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Le bar à poèmes
25 octobre 2016

Allen Ginsberg (1926 – 1997) : Kaddish I

 

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Kaddish

A Naomi Ginsberg 1894 -1956

 

I

 

Etrange tout à coup de penser à toi, partie sans corset ni yeux,

     et moi qui marche sur le trottoir ensoleillé Greenwich Village


centre ville Manhattan, midi d’hiver clair, ne me suis pas couché

     de la nuit, ai parlé, ai parlé, ai lu le Kaddish à haute voix, ai

     écouté Ray Charles gueulant son blues tue-tête comme un

     sourd sur le pick-up

 

rythme rythme – et ton image trois ans après dans ma mémoire –

     Ai lu tout haut les dernières strophes triomphantes d’Adonaïs –

     ai pleuré me disant comme nous souffrons

 

Que la mort est remède dont rêvent les chanteurs, qu’ils chantent,

     qu’ils rappellent, qu’ils prophétisent comme l’Hymne Hébreu

     ou le Livre Réponse des Bouddhistes – ma vision à moi, une

     feuille fanée – au petit jour –

 

Rêvant à l’envers du courant de la vie, ton Temps – le mien, en

     accélération vers l’Apocalypse,

 

l’heure ultime – la fleur en flamme dans la Lumière – et ce qui vient

     ensuite,


contemplant, à l’envers, l’esprit qui connut une cité américaine

 

il y a une seconde au plus, et ce grand rêve de Moi et de la Chine,

     de toi et ton fantôme Russie, ou ce lit tout froissé qui jamais

     n’exista

 

comme ce poème dans le noir – reparti fuyant jusqu’à l’Oubli –

 

Plus rien à dire, plus rien sur quoi pleurer, que des Êtres dans un

     Rêve, dans la prison de leur disparition,

 

soupirs et cris dans leur prison, achetant, vendant des parts de

     fantômes, se concélébrant,

 

célébrant le Dieu inclus partout – désir d’amour, nécessité ? – une

     vision tant qu’elle dure – et puis ?

 

Tout saute autour de moi, dehors, dans la rue où je marche,

     regarde par-dessus mon épaule Septième Avenue forteresses

     immeubles à fenêtres de bureaux s’épaulant très haut en l’air,

     sous un  nuage, hauteur éphémère du ciel – et le ciel, par-

     dessus – cette vieille place bleue

 

ou bien marchant vers le Sud dans l’Avenue, marchant vers –

     en direction de Lower Esat Side – où 50 ans plus tôt petite fille

     de Russie – tu marchas, avalant tes premières tomates poison

     d’Amérique – effrayée par les docks –

 

et puis jouant des coudes dans la foule d’Orchard Street, allant vers

     quoi ? – Newark

 

     drug-stores, sucre candy, premiers sodas faits maison, glace au

     lait baratté dans l’arrière-cuisine sur un plancher marron moisi –

 

Vers éducation, mariage, dépression nerveuse, opération, métier

     d’institutrice, apprentissage de folie, un rêve – c’est quoi la vie ?

 

Vers la clé dans la fenêtre – grande clé tête lumineuse posée en

     haut de Manhattan, sur le plancher, posée  sur le trottoir – unique

     large rayon qui se déplace comme je descends Première Avenue

     vers le Théâtre Yiddish – lieu de misère

 

où tu vécus, moi aussi, je n’y pense plus maintenant – Etrange d’avoir

     traversé Paterson, et l’Ouest, et l’Europe pour revenir ici dans les

     clameurs des Espagnols aux vérandas des portes et des jeunes noirs

     dans la rue, escaliers de secours ton âge

 

 - Même si tu n’as plu d’âge aujourd’hui, que tout cela est pour moi

     ici sur terre,

 

Moi qui de toute façon, ai peut-être l’âge de l’Univers – lequel doit

     mourir avec nous, non ? – effacement absolu de ce qui vient – A

     chaque fois repart dans l’à-jamais ce qui vient –

 

