Des fins premières
AVANT-GUERRE
une après-midi d’été longue
et des pommiers les ombres loin
vers l’est étendues et l’on a
la matrice du temps pour bellement
refaire le monde et ses rivières
la volupté des barques et rouge
vif les fruits pendant aux rives
dans le possible jour qui ne va
nulle part qui culmine
dans le silence cristallin juste
avant les fifres et les trombes
EN AMONT D’UNE PHRASE
REVEE PAR FRANCIS PONGE
Dans ce jardin j’ai descendu
sur l’herbe tendre de ce jardin
le temps épèle ses syllabes
muettes l’oubli est seule
permanence je n’irai plus aux plages
sous l’azur haïssable voir la mer
qui rôde et renaude l’eau
qui marche sur l’eau je ne
serai plus vertical sur le sable
impair dans l’herbe égale
laissez venir à moi les mots
pour rien et les sottes chansons
laissez
la platitude est une perfection
On s’abîmait le soir devant des cieux
couleur de repentance, couleur
de bœuf ouvert ; c’était cela
sans doute, la carcasse des songes :
ce trop de chair, cet écartèlement,
les fadeurs de septembre repu.
On ne touchait au vrai qu’à la venue
des autres nuits,
noires de peu d’étoiles bousculées
de bourrasques, avec la mort veilleuse
accrochée à la lande rase,
et qui ne tremblait pas.
JOURNAL INFIME
s’élevait au-dessus des maisons
un si paisible rien un geste
bénins de l’absence quelque chose
comme le parfum doucereux des freezias.
c’était dans la saison tremblante, la chair
était lointaine, n’avait jamais menti,
n’en tirait plus d’orgueil.
on se meurt, en effet,
et aussi le ruisseau à l’insigne allégresse.
DES FINS PREMIERES
il y avait des voix et des rivières
des voix palpables dans le temps
de l’immense sur le terre vouée
et commençait le dit des flots
et des ténèbres, le même mot
portant oubli et anamnèse,
sources heurtées, pluies jeunes
sur le monde, et la terre finie
ainsi fut-il, le beau parleur,
rayon sur l’ombre et les moiteurs
ombre sur l’ombre, ainsi,
futile
ADAGIO
sous les grises nuées cahoteuses et le vent
froid dans la chair, poursuivi cherche encore
choses jolies tristes un peu à dire au soir
comme la joie des baigneuses sur l’eau
perdue ou bien les petits pas du cœur
la cendre tiède close le feu cerné
la survivance
cherche mots et mystères
pour tenir lieu sinon le temps et
ce serait sagesse et ce serait
TO A DORMOUSE ON RINGING
HER UP IN HER BED
La voix descend sur la chair sommeilleuse
lent-glissante décrit sur les délectables
éminences les sept cercles capitaux
s’attarde à l’innocent verger jusqu’
à la très honorable amande et
aux jambes encor de sirène dans la
moiteur du rêve où se délie l’âpre
désir et se dénude
, la voix
des béatitudes allusives
célestement perverties jouant sur
les papilles et les velours de ce corps
historié dans la sage nuit
entretenue si avant dans le jour
besogneux des habits et des hommes.
celle en robe noire qui regarde vers
l’ouest et ne voit pas qui dodeline
ses mélopées à l’interminable soir
se signe et marmonne dieu
me garde de comprendre que je suis
l’à-jamais finissante périphrase
du crépuscule la vitre mauve entre deux
rougeoiments la très mince durée
que j’ai prise pour le temps qui m’a prise
la soupe se veloute au feu la nuit
me bourdonne à l’oreille ici et maintenant
lentement se digèrent les concaténations
manquent la vérité noir sur noir comme
la fougère sur la houille
je m’assieds
sur le seuil mes sabots sont ornés
de roses des vents je ne comprendrais pas
même si je voulais. Qu’est-ce qui vous fait
croire que j’attends ?
