumière qui fut haute
Le soir inhabitable s’emplit d’âmes en peine
Chauves-souris à ton image
Hôtesses providentielles der l’ombre
Dociles à ta ressemblance
Et toi les dénombrant
Voici ton lot troué ton sac de perles d’aubes
D’autre aurores égrenées viendront encore
Quelques années à ta rencontre
Passerelles vers le vide
Ainsi défaisant emmêlant l’écheveau des traces
Brouillant les voies de terre et d’air
Remontant au labyrinthe enfoui
Ainsi s’écartant comme un joueur flambe
Ayant perdu la belle barre jaune du soir
Dans la cendre froide
Il assemble et détruit ses tablettes
S’étant rendu seul au désert
Il mêle une part de soi au passé
L’autre à l’avenir
Toutes deux également inconnaissables
Allons bat les cartes
Trouve la porte couleur de soleil d’oeuf translucide
Là est l’issue
La promesse aux yeux de statue sous la fiente des merles
Ressac, Anthologie jeune poésie
Régis Dupont éditeur, Onex (Suisse), 1980
Du même auteur :
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