Parfait ! Pas de place pour le regret – l’angoisse radiateur, les peines

     d’amour, les tourments ni même les rages  de dent pour finir –

 

Quoique, quand il est là, lui, c’est lion dévorant l’âme – et l’agneau,

     notre âme en nous hélas s’offre sacrificielle à la féroce faim du

     neuf – pelage et dents – rugissements de douleur dans les os,

     crâne à vif, côte qu’on brise, peau pourriture, implacable, cervelle

     viciée

 

Aïe ! Aïe ! il y a plus grave ! Dans de beaux draps, tous ! Et toi, dans

     la rue, Mort t’a laissé sortir, Mort a eu pitié, en as terminé avec ton

     siècle, terminé avec Dieu, terminé du chemin à travers – Fini de

     toi-même à la fin – Pure – revenue à la nuit petit bébé d’avant ton

     Père, d’avant nous tous – d’avant le Monde –

 

Tiens, repose-toi. Plus de souffrances pour toi. Je sais où tu as disparu,

     c'est bien

 

Plus de fleurs dans les champs l’été en New York, plus de joie non plus,

     plus la crainte de Louis,

 

Plus non plus, sa tendresse, ses lunettes, ses décennies-lycée, ses dettes,

     ses passades, appels d’angoisse au téléphone, plus les lits conception,

     plus la famille, les mains –

 

Ni ta sœur Elanor – partie avant toi – on te l’a caché – tu l’as tuée –

     ou bien s’est fait mourir par sympathie pour toi – rhumatisme au

     cœur –  La mort vous a eues toute les deux – N’importe -  

 

Plus non plus l’image de ta mère, larmes 1915 dans un film silencieux

     semaine après semaine – oubliée chagrin, tu regardes Marie Dressler

     faire discours à l’humanité, Chaplin danser, un gosse encore,

 

ou Boris Goudounov, Chaliapine au Met, théâtre vivant de sa voix, czar

     mourant – à l’entrée des artistes avec Elanor et Max – vous regardez

     les capitalistes prendre leurs places à l’orchestre, diamants, fourrure

     blanche,

en stop, avecYPSL, Pennsylvanie, jupes culottes bouffantes noires, photo :

     4 jeunes filles se tiennent par la taille, œil rieur, toutes timides, solitude

     virginale 1920

 

vieilles depuis, ou mortes, longs cheveux dans la tombe – heureuses

     de trouver époux par la suite –

 

Succès pour toi – je suis venu au monde – Eugène, mon frère, mon

     aîné (douloureux encore aujourd’hui va geindre jusqu’à l’ultime

     raideur de ses mains à travers affres d’un cancer – ou se tuera – plus

     tard peut-être - son idée, tout à l’heure)

 

Et c’est le dernier moment qui me revient, les revois tous au-dedans

     de moi, là, maintenant – mais pour toi, pourtant

 

N’ai pas vu arriver ce que tu as ressenti – quel hideux bâillement

     d’haleine fétide t’es tombé dessus tout à coup - toi - étais-tu prête ?

 

A partir où ? dans la nuit ? – là-bas – dans Dieu ? le rayonnement ? Le

     Seigneur dans le Vide ? Comme oeil d’une nuée noire en rêve ?

     Adonaïs, avec toi, à la fin ?

 

Trop loin pour le souvenir ! Incapable d’imaginer ! Pas seulement le

     crâne jaune dans la tombe, la boîte sciure de vers, le ruban maculé –

     Tête mortuaire avec Halo ? non mais crois-tu !

 

N’y-a-t-il que le soleil qui brille une unique fois dans l’esprit, la

     fulgurante minute d’existence, que personne jamais ne sera ?

 

Rien de plus que ce que nous avons – tu as eu - ce pitoyable – oui –

     Triomphe

 

vivre sur terre et, changée, comme un arbre, brisée, une fleur – en

     pâture à la terre – mais folle, et ses pétales, colorés, Grand Univers

     pensant, ébranlé, tête fêlée, lambeau de feuille, hôpital tapi dans un

     canon à œufs, linge noué, misère – cerveau lune toqué Zéro néant.

 

Pas de fleur qui se connut elle-même en son jardin comme cette fleur-là,

     qui combattit la lame sécatrice – défaite.

 

Coupée ras par un idiot Bonhomme de Neige – en plein Printemps –

     d’étrange pensée spectre glaciale – Mort quelconque – Glaçon aigu à

     la main –

 

couronnes vieilles roses – pour œil, un chien – pour bite une usine bagne –

     fer électrique à repasser dans le cœur.

 

Et toutes ces accumulations de la vie qui nous usent – corps, horloges,

     consciences, chaussures, seins, enfants mis au monde – ton Communisme

     - Paranoïa transformée hôpital

 

Un jour tu donnas un coup de pied à Elanor, à la jambe, crise cardiaque

     l’emporta peu après. Toi, attaque cérébrale. Dans ton sommeil ? Moins

     d’un an plus tard, vous, les deux sœurs, mortes. Elanor est-elle heureuse ?

 

Max l’affligé survit dans un bureau de Lower Broadway, grande moustache

     solitaire penché sur ses Comptes de Minuit, il recompte. Sa vie – il le voit

     - défile, aujourd’hui quels sont ses doutes ? Il rêve encore de faire fortune,

     qu’il eût pu faire fortune, s’être payé nourrice, enfants, gagner ton

     Immortalité, Naomi.

 

Je vais le voir à l’instant. Il faut que j’abrège – mes paroles avec toi –

     ce que je ne faisais pas quand tu avais ta bouche.

 

Pour toujours. Notre destination. Pour toujours – comme les chevaux

     d’Emily Dickinson – qui prennent la route de la Fin.

 

La route qu’ils connaissent – Les Coursiers – galopent plus vite que

     nous ne pensons – c’est notre vie qu’ils croisent – qu’ils emportent.

 

Magnifique, pleurs taris, cœur en pièces, esprit en traîne, mariée rêvée,

     mortelle changée – Cul et face quitte des crimes.

 

Offrande dans le monde, fleur affolée, utopie manquée, enclose sous le

     sapin, aumônée par la terre, embaumée dans le Seul, que Jéovah

     t’accueille !

 

Nom nul, Visage Un. Pour toujours hors l’atteinte, commencement nul,

     fin nulle, Père dans la mort. Je ne suis pas ici pour cette Prophétie, je

     ne suis pas mariée, je n’ai pas d’hymne, n’ai pas de  Ciel et pourtant,

     tête coupée dans la plénitude du bonheur, t’adorerais encore.

 

Toi, Ciel après la mort, unique Un béni dans le Rien, ni lumière ni nuit,

     Eternité sans jour –

 

Accepte de moi ceci, ce Psaume, fleuri dans ma main en un jour, fragment

     de mon Temps, présent fait à présent au Rien – Mort Simple

 

Voici le terme, la rédemption dans le Désert Sauvage, la voie pour qui

     s’interroge, la Demeure quêtée pour Tous, le mouchoir noir lavé blanc

     par les larmes – la page d’Outre Psaume – l’altération finale de moi et

     Naomi – en la parfaite nuit de Dieu – Mort, boucle tes fantômes.

…………………….

 

 

Traduit de l’anglais par Jacques Darras,

In, « Arpentage de la poésie contemporaine »

Trois Cailloux – Maison de la Culture d’Amiens éditeur

Collection « In’hui » , Amiens, 1987

 

Kaddish

pour

Naomi Ginsberg 1894 -1956 

 

I 

Etrange de penser à toi, partie sans corsets ni yeux, & marcher sur le trottoir

     ensoleillé de Greenwich Village.

 

ville basse de Manhattan, clair midi d’hiver, et debout toute la nuit, parlant,

     parlant et lisant le Kaddish à haute voix, écoutant Ray Charles hurlant les

     blues aveugles sur le gramophone 

rythme rythme – et le souvenir de toi dans ma tête trois ans après – Et les

     dernières strophes triomphantes d’Adonaïs à haute voix – pleurant,

     comprenant notre souffrance 

Et la Mort est le remède dont rêvent tous les chanteurs, chantent, et se

     souviennent, prophétie dans l’Hymne Hébreu ou dans le Livre Bouddhiste

    des Réponses – et ma vision d’une feuille flétrie – à l’aube -     

Rêvant en arrière, à travers la vie, Ton époque – et la mienne, accélérant

     vers l’Apocalypse, 

le moment final – la Fleur brûlant dans la Lumière – et qu’advient-il après,

rêvant en arrière sur l’esprit même qui vit une ville américaine, entrevue 

comme un éclair, et le grand rêve de Moi ou de Chine, ou toi et la Russie

    fantôme, un lit défait qui n’a jamais existé -  

 

comme un poème dans le noir – retour vers l’Oubli –

 

Plus rien à dire, et plus aucune raison de pleurer, sinon les Êtres Rêvés pris

     au piège de la disparition, 

soupirant, criant avec çà, achetant et vendant des morceaux de fantômes,

     s’adorant l’un l’autre, 

adorant Dieu inclus dans le tout – le désir ou l’inexorable ? – Une vision,

     çà dure – autre chose ? 

Elle jaillit autour de moi, je me promène regardant par-dessus l’épaule,

      Septième Avenue, les créneaux des fenêtres d’immeubles commerciaux

     s’épaulent envapés sous un  nuage, un instant aussi hauts que le ciel – et le

     ciel, au-dessus – un vieil endroit bleu. 

ou descendant l’Avenue vers le Sud, vers – je me dirige sur le Lower Esat

     Side  –  où tu marchais il y a 50 ans, petite fille -  de Russie, mangeant les

     premières tomates empoisonnées d’Amérique – effrayée sur les docks – 

puis luttant dans les foules d’Orchard Street, vers quoi ? – vers Newark -

vers confiseries, premiers sodas du siècle fabriqués à la maison, glace barattée

     a la main dans une arrière-salle sur un plancher marron moisi – 

Vers l’éducation, mariage, dépression nerveuse, opération, enseignement,

     apprenant à devenir folle dans un rêve – quelle est cette vie ? 

Vers la Clef à la Fenêtre – et la Grande Clef couche sa tête de lumière sur le

     haut de Manhattan, répandue sur le sol, couchée sur le trottoir – unique

     immense rayon, mouvant, quand je descends la Première Avenue vers le

     Théâtre Yiddish – et là la pauvreté 

tu l’as connue, et moi aussi, mais ça m’est égal maintenant – Etrange d’avoir

     été déplacé à travers Paterson, et l’Ouest, et l’Europe, et ici de nouveau

avec les cris espagnols maintenant sur les pas des portes et les garçons basanés

     dans la rue, les escaliers de secours aussi vieux que toi 

- Mais tu n’es pas vieille maintenant, cela reste avec moi ici-bas -

Moi, de toute façon, aussi vieux que l’univers – et je pense qu’il meurt avec

    nous, – pour annuler tout ce qui viendra – Ce qui est venu disparaît pour

     toujours chaque fois -

C‘est bien ! Aucun regret – aucun radiateur-peur, sans amour ni torture, ni

     même une rage de dents à la fin - 

Quand ça vient c’est un lion qui dévore l’âme – et l’agneau, l’âme, en nous,

     hélas, se sacrifiant à la faim féroce de la transformation – Cheveux et dents

     – et le rugissement de la douleur os-crâne dénudé, côte cassée, peau-

     pourriture, cerveau dupé Implacabilité.

