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Le bar à poèmes
10 avril 2016

Jacques Réda (1929 - ) : Aux environs

jacques_reda[1]

 

Aux environs

 

A cette heure où comme avant le jour tout redevient calme et bleu,

j’ai le regret des champs et forêts qui devaient être si proches,

de l’endroit où cessaient dans la boue et l’herbe les gros pavés.

Après quoi le chemin roulait entre des carrés bleus de légumes,

sous les branches presque nues et basses des vergers bleus,

les mêmes nuages comme des chapeaux glissant aux ras des vignes,

le même ciel s’avançant en personne par les fourrés

(je veux dire une vraie personne que l’on salue),

comme dans ce rêve qui depuis deux ans m’est si souvent revenu,

où j’atteins une dernière petite place au flanc de Montmartre –

et le rêve même de la ville enfin se dévoile, et c’est ainsi :

des bois sombres, des chevaux rouges, des collines et des champs dorés –

on entrait dans la profondeur muette de la campagne,

Gentilly, Châtillon, Montreuil, Vanves, Clamart et Saint-Cloud.

Mais surtout le nord troublait à cause d’un fort regain d’espace,

toutes ces plaines étirant jusqu’aux mers leurs fins sillons

et, mal jointes au bord de l’Oise, au bord de l’Aisne, au bord de l’Ourcq,

vides le long des routes martelées par le fer et les étoiles,

gonflent et grondent encore comme d’immenses papiers d’emballage

      - le nord.

C’était un temps de malheur des gens mais de leur forte innocence.

Aussi pouvaient-ils rencontrer la Sainte Vierge ou le Bon Dieu

quand ils relevaient leurs yeux analphabètes de l’épaisse terre

et que l’heure était celle-ci qui dure tandis que j’écris :

bleue et calme comme l’intérieur d’une perle d’eau mystique,

là où je n’aperçois qu’un doigt de ciel par-dessus le béton,

et où ne manquant ni de pain, ni de chaleur, ni de chemise,

disposant de merveilleux moyens d’hygiène et de communications,

remboursé lorsque je suis malade et mécontent de mon sort,

j’essaye de voir ce bleu comme avec des yeux de pauvre,

de le retenir, lui qui va si vite, par les pans troués de son manteau.

Mais il s’enfonce au nord sous les ponts du Périphérique,

misérable comme ces Nègres que j’ai vus là-bas près d’un feu,

le vieux feu de vieux bouts de bois et de sacs de l’espérance.

 

Les ruines de Paris,

Editions Gallimard (Le chemