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Le bar à poèmes
5 août 2016

Luis Mizón (1942 - 2022) : Terre prochaine /Tierra próxima

Mizon2013_1_

 

 

Terre prochaine

1

De l’extrémité de la table

la mer interrompait nos conversations

gréant et désarmant

l’antique réalité

que personne ne connaissait,

que personne ne savait connaître.

La terre prochaine

qu’il fallait toucher avec nos doigts aveugles.

Nous avions perdu

son contour de lumière

ou abîmé la trame

des signes

ou, peut-être,

dans la perspective

nous avions perdu les pas,

les contes et les traces.

 

2

La ville semblable

à une photographie jaunissante

à un souvenir de plâtre

à une grande tristesse.

 

3

Si la terre ne sait pas s’éveiller

si la ville cache

sa jarre d’éclairs bleus

si sur les blocs de ciment

les maisons la plage et le quai

la mémoire du vent amoureux n’est plus.

La poésie est alors

la violence nécessaire

qui le saisit

au col de sa veste indifférente.

Une porte distraitement ouverte

une invitation à entrer dans la ville

de rues en rues en trébuchant.

 

4

Amis de la poésie

il faut parfois

laisser croître l’ombre de tes bras

sur la terre dénudée

pousser de la hauteur de la montagne

une armure sans poids

et cheminer de la nuit à l’aube

du fond de la mer et de la nuit

du fond de la nuit et de la ville.

 

5

La lumière de la mer

a écaillé les portes et les murs

la peinture des wagons

les couleurs de la terre prochaine.

 

6

La perspective montre

le voisinage de l’étonnement

la céramique antique des coteaux

les chemins mal tracés

et par-delà le rire

du semeur des mouettes

et l’éclat des vagues d’obsidienne :

la parole défaite

et le geste fugace.

Partout la ville se cache

Comme le blé du poème.

 

7

Il faut lever un candélabre

parmi les stalactites ;

marcher sous le feuillage en émoi des clochers

illuminer les champs d’épandage

d’où surgissent les béquilles

du mendiant de la mer

couverte de coquillages tropicaux.

 

8

Et les chambres des escaliers

les banques les cuisines les caves

les dortoirs inondés

où la lumière pourrit comme le vin.

 

9

Il faut monter aux mansardes

tapissées de soleil

pour écouter une voix ancienne

de forêt et de houle

qui tourne parmi les oiseaux.

10

Et dormir dans la mémoire de la plage

dans l’éloignement et le voisinage

où le bateau échoué et la coquille

rêvent les mêmes rêves sans images

de l’algue calciné et de l’étoile

 

11

Où est la voix

le corps et l’ombre

le visage et le sourire

et les lèvres

modelées par d’infimes secrets ?

Et le bateau qui sombre

le bateau qui sombra

parmi les décombres du soleil antique

algues de bronze vert

et le vol des mouettes solennelles ?

 

12

Reconnaissables

entre les wagons rouillés du faubourg

ferroviaire

dans les cours industrielles

imbibées de pétrole

dans les entrepôts des douanes

parmi les changements clandestins

et les ancres tordues

rongées pat les coraux.

Là où l’asphalte

recouvrit les adieux

où le dernier tremblement de terre

rompit les degrés submergés.

 

13

Tu as souvent navigué

dans ce navire démantelé

à la dérive.

Tu connais la coque de bois

oscillante

le mascaron au front fendu

et le spectre des voiles

aboyant dans le brouillard

lorsque tu reviens chez toi du fond

de la mer

aveuglé par les vagues miraculeuses

dans le désordre de la houle.

Lorsque tu reviens en titubant

les bras ouverts

accrochés au fil de la lune.

Lorsque tu montes de la mer à ta maison

à l’aube

couverte d’étoiles de mer.

 

14

 

Pour apaiser ses doigts

l’aveugle centenaire

fabrique de son ongle

des scories de soleil sur la guitare.

Le rameur vend des cravates

et soigne les maux d’amour.

La vigie descendue de l’étoile

et du mât

ouvrit un commerce de paroles.

Il a oublié comment resplendissent les cris

dans les déroutes de l’air

il a enfilé son costume de lâche

pour que personne ne le cherche

interrogeant çà et là sur la terre proche.

C’est un professionnel très connu

et qui ment toujours

il ment même en dormant

il ment par métier et par politesse.

Les cris resplendissent comme des épées

dans les dérives de l’air.

 

15

 

J’ai surpris plusieurs fois

dans les recoins profonds

d’antiques équipages dispersés

se chauffant les mains

avec un verre d’eau-de-vie

approchant de leurs visages

et de leur profil aux lèvres châtiées

une allumette mal protégée de la bourrasque.

 

16

Tous déserteurs

nous sommes insolemment vivants

assis à la table

dans les auberges

cheminant par les quais.

 

17

Tu explores la nuit

comme une amie qui s’endort

dans tes bras

tu explores son corps

nu inaperçu et tout proche

comme si c’était la nuit et la ville.

 

18

Car elle s’est dévêtue

durant une heure

pour te remplir le cœur de lumière

et pour éloigner quelque démon qui hante

la cour d’une église

mouillée de pluie.

 

19

Ton rire vole

de ton corps de femme

rêvant de la mer

où je suis assurément

une paire d’ailes engourdies

tournoyant au-dessus de la cime

de l’ultime vague.

Et je crois que ton rire arrive tard

comme l’écho de la côte

et le cri de ton ombre plus jeune

entourée de mouettes.

Maintenant je vis

dans la proximité svelte et forte

de tes genoux pliés comme des îles

dans les poteries lourdes et fragiles

de nos corps nus.

Ton dos est la ligne de l’horizon

la lumière la plus vaste

la nuit sous-marine

où je me perds et voyage

avant que l’air ne vieillisse

marchant et trébuchant

les yeux ouverts

sous l’eau.

 

20

Soudain

nous écoutons le fleuve

qui emporte les paroles

proférant des cris

parmi les grands arbres

et les squelettes des usines

par-delà les récifs

qui entourent la ville.

 

21

Ami de la poésie

il faut parfois

cheminer par-delà le cri

briser avec poings et lèvres

l’écho et l’écorce des murs

découvrir la chair vive

les dessins de la grotte

les oiseaux les voiliers

le profil d’un visage anonyme

un nom et une date :

tatouages du temps

illuminés soudain par le strict

discours

qui nous brûle les doigts.

 

22

Ton ombre croît sur la terre dépouillée

dans une cage bleue pleine de vent.

Tes cris transpercent le cœur

décoloré de l’aube

ils épouvantent les initiales brisées des oiseaux.

Ce sont alors tes gestes

qui meuvent

les cendres de l’air.

 

23

Il faut parfois

cheminer par-delà le geste et

sa statue écroulée sur les dunes

il faut laisser les creux se remplir d’ombre

il faut cheminer de la nuit à l’aube

du fond de la mer et de la nuit

du fond de la nuit et de la ville.

 

Il faut laisser en arrière les traces

où ton corps était

assis conversant avec des amis

cheminant par les quais.

Il faut être nu comme une épée

dans le cœur de ses reflets

et rester

avec tout l’équipage dispersé

dans les coins profonds

de la terre prochaine

où le soleil multiplie ses instants

de lumière.

 

Il faut

éloigner de la main

la frêle toile d’araignée de tes pas

de tes cris et de tes gestes

pour retrouver une autre fois

la tentation du navigateur :

les câbles détachés

l’étoile qui déchire l’horizon

l’image de la rose des vents

ardent sur le parchemin des plages.

 

24

Tes gestes tes cris tes pas

gréent à la fin une étendue ordonnée.

Ils élèvent un mât de voiles en haillons

sur la tiédeur du port

et conduisent la ville

au délire

de ses intimes métaux détruits

dans le creux de tes mains

où danse l’aiguille magnétique

dans sa tasse de bronze.

 

25

Dans ce lieu ouvert

de la terre prochaine

où ton ombre solitaire

se consume comme un hérétique

nous poserons la statue

d’un jeune sourire

chevauchant nu.

 

Traduit de l’espagnol par Claude Couffon

In, Luis Mizon « Poèmes du Sud et autres poèmes.