Aïe ! Aïe ! Nous pourrions faire plus de mal ! Nous sommes dans la merde ! et

      tu es sortie, la  Mort t’a laissée partir, la Mort avait pitié, tu as fini avec ton

     siècle, avec Dieu, fini avec le chemin qu’il traverse – Pure –  Retour aux

     Ténèbres-Bébés avant ton Père, avant nous tous – avant le monde – 

Là, repose-toi. Plus de souffrances pour toi. Je sais que tu es partie, c’est bien. 

Plus de fleurs dans les champs d’été de New York, plus de joie maintenant, tu

     n’auras plus peur de Louis, 

il n’y aura plus de cette tendresse, ni de ses lunettes, ses décades de lycée,

     dettes, amours, appels téléphoniques inquiétants, lits de conception,    

     parents, mains – 

Plus de sœur Elanor – elle est partie avant toi – nous avons gardé le secret – tu

     l’as tuée – ou s’est tuée pour mieux te supporter – un cœur arthritique -

     Mais la Mort vous a tuées toutes les deux – Cà ne fait rien -  

 

Ni le souvenir de ta mère, larmes de 1915 dans les films muets, semaine

     après semaine – oubliant, tristesse en regardant Marie Dressler s’adressant

    à l’humanité, la danse Chaplin de la jeunesse, 

ou Boris Goudounov, Chaliapine au Met’, corridorant  sa voix de Tsar éploré

     – debout avec Elanor et Max – regardant les capitalistes prendre les sièges

     d’Orchestre, fourrures blanches, diamants,

avec le YPSL faisant du stop à travers la Pennsylvanie, en jupe-pantalon de

     gym’, noir fripé, photographie de 4 filles se tenant par la taille, l’œil rieur,

     trop ingénues, solitude virginale de 1920 

toutes ces filles vieillies, ou mortes, maintenant, et leurs longs cheveux dans

     le tombeau – veine d’avoir des maris plus tard –  

Tu en as eu un – Je suis venu aussi – Eugène mon frère avant moi (toujours

     éploré chiagrippant jusque sur sa dernière main roide, comme il subit son

    cancer – ou tuant – peut-être plus tard – bientôt il pensera -) 

Et c’est le dernier moment je me rappelle, quand je les vois tous, à travers moi-

     même, maintenant – mais pas toi,  

je n’ai pas prévu ce que tu as ressenti – quel rictus plus horrible qu’une

     mauvaise bouche – pour toi- étais-tu prête ? 

Pour aller où ? Dans ce Noir ? – qui – dans ce Dieu ? Un rayonnement ? Un

     Seigneur dans le Vide ? Adonaï enfin, avec toi ? 

Au-delà de ma mémoire ! Incapable de deviner ! Non seulement le crâne

     jaunâtre dans le tombeau, ou une boîte de poussière d’asticots, et un ruban

     taché –  tête de mort avec un Halo ? Peux-tu y croire ? 

Le soleil brille une fois seulement pour l’esprit, l’éclair d’une existence, que

     nul n’a jamais eu ?  

Rien en deçà de ce que nous avons – de ce que tu avais - si pitoyable –

     pourtant Triomphe 

d’avoir été ici, et changée, comme un arbre, cassée, ou fleur – nourrissant la

     terre – mais folle, avec ses pétales, colorés, le Grand Univers pensant

     ébranlé, blessé à la tête, effeuillée, cachée dans un hôpital caisse d’œufs,

     enveloppée de tissus, ulcérée – guignolée dans ce cerveau Néantesque.

