Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le bar à poèmes
13 juin 2016

Yves Bonnefoy (1923 - 2016 ) : L’été de nuit

 

A47E5918_BB7C_4E00_B23B_46FF66572B701_1_

 

L’été de nuit

 

I



Il me semble, ce soir,

 

Que le ciel étoilé, s'élargissant,

Se rapproche de nous ; et que la nuit,

Derrière tant de feux, est moins obscure.

 

Et le feuillage aussi brille sous le feuillage. 

Le vert, et l'orangé des fruits mûrs, s'est accru, 

Lampe d'un ange proche ; un battement 

De lumière cachée prend l'arbre universel.

 

Il me semble, ce soir.

Que nous sommes entrés dans le jardin, dont l'ange

A refermé les portes sans retour.

II





Navire d'un été.

Et toi comme à la proue, comme le temps s'achève.

Dépliant des étoffes peintes, parlant bas.

 

Dans ce rêve de mai

L'éternité montait parmi les fruits de l'arbre 

Et je t'offrais le fruit qui illimite l'arbre 

Sans angoisse ni mort, d'un monde partagé.

 

Vaguent au loin les morts au désert de l'écume. 

Il n'est plus de désert puisque tout est en nous 

Et il n'est plus de mort puisque mes lèvres touchent 

L'eau d'une ressemblance éparse sur la mer.

 

O suffisance de l'été, je t'avais pure 

Comme l'eau qu'a changée l'étoile, comme un bruit 

D'écume sous nos pas d'où la blancheur du sable 

Remonte pour bénir nos corps inéclairés.





III

Le mouvement

Nous était apparu la faute, et nous allions 

Dans l'immobilité comme sous le navire 

Bouge et ne bouge pas le feuillage des morts.

 

Je te disais ma figure de proue

Heureuse, indifférente, qui conduit,

Les yeux à demi clos, le navire de vivre

Et rêve comme il rêve, étant sa paix profonde.

Et s'arque sur l'étrave où bat l'antique amour.

 

Souriante, première, délavée,

A jamais le reflet d'une étoile immobile

Dans le geste mortel.

Aimée, dans le feuillage de la mer.





IV



Terre comme gréée,

Vois,

C'est ta ligure de proue.

Tachée de rouge.

 

L'étoile, l'eau, le sommeil 

Ont usé cette épaule nue 

Qui a frémi puis se penche 

A l'Orient où glace le cœur.

 

L'huile méditante a régné 

Sur son corps aux ombres qui bougent, 

Et pourtant elle ploie sa nuque 

Comme on pèse l'âme des morts.

V



Voici presque l'instant

Où il n'est plus de jour, plus de nuit, tant l'étoile 

A grandi pour bénir ce corps brun, souriant. 

Illimité, une eau qui sans chimère bouge.

 

 

Ces frêles mains terrestres dénoueront 

Le noeud triste des rêves. 

La clarté protégée reposera 

Sur la table des eaux.

 

L'étoile aime l'écume, et brûlera 

Dans cette robe grise.




VI




Longtemps ce fut l'été. Une étoile immobile 

Dominait les soleils tournants. L'été de nuit 

Portait l'été de jour dans ses mains de lumière 

Et nous nous parlions bas, en feuillage de nuit.

 

L'étoile indifférente ; et l'étrave ; et le clair 

Chemin de l'une à l'autre en eaux et ciels tranquilles. 

Tout ce qui est bougeait comme un vaisseau qui tourne 

Et glisse, et ne sait plus son âme dans la nuit.





VII

N'avions-nous pas l'été à franchir, comme un large 

Océan immobile, et moi simple, couché 

Sur les yeux et la bouche et l'âme de l'étrave, 

Aimant l'été, buvant tes yeux sans souvenirs,

 

N'étais-je pas le rêve aux prunelles absentes 

Qui prend et ne prend pas, et ne veut retenir 

De ta couleur d'été qu'un bleu d'une autre pierre 

Pour un été plus grand, où rien ne peut finir ?





VIII

Mais ton épaule se déchire dans les arbres, 

Ciel étoile, et ta bouche recherche 

Les fleuves respirants de la terre pour vivre 

Parmi nous ta soucieuse et désirante nuit.

 

O notre image encor,

Tu portes près du cœur une même blessure,

Une même lumière où bouge un même fer.

 

Divise-toi, qui es l'absence et ses marées. 

Accueille-nous, qui avons goût de fruits qui tombent, 

Mêle-nous sur tes plages vides dans l'écume 

Avec les bois d'épave de la mort,

 

Arbre aux rameaux de nuit doubles, doubles toujours.





IX


Eaux du dormeur, arbre d'absence, heures sans rives, 

Dans votre éternité une nuit va finir. 

Comment nommerons-nous cet autre jour, mon âme, 

Ce plus bas rougeoiement mêlé de sable noir ?

 

Dans les eaux du dormeur les lumières se troublent. 

Un langage se fait, qui partage le clair 

Buissonnement d'étoiles dans l'écume. 

Et c'est presque l'éveil, déjà le souvenir.

 

Pierre écrite

Editions du mercure de France, 1965

Du même auteur :

« Que saisir sinon qui s’échappe… » (03/06/2014)

Théâtre (03/06/2015)

Le myrte (13/06/2017)

Deux barques (1306/2018)

La pluie sur le ravin (13/06/2019)

Le fleuve (13/06/2020) 

Dans le leurre du seuil (13/06/2021)

Dans le leurre des mots (13/06/2022)

La maison natale (13/06/2023)

Publicité
Publicité
Commentaires
Le bar à poèmes
Publicité
Archives
Newsletter
96 abonnés
Publicité