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Le bar à poèmes
10 août 2016

Flavien Rainavo (1914 - 1999) : Epithalame

 

flavien_1_

 

Epithalame

 

Un petit mot, Monsieur,

un petit conseil, Madame.

Je ne suis pas celui-qui-vient souvent

comme une cuiller de faible capacité,

ni celui-qui-parle-à-longueur de journée

comme un mauvais ruisseau à travers la rocaille,

je suis celui-qui-parle-par-amour-pour-son-prochain.

Je ne suis point la pirogue-effilée-qui-dérive-sur-l’eau-tranquille,

ni la citrouille-qui-se-trace-un-dessin-sur-le-ventre,

et si je ne suis à même de fabriquer une grande soubique (1),

je suis toutefois capable d’en faire une petite.

Epi et homme sont ressemblants :

l’un l’autre, à sa façon, produit :

le premier des grains, le second des idées.

Je ne suis pas celui-qui-danse-sans-être-invité,

ni le-célibataire-qui-donne-des conseils-aux-gens-mariés,

car ne suis pareil à l’aveugle qui voit pour autrui.

Vous n’êtes point sots que l’on sermonne,

vous êtes de noble descendance,

vous êtes les voara (2)  au feuillage touffu,

les nénuphars parures de l’étang.

 

 

Vous êtes les-deux-amours-nées-un-jour-faste,

personne ne s’est occupé de vous.

Vos amours ne sont point larmes-provoquées-par-fumée,

ni raisin-verts-ramollis-par-doigts-d’enfant.

Tenez à l’amour comme à vos propres prunelles.

L’avoko fleurira-t-il trois fois dans l’année,

la lune aura-telle douze phases dans le mois ?

Que vos amours ne s’en ressentent point.

Doux l’amour lorsqu’il ressemble à du coton :

souple et moelleux et jamais ne se brise.

Eau de la grève :

jamais ne tarit.

Sentier :

fréquentez-le souvent, il paraîtra plus vivant.

Ne soyez pas comme le rocher et le caillou :

l’énorme reste muet, le petit ne grandit.

Les bœufs sauvages se dressent,

mais ne se cache l’amour.

Les patates ne se pilent :

cuites telles quelles, elles sont déjà tendres.

L’amour est la corde humide qui enlace le mariage.

Ainsi, faites comme les arbres d’Ambohimiangara :

fruits éternels, branches souples.

Le conjoint comme le sel :

en grains il n’entame les dents, en poudre il rehausse la viande.

Seriez-vous fatigués ?

Couchez-vous sur le côté.

Seriez-vous ankylosés ?

Mettez-vous au soleil.

Coup de bambou ?

Marchez sous le ravenala.

Les pots en terre d’Amboanjobe se cassent au bout d’une semaine,

Le mariage, lui, est comme la chair,

la mort seule la sépare de l’os.

Occasions de querelle :

autant que ce sable.

Un conseil :

ne soyez pas comme le petit chien battu par un fou

et qui crie sa douleur à tous les environs :

les scènes de ménage ne se divulguent pas.

 

 

Toute chose a sa raison d’être ;

montagne : refuge des brouillards,

vallée : abri des moustiques,

bras d’eau : repaire des caïmans ;

l’homme, lui, est sanctuaire de la raison.

Vous, jeune homme,

ne soyez pas l’homme-réputé-courageux

et qui a peur de passer la nuit seul dans le désert.

Désagréable la vie au poulailler :

le coq chante tandis que la poule caquette.

Si la corde est tendue, ne tirez davantage.

Ne suivez pas les conseils de Colère,

sitôt exécutés ils deviennent regrets.

Fruits verts, ne les récoltez pas,

ils vous rendront malades.

L’emportement ne peut porter bien loin ;

les râles s’arrêtent à la hauteur du nez.

Le pire des malheurs :

larmes.

Discorde :

furoncle au front, dépare le visage, douloureux par surcroît.

Ne convoitez pas la coiffure qui sied à la voisine.

Pêche à la nasse :

ne raclez trop profond, vous aurez de la vase ;

désir démesuré vous donnera maladie.

De la sagesse faites un lamba :

vous vous en couvrez si vivez,

si mourez, un linceul.

 

 

Ne soyez pas comme les chats :

friands de poisson, ils détestent la nage.

Le travail est l’ami des vivants.

Travaillez donc, travaillez,

les pauvres sont des charges pour l’humanité.

Seriez-vous beau, mais besogneux :

parlez, on vous écoute,

en chemin vous marcherez derrière les autres.

Car l’enfant qui ne veut travailler :

dans un verger, maraudeur ;

dans la ville, quémandeur ;

à la maison, de trop.

Le travail, mes amis,

seul fait l’homme.

Que la femme toute la journée durant,

au métier s’accroupisse,

que l’homme soit dans les champs du lever au coucher du soleil ;

si procédez ainsi, et que Fortune n’apparaisse,

ne vous désolez point,

le Seigneur-Parfumé vous viendra en aide.

 

(1) soubique : grand panier ou grande corbeille sans anse servant à transporter les fruits et les légumes

(2) voara (Ficus tiliifolia ) : arbre forestier, non planté, situé en bordure de champs ou de rizières

 

 

In, Léopold Sédar Senghor :

« Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache

de langue française »

Presses Universitaires de France, 1948

 

Du même auteur :

Chercheuse d’eau (15/08/2015)

Vulgaire chanson d’amant (10/08/2017)

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