ENVOI, NON CLOS
Demain sera l’aube grise ni plus ni moins
et la voix grêle et rouillée oh jardins oh
tonnelles se posera sur sa toujours même
inespérante fragilité étant
soi-même et la close caverne et l’écho
d’inconnaissance qui nulle part ne portera
ombrage ni brûlure au ventre isocèle
germain à toute mélodie des femmes
(et certes je l’ai dite la plus vieille bataille
et cela fulgure encore, cela mord
dans le multiple silence cela nourrit
les crocs affairés du chiendent la voix
qui se sauve
ANTHROPOS
Las, ayant bu l’horreur depuis qu’elle est
humaine et c’est d’aussi longtemps que l’on
devine à croupetons parmi les crânes
à tâtons dans le moustérien. Coupable
de tous les génocides connus de mémoire
de carbone quatorze éclaboussé
de tous les mauvais sangs et de l’espoir
accablant de ceux qui croient
bien qu’ils aient vu et content
un autrefois de temps nouveaux l’immense
à portée de main des cités soudain
épiphaniques et qui chantaient morbleu...
Toute une histoire
Oh les splendeurs des corps polymorphes
(et pourquoi pas ?) roulant sur l’herbe des collines
enfin accordées à la chute dans le fracas
le fatras bienheureux de l’humain
e tanto mare alle spalle
serai sera le presque même, perplexe
et dérisoire persistance dans l’azur
habitera – le faudra bien – la fragile
connivence des rêves et des traques
plantera sur brûlis des buissons tenaces
des essences à souple chair où le vent
bûcheronne intermittent comme on rêve les femmes
passé midi dans les clairières avec
ce regard aigu ce bleuté de genièvre
la brûlante et dormeuse passion
de quoi savoir.
et çà ou là
un sapin pour conjurer l’oiseau noir
des charniers et temps venu
se rementer la juste mort à la fin des faims.
LE ROI PECHEUR
va marmonnant des brumes semblables
çà et là chancelle infirme à contre-flot
séduit pourtant les petites âmes
maculées dans l’eau infiniment
tarissante
puis retourne à demeure auprès
des autres eaux
suivi par un seul chien
contemple la bûche fourchue
cambrée incandescente
dans le feu vieillot étrangement
aveugle ou borgne on ne sait plus ni lui
ni s’il est toujours le tacite émissaire
aux confins guidé par le pétrel
fulmar les bêtes de l’abîme ou
le hasard rancunier des étoiles
coureur de passes et d’impasses Jason
jaseur souhaitant d’être conquis songeant
et ceci est mon île puisque j’y suis
captif
mais aucune assez nue : où le lac
plus bleu qui me regarde où la voix
qui me désire ? toutes choses coulent
et les bêtes courent et c’est encore
le même seuil
où je m’assieds devant le même
impossible même je connais si bien
mes occidents je me souviens si
clairement de l’avenir
APPELEZ MOI ISMAEL
au mieux le bâtard d’avant l’heure, saisi,
qui se découvre, à l’échéance, dérisoire
héritier des sorts et des mouvances
non du fief quelque part figuré,
sans écu ni emblème sinon
le miroir et l’oiseau d’Ismaël
(pour cela dit l’espiègle, plus tard,
en pays de plus grasse provende)
fils du vieux fou et de la servante
en exil, bouffon de la main gauche
dans le grincement du monde, et prophète
si peu, exhibant boiteries et grimaces
contre dieu et son train, à tout hasard,
spolié de son plus vrai souffrant visage,
n’osant pas – et pour finir charmeur de rats,
les doigts engourdis sur la flûte, dans quelque
vieux hambourg qu’un autre aura rêvé.
SEJOUR SENS ET NON-SENS
c’étaient – la fable à votre gré – des mots
qui se rêvaient rêvants, un souffle
dans un songe, un songe dans une île,
un château hors saison : des fous
y demeuraient, alexandrins, émus
d’une harmonie jusqu’alors insongée ;
or les naissances pourpres de l’histoire,
le siège et la cité perdue, le massacre
prévisible, la raison des barbares,
tout cela était un jeu et destin
des sphères et des villes : instruit,
Diogène ou son double roule sa tonne
parmi les cris et les brûlots ;
mourir est le premier mot, d’où provient
ceci qui se produit ; la vie est bonne.
Fondus au noir
Editions Folle Avoine, 35137 Bédée,1996
Du même auteur :
« Une fois, / Les écluses s’ouvrirent… » (16/03/2015)
« rouillés sont les vaisseaux friables… » (25/08/17)
Nord Nord-Ouest par Ouest (25/08/2018)
Pour tenir lieu (25/08/2019)
Problématique (25/08/2020)
Fondus au noir (25/08/2021)
Divers exil (18/02/2022)
Combaneyre (25/08/2022)
La joie peut-être (18/02/2023)