Aucune fleur comme cette fleur, qui se connaissait dans le jardin, et qui a tant

     lutté contre le couteau - perdue

Fauchée par le glacis d’un Bonhomme de Neige idiot – même au Printemps –

     étrange pensée fantôme – quelle Mort ! – glaçons aigus à la main – 

     couronnée de vieilles roses – un chien pour ses yeux – bite de chagrin

     pue-la-sueur – coeur de fer à repasser électrique -

Toutes les accumulations de la vie nous épuisent – horloges, corps,

     consciences, souliers, seins – fils conçus – ton Communisme -

     « Paranoïa » dans les hôpitaux. 

Tu as donné un coup de pied dans la jambe d’Elanor, elle est morte plus tard,

     crise cardiaque. Toi, d’embolie. Endormie ? dans l’année, toutes les deux,

     sœurs dans la Mort ? Est-ce qu’Elanor est heureuse ? 

Max éploré vivant dans un bureau du Lower Broadway, seul, ses longues

     moustaches caressant les Comptes de Minuit, incertain. Sa vie passe –

     comme il le voit – mais de quoi doute-il maintenant ? rêve-t-il toujours

     de faire de l’argent, ou ce qui aurait pu en faire, a embauché une bonne, a eu

     des enfants, et a même découvert ton immortalité, Naomi ?

 Je le verrai bientôt. Maintenant il faut que je t’atteigne – te parler – comme je

     ne l’ai pas fait quand tu avais une bouche. 

Pour Toujours. Et nous sommes toujours en route vers cela – comme les

     chevaux d’Emily Dickinson – dirigés vers la Fin. 

Ils connaissent le chemin – Ces Coursiers – Ils courent plus vite qu’on

     ne pense – c’est notre propre vie qu’ils traversent – qu’ils s’approprient.

 

     Magnifique, plus pleurer, crève-cœur-corps, esprit derrière, mariée rêvée,

mortel transformé – Cul et visage, fini avec le meurtre

     Dans le monde, donné, de fleur affolée, pas fait d’Utopie, bloquée par la

portière en sapin, aumônée à la terre, baumée en solitude, Jéovah, accepte

     Le Sans Nom, Seul Visage, Toujours au-delà de moi, sans commencement

ni fin, Père dans la mort. Car je ne suis pas là pour cette prophétie, suis

célibataire sans hymne, sans Paradis entêté de bonheur encore que je t’adore 

     Toi, Paradis, après la Mort, Un seul béni dans le Néant, ni lumière ni,

obscurité, Eternité sans jour – 

     Prends cela, ce psaume, de moi, éclaté de ma main en un jour, peu de mon

Temps, maintenant remis au Néant – Mais Mort  

     Ceci est la fin, rédemption du Désert, chemin pour l’Etonné, Maison

Recherchée pour Tous, mouchoir noir lavé de larmes – page au-delà du

Psaume – Dernière transformation de moi et de Naomi – vers les parfaites

Ténèbres de Dieu – Mort, arrière tes fantômes !

…………………….

 

Traduit de l'américain par Mary Beach et Claude Pélieu

Christian Bourgois éditeur, 1976

 

Du même auteur :

Howl (25/10/2017)

 Tournesol soutra / Sunflower sutra (25/10/2018)

Transcription de musique d’orgue / Transcription of organ music (25/10/2019)

 Song (25/10/2020)

L’automobile verte / The green automobile (25/10/2021)

 Ode à l’échec / Ode to failure (25/10/2022)

Kaddish II (1) (25/10/2023) 

 

 
 

Kaddish

For Naomi Ginsberg, 1894—1956

 

 

I

 

 

Strange now to think of you, gone without corsets & eyes, while I

     walk on the sunny pavement of Greenwich Village.

