Ma prophétie, c’est ma mémoire
Je reviens dans la chambre où je suis seul
chaque nuit, entrepôt des jours
qui ont sombré dans leur miroir irréparable.
Là, parmi les témoignages ligotés,
ma vie gît, immobile, avec ses papiers
au destin instable.
Le bois,
le tremblé de la lampe, le cristal
visionnaire, les fragiles
attributions des meubles, conservent
entre leurs rudiments le reflux
incessant de mes années, l’épaisseur
persistante de ma mémoire, toute
l’affluence simultanée
des chiffres et des rêves qui m’assaillent.
Monde récupérable, le vécu
se concentre et imprègne les murs
où le monde caduc renaît.
Des rafales reconstruites d’histoire
rassemblent l’avenir que je suis. (Ô chambre
dans l’ombre, subitement diaphane
sous le fanal du temps imprécatoire.)
Des traînées de lumière résonnent là-bas dans la nuit.
Je suis seul et mes mains
enfin niées, offertes,
touchent des papiers (cet amour, ce
rêve), silhouettes oubliées, prédictions
perdues. Là, ma vie par à-coups,
la mémoire me transperce chaque jour.
Image finale de mon extermination,
Toute chose morte se réalise à nouveau.
Ma prophétie, c’est ma mémoire :
mon espoir d’être ce que j’ai déjà été.
Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet
In, « Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990, »
Actes Sud / Editions Unesco, 1995
Du même auteur :
Verset de la genèse / Versículos del génesis (21/07/2015)
Un livre, un verre, rien / Un libro, un vaso, nada (10/07/2017)
Tandis que j’ajuste mon âge au temps (10/07/2018)
Pas aujourd’hui / Hoy no (10/07/2019)
Cinématographe (10/07/2020)
Survie / Supervivencia (10/08/2021)
Transfiguration de la perte / Transfiguración de lo perdido (09/07/2022)
Mi propia profecía es mi memoria
Vuelvo a la habitación donde estoy solo
cada noche, almacén de los días
caídos ya en su espejo naufragable.
Allí, entre testimonios maniatados,
yace inmóvil mi vida: sus papeles
de tornadizo sueño. La madera,
el temblor de la lámpara, el cristal
visionario, los frágiles
oficios de los muebles, guardan
bajo sus apariencias el continuo
regresar de mis años, la espesura
tenaz de mi memoria, toda
la confluencia simultánea
de torrenciales cifras que me inundan.
Mundo recuperable, lo vivido
se congrega impregnando las paredes
donde de nuevo nace lo caduco.
Reconstruidas ráfagas de historia
juntan el porvenir que soy. Oh habitaci6n
a oscuras, súbitamente diáfana
bajo el fanal del tiempo repetible.
Suenan rastros de luz allá en la noche.
Estoy solo y mis manos
ya denegadas, ya ofrecidas,
tocan papeles (este amor, aquel
sueño), olvidadas siluetas, vaticinios
perdidos. Allí mi vida a golpes
la memoria me orada cada día.
Imagen ya de mi exterminio,
se realiza de nuevo cuanto ha muerto.
Mi propia profecía es mi memoria:
mi esperanza de ser lo que ya he sido.
Memorias de poco tiempo,
Cultura hispánica, Madrid, 1954
Poème précédent en espagnol :
Maria Victoria Atencia: Le pain dur / El duro pan (05/16)
Poème suivant en espagnol :
Luis Mizón : « De l’extrémité de la table… » / « Desde el extremo de la mesa » (05/08/2016)