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Le bar à poèmes
24 juin 2016

Louis Brauquier (1900 -1960) : « J’ai la nostalgie d’une plaine d’herbes... »

 

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A François et Suzanne de Fortis

I

J’ai la nostalgie d’une plaine d’herbes,

Je regrette confusément de petits chevaux,

Des camps levés dans de tristes matins glaciaires,

Des fleuves traversés qui n’avaient pas de noms,

Les marches forcées vers des villes à coupoles,

Et des villages blancs défendus par des pieux.

 

Je regrette mes voisins, les compagnons de la horde,

Et plus que tout celui qui vivait près de moi,

Celui dont le genou touchait mon genou nu,

Celui dont j’entendais le souffle et dont l’odeur

Se mêle à mon regret de cette plaine d’herbes.

 

Je regrette l’Europe et ses vastes espaces,

Voici les villes noires et les rues prisonnières,

Voici les corridors des souterrains poisseux,

Voici l’hiver malsain avec ses faux parages,

Et voici mes amis, les hommes de mon âge,

Qui ont perdu le goût et la règle du jeu.

 

Je regrette l’Europe et ses vastes espaces,

Quand tout était pur, neuf, inconnu et désert.

 

Quand le printemps viendra nous reprendrons la mer

 

II

     J’ai la nostalgie d’un horizon calme

     D’une prairie verte et d’un champ de blé,

     De rentrées le soir des lentes campagnes,

     Des vieilles maisons et des toits groupés

     Et des pluies d’hiver sur l’horizon calme.

 

     Les pieds bien calés dans la grasse terre,

     Le corps bien roulé dans le vent des hauts,

     Regarder le ciel comme un partenaire,

     Vouloir du soleil et vouloir de l’eau,

     Etre malheureux du mal de la terre.

 

     Les livres, le feu, le fusil, les pipes,

     L’eau-de-vie qu’on chauffe au creux de la main,

     Le tour des saisons qui viennent et quittent,

     L’odeur de la grange et l’odeur du vin,

     Le soc fou de joie dans la grande vigne,

 

     Me parlent encor entre deux villages,

     Du fond d’un tombeau où dorment des vieux

     Qui marchaient jadis sur les routes blanches,

 

     Me parlent tout bas, me parlent plus fort,

     Me touchent le bras, mais moi, je me hâte

     Et je fais celui qui ne comprend pas.

 

III

 

Peut-être un vieux regret des migrations lentes

Et le goût de l'ouest aux naseaux du matin;

 

Peut-être une promesse enchanteresse d'îles,

Faite à mi-voix par un voyageur imprécis;

 

Ou quelqu'ennui au long de corridors trop vastes

De la similitude évasive des jours;

 

Ou la mission d'appareiller une tristesse

Secrète qu'un ami me confie sans parler,

 

Me donnent ce désir de voir, un jour encore,

Autour du pont mouillé d'un vapeur du commerce

 

La pluie tomber sur l'océan Pacifique

 

 

IV

 

     - Mais non, je sais ce qui m’appelle,

     C’est le geste des hommes nus

     Dans les escales tropicales

     Debout sur les panneaux ouverts.

 

     C’est le geste aux trois doigts levés

     Qui mène la marche des treuils,

     Le signal sur l’horizon vide

     Où passe une infime pirogue

     Qui évoque la certitude

     D’autres îles qu’on ne voit pas.

     (....)

 

Liberté des mers,

Editions Edmond Charlot, Alger, 1941

Du même auteur :

Attentes (24/06/2015)

Pluie (30/10/2017)

La mer mauvaise (27/12/2018)

« Nous avons marché côte à côte ... » (27/12/2019)

« Sorcières des étangs... » (27/12/2020) 

« Je voudrai être une pierre... » (27/12/2021) 

« Soyez bonnes ce soir aux hommes d’équipage... » (27/12/2022)

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