Poema del Sur. Edition Bilingue »

Editions Gallimard (Du monde entier), 1982

Du même auteur :

Prisons / Prisiones (05/08/2014)

L’arbre / El árbol (05/08/2015)

Vent du Sud / Viento Sur (05/08/2017)

Retour / Retorno (05/08/2018)

Arbre /Árbol (05/08/2019)

Fantôme / Fantasmas (05/08/2020)

La mer des Sargasses (extraits) (05/08/2021)

Le songe du figuier en flammes / El sueño de la higuera en llamas (I) (05/08/2022)

Le songe du figuier en flammes  / El sueño de la higuera en llamas (II-III)) (05/08/2023)

 

 

Tierra próxima

1

 

Desde el extremo de la mesa

el mar interrumpía nuestras conversaciones

armando y desarmando

la famosa realidad

que nadie conocía  

que nadie sabía conocer.

La tierra próxima

que había que tocar con dedos ciegos

porque habíamos perdido

su contorno de luz

o gastado la trama

de los signos

o quizás ,

en la perspectiva

habíamos perdido los pasos,

los cuentos y las huellas

 

2

Las ciudad parecida

a una fotografía amarillenta

a un souvenir de yeso

a mucha tristeza

 

3

Si la tierra no sabe despertar

si la ciudad oculta

su cántaro de relámpagos azules

si en los bloques de cemento

el caserío la playa y el muelle

ya no está la memoria del viento enamorado.

El poema es entonces

la violencia necesaria

que agarra tu solapa indiferente.

Una puerta distraidamente abierta

una invitación a entrar en la ciudad

andando por las calles dando tumbos.

 

4

Amigo de la poesía

es necesario alguna vez

dejar crecer la sombra de tus brazos

en la tierra despejada.

Empujar desde la altura del cerro

una armadura sin peso

y caminar desde la noche al alba

desde el fondo del mar y de la noche

desde el fondo de la noche y la ciudad

 

5

La luz del mar

ha gastado las puertas y los muros

la pintura de los carros de carga

los colores de la tierra próxima

 

6

La perspectiva muestra

el vecindari.o del asombro

la cerámica antigua de los cerros

los caminos mal trazados

y más allá a de la risa del sembrador

de gaviotas

y el brillo de las olas de obsidiana :

la palabra deshecha

y el gesto fugitivo.

Y la ciudad se oculta en todas partes

como el trigo del poema

 

7

Es necesario levantar un candelabro

entre las estalactitas.

Caminar en el follaje conmovido de los campanarios

iluminar los grandes basurales

donde asoman las muletas

del mendigo de mar

adornadas de conchas tropicales.

 

8

Y las habitaciones las escalas

los bancos las cocinas las bodegas

los dormitirios inundados

donde la luz se pudre como el vino

 

9

Es necesario subir a los desvanes

empapelados de sol

a escuchar una vieja voz

de bosque y marejada

girando ente los pájaros.  

10

Y dormir en la memoria de la playa

en la distancia y en la cercanía

donde el barco tumbado y el caracol

sueñan el mismo sueño sin dibujos

del alga calcinada y de la estrella.

 

11

¿ Dónde está la voz 

el cuerpo y la sombra

el rostro y la sonrisa

y los labios

modelados por mínimos secretos ?

¿ Y el barco que naufraga

el barco que naufragó

entre los escombros del sol antiguo

algas de bronce verde

y el vuelo de las gaviotas solemnes ?

 

12

Reconocibles

entre los carros oxidados del duburbio

ferroviario

en los patios industriales

saturados de petróleo

en los almacenes de la aduana

entre los cargamentos clandestinos

y las ancias torcidas

manchadas de coral.

Ahí donde el asfalto

cubrió las despedidas

y el ultimo terremoto

quebró los escalones sumergidos.

 

13

Has navegado muchas veces

en ese barco desmantelado

a la deriva.

Conoces el casco de madera

bamboleante

el mascarón de la frente rajada

y el espectro de las velas

ladrando en la neblina

cuando regresas a tu casa desde el fondo

del mar

cegado por las olas milagrosas

en el desorden de la marejada.

Cuando regresas dando tumbos

con los brazos abiertos

amarrados a los hilos de la luna.

Cuando subes desde el mar hasta tu casa

en el alba

cubierta de estrellas de mar.

 

14

Para apaciguar sus dedos

el ciego de cien años

fabrica con la uña

escorias de sol en la guitarra.

El remero vende corbatas

y cura los males del amor.

Y el vigía que bajó de la estrella

y el mástil

abrió una compraventa de palabras.