      

downtown Manhattan, clear winter noon, and I’ve been up all night,

     talking, talking, reading the Kaddish aloud, listening to Ray

     Charles blues shout blind on the phonograph


the rhythm the rhythm—and your memory in my head three years

     after — And read Adonais’ last triumphant stanzas aloud—wept,

     realizing how we suffer—

 

And how Death is that remedy all singers dream of, sing, remember,

     prophesy as in the Hebrew Anthem, or the Buddhist Book of

     Answers—and my own imagination of a withered leaf—at dawn—

 

Dreaming back thru life, Your time—and mine accelerating toward

     Apocalypse,

 

the final moment—the flower burning in the Day — and what

     comes after,

 

looking back on the mind itself that saw an American city 

a flash away, and the great dream of Me or China, or you

     and a phantom Russia, or a crumpled bed that never

     existed –

 

like a poem in the dark—escaped back to Oblivion — 

No more to say, and nothing to weep for but the Beings in the

     Dream, trapped in its disappearance,

 

sighing, screaming with it, buying and selling pieces of phantom,

     worshipping each other,

 

worshipping the God included in it all —longing or inevitability?

     —while it lasts, a Vision—anything more?

 

It leaps about me, as I go out and walk the street, look back over my

     shoulder, Seventh Avenue, the battlements of window office

     buildings  shouldering each other high, under a cloud, tall as

     the sky an instant — and the sky above —an old blue place.

 

or down the Avenue to the south, to—as I walk toward the Lower

     East Side — where you walked 50 years ago, little girl — from

     Russia,  eating the first poisonous tomatoes of America —

     frightened on the dock —

 

then struggling in the crowds of Orchard Street toward what?—

     toward Newark —

 

toward candy store, first home-made sodas of the century,

     hand-churned ice cream in backroom on musty brownfloor boards —

 

Toward education marriage nervous breakdown, operation, teaching

     school, and learning to be mad, in a dream - what is this life?

 

Toward the Key in the window — and the great Key lays its head

     of light on top of Manhattan, and over the floor, and lays down

     on the sidewalk —  in a single vast beam, moving, as I walk down 

     First toward the Yiddish Theater - and the place of poverty

 

you knew, and I know, but without caring now - Strange to have moved 

thru Paterson, and the West, and Europe and here again, 

with the cries of Spaniards now in the doorstoops doors and

     dark boys on the street, fire escapes old as you

 

-Tho you’re not old now, that’s left here with me —

 

Myself, anyhow, maybe as old as the universe — and I guess that dies

     with us—enough to cancel all that comes — What came is gone

     forever every time —

 

That’s good! That leaves it open for no regret — no fear radiators,

     lacklove, torture even toothache in the end —

 

Though while it comes it is a lion that eats the soul - and the lamb,

     the soul, in us, alas, offering itself in sacrifice to change’s fierce

     hunger hair and teeth — and the roar of bonepain, skull bare, break rib,

     rot-skin,braintricked Implacability.

 

Ai! ai! we do worse! We are in a fix! And you’re out, Death let you

     out, Death had the Mercy, you’re done with your century, done

     with God, done with the path thru i t— Done with yourself at last —

     Pure — Back to the Babe dark before your Father, before us all —

     before the world  —

 

There, rest. No more suffering for you. I know where you’ve gone,

     it’s good.

 

No more flowers in the summer fields of New York, no joy now, no

     more fear of Louis,

 

and no more of his sweetness and glasses, his high school decades,

     debts, loves, frightened telephone calls, conception beds, relatives,   

     hands —

 

No more of sister Elanor — she gone before you — we kept it secret —

     you killed her —o r she killed herself to bear with you — an arthritic

     heart — But Death’s killed you both — No matter —

 

Nor your memory of your mother, 1915 tears in silent movies weeks

     and weeks—forgetting, aggrieve watching Marie Dressler address

     humanity, Chaplin dance in youth,

 

or Boris Godunov, Chaliapin’s at the Met, hailing his voice of a weeping

     Czar — by standing room with Elanor & Max — watching also the

     Capitalists take seats in Orchestra, white furs, diamonds,

 

with the YPSL’s hitch-hiking thru Pennsylvania, in black baggy gym skirts

     pants, photograph of 4 girls holding each other round the waste, and

      laughing eye, too coy, virginal solitude of 1920

 

all girls grown old, or dead, now, and that long hair in the grave — lucky to

      have husbands later —

 

You made it — I came too — Eugene my brother before (still grieving now

     and will gream on to his last stiff hand, as he goes thru his cancer —

     or kill — later perhaps — soon he will think —

 

And it’s the last moment I remember, which I see them all, thru myself,

     now — tho not you

 

I didn’t foresee what you felt — what more hideous gape of bad mouth

     came first — to you — and were you prepared?

