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Le bar à poèmes
13 juillet 2016

Léopold Sédar Senghor (1906 – 2001) : Ndessé.

 

Leopold_20Sedar_20Senghor_1_

 

Ndessé. (1)

 

Mère, on m’écrit que tu blanchis comme la brousse à l’extrême

   hivernage

Et je devrais être ta fête, la fête gymnique des moissons

Ta saison belle avec sept fois neuf années sans nuages et les greniers

   pleins à craquer de fin mil

Ton champion, Kor-Sanou ! Tel le palmier de Katamague

Il domine tous ses rivaux de sa tête au mouvant panache d’argent

Et les cheveux des femmes s’agitent sur leurs épaules, et les cœurs des

   vierges dans le tumulte de leur poitrine.

Voici que je suis devant toi, Mère, soldat aux manches nues

Et je suis vêtu de mots étrangers où tes yeux ne voient qu’un assemblage

    d bâtons et de haillons.

Si je te pouvais parler, Mère ! Mais tu n’entendrais qu’un gazouillis précieux

     et tu n’entendrais pas,

Comme lorsque, bonnes femmes de sérères, vous déridiez le Dieu-au-

   troupeau-de-nuages

Pétaradant des coups de fusil par-dessus le cliquetis des mots paragnessés.

Mère, parle-moi bien que ma langue glisse sur nos verbes sonores et durs.

Tu les sais faire doux et moelleux comme à ton fils chéri autrefois.

Ah ! me pèse le fardeau pieux de mon mensonge,

Je ne suis plus le fonctionnaire qui a autorité, le marabout aux disciples

   charmés.

L’Europe m’a broyé comme le plat guerrier sous les pattes pachydermes

   des tanks

Mon cœur est plus meurtri que mon corps jadis au retour des lointaines

   escapades aux bords enchantés des Esprits.

 

Je devrais être, Mère, le palmier florissant de ta vieillesse, je te voudrais

   rendre l’ivresse de tes jeunes années

Je ne suis plus ton enfant endolori, et il se tourne et retourne sur ses flancs

   douloureux

Je ne suis plus qu’un enfant qui se souvient de ton sein maternel et qui pleure.

Reçois-moi dans la nuit qu’éclaire l’assurance de ton regard

Redis-moi les vieux contes des veillées noires, que je me perde par les routes

   sans mémoire.

Mère, je suis un soldat humilié qu’on nourrit de gros mil.

 

Dis-moi donc l’orgueil de mes pères !

 

Front-Stalag 230.

(1) Mélancolie, nostalgie, en wolof

 

Hosties noires,

Editions du Seuil, 1948

Du même auteur :

Prière pour la paix (13/07/2014)

L’Absente (13/07/2015)

Elégie des eaux (13/07/2017)

Chant du printemps (13/07/2018)

Chants d'ombre I (13/07/2019)

Chants pour Signare (13/07/2020) 

Le retour de l’enfant prodigue (13/07/2021)

Chants d'ombre II (13/07/2022)

Elégie de minuit13/07/2023)

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Commentaires
H
Ce poème me permet de mettre replonger dans mes souvenirs d'enfance. Petit fils, incontesté bien aimé de mes grands parents maternels, j'ai vécu des joyeuses années à l'ombre de mon grand père et au flanc de ma grand mère. Aujourd'hui, sous le poids de l'âge, et quand l'amertume et la nostalgie m'enveloppent, je fais de ce poème comme mien, comme un refuge certain.
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