Olvidó como brillan los gritos

en las derrotas del aire

y se puso su traje de cobarde

para que nadie lo buscara

preguntando por la tierra próxima.

Es un profesional muy conocido

y miente en todas partes

miente hasta dormido

mente por oficio y cortesía.

Los gritos brillan como espadas

en las derrotas del aire.

 

15

He sorprendido muchas veces

en los rincones hondos

antiguas tripulaciónes dispersas

calentándose las manos

con la copa de aguardiente

acercándose al rostro

y al perfil de los labios castigados

un fósforo mal protegido del chubasco.

 

16

Todos los desertores

estamos descaradamente vivos

sentados a la mesa

en los mesones

caminando por los muelles .

 

17

Explorando la noche

como una amiga que se duerme

entre tus brazos.

Explorando su cuerpo

desnudo inadvertido

y proximo

como si fuera la noche y la ciudad.

 

18

Porque ella se ha desvestido

durante una hora

para llenarte de luz el corazon

o para alejar algún demonio obstinado

en el patio de una iglesia

mojada por la lluvia.

 

19

Tu risa vuela

desde tu cuerpo de mujer

soñando con el mar

donde soy seguramente

un par de alas torpes

que rondan la cima

de la última ola.

Y creo que tu risa llega tarde

como el eco de la costa

y el grito de tu sombra más joven

rodeado de gaviotas.

Ahora vivo

en la proximidad esbella y fuerte

de tu rodillas plegadas como islas

en la alfarería pesada y frágil

de nuestros cuerpos desnudos.

Tu espalda es la línea del horizonte

la luz, más extensa

la noche submarina

donde ne pierdo y viajo

antes que el aire envejezca

andando y dando tumbos

con los ojos abiertos

bajo el agua.

 

20

De pronto

escuchamos el río

que se lleva las palabras

dando gritos

entre los grandes árboles

y los esqueletos de las fábricas

más allá de los arrecifes

que rodean la ciudad

 

21

Amigos de la poesía

es necesario alguna vez

caminar más allá del grito

y romper con los puños y los labios

el eco y la corteza de los muros

y descubrir la carne viva

los dibujos de la gruta

los pájaros los veleros

el perfil de un rostro anónimo 

un nombre y una  fecha :

tatuajes del tiempo

que de pronto ilumina la palabra

estricta

que nos quema los dedos.

 

22

Tu sombre crece en las tierra despejada

en una jaula azul llena de viento.

Tus gritos atraviesan el corazón

descolorido del alba

espantan las iniciales quebradizas de los pájaros 

y son entonces tus gestos

los que mueven

las cenizas del aire.

 

23

Es necesario alguna vez

caminar más allá del gesto

y su estatua derrumbada en las dunas

y dejar que los huecos se llenen de sombra

y caminar desde la noche al alba

desde el fondo  del ma y de la noche

desde el fondo de la noche y la ciudad.

 

Es necesario dejar atrás las huellas

donde estuvo tu cuerpo

sentado conversando com amigos

caminando  por los muelles.

Y estar desnudo como una espada

en el corazón de sus reflejos.

Y quedarse

con toda la tripulación dispersa

en los rincones hondos

de la tierra próxima

donde el sol multiplica sus instantes

de luz.

 

Es necesario

apartar con una mano

la frágil teleraña de tus pasos

tus gritos y tus gestos

para encontrar otra vez

la tentación del navegante :

los cordeles desatados

la estrella que triza el horizonte

la imagen de la rosa de los vientos

ardiendo sobre el pergamino de las playas

 

24

Tus gestos tus gritos tus pasos

arman por fin una estensión ordenada

elevan un mástil de velas andrajosas

sobre la tibezia del puerto

y orientan la ciudad

sobre el delirio

de sus íntimos metales destruidos

en tus manos  ahuecadas

donde baila la aguja magnética

en su taza de bronce.

 

25

En ese lugar abierto

de la tierra próxima

donde tu sombra solitaria

arde como un hereje

pondremos la estatua

de una joven sonrisa

cabalgando  desnuda.

 

Tierra próxima

Poème précédent en espagnol :

José ManuelCaballero Bonald : Ma prophétie, c’est ma mémoire / Mi propia profecía es mi memoria (10//07/2016)

Poème suivant en espagnol :

José AgustínGoytisolo : J’invoque / Yo invoco (25/11/2016)

 

 

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