 

To go where? In that Dark — that — in that God? a radiance? A Lord in

     the Void? Like an eye in the black cloud in a dream? Adonoi at last,

     with you?

 

Beyond my remembrance! Incapable to guess! Not merely the yellow

     skull in the grave, or a box of worm dust, and a stained ribbon —

     Deathshead with Halo? can you believe it?

 

Is it only the sun that shines once for the mind, only the flash of

     existence, than none ever was?

 

Nothing beyond what we have — what you had — that so pitiful —

     yet Triumph,

to have been here, and changed, like a tree, broken, or flower - fed

     to the ground—but mad, with its petals, colored, thinking Great

     Universe, shaken, cut in the head, leaf stript, hid in an egg crate

     hospital, cloth wrapped, sore — freaked in the moon brain,

     Naughtless.

 

No flower like that flower, which knew itself in the garden, and fought

     the knife — lost

 

Cut down by an idiot Snowman’s icy — even in the Spring — strange

     ghost thought — some Death — Sharp icicle in his hand — crowned

     with  old roses — a dog for his eyes — cock of a sweatshop — heart

     of electric irons.

 

All the accumulations of life, that wear us out — clocks, bodies,

    consciousness, shoes, breasts — begotten sons — your Communism —

     ‘Paranoia’ into hospitals.

 

You once kicked Elanor in the leg, she died of heart failure later.

     You of stroke. Asleep? within a year, the two of you, sisters in

     death. Is Elanor happy?

 

Max grieves alive in an office on Lower Broadway, lone large mustache

     over midnight Accountings, not sure. l His life passes — as he sees —

     and what does he doubt now? Still dream of making money, or that

     might have made money, hired nurse, had children, found even

     your Immortality, Naomi?

 

I’ll see him soon. Now I’ve got to cut through — to talk to you — as

     I didn’t when you had a mouth.

 

Forever. And we’re bound for that, Forever — like Emily Dickinson’s

     horses — headed to the End.

 

They know the way — These Steed s—r un faster than we think — it’s

     our own life they cross — and take with them.

 

Magnificent, mourned no more, marred of heart, mind behind, married

     dreamed, mortal changed — Ass and face done with murder.    

 

In the world, given, flower maddened, made no Utopia, shut under pine,

     almed in Earth, balmed in Lone, Jehovah, accept.     

 

Nameless, One Faced, Forever beyond me, beginningless, endless, Father

     in death. Tho I am not there for this Prophecy, I am unmarried, I’m

     hymnless, I’m Heavenless, headless in blisshood I would still adore     

 

Thee, Heaven, after Death, only One blessed in Nothingness, not light or

     darkness, Dayless Eternity —  

 

Take this, this Psalm, from me, burst from my hand in a day, some of my

     Time, now given to Nothing — to praise Thee — But Death 

 

This is the end, the redemption from Wilderness, way for the Wonderer,

     House sought for All, black handkerchief washed clean by weeping — 

— page beyond Psalm — Last change of mine and Naomi — to God’s

     perfect Darkness—Death, stay thy phantoms! 

………………………………………………… 

 

 

City Light Bookshop

San Francisco, 1981

Poème précédent en anglais :

Sylvia Plath: Lettre d’amour / Love letter (11/10/2016)

Poème suivantt en anglais :

John Ashbery : La seule chose susceptible de sauver l’Amérique / The one thing that can save America (24/11/2016)

 

 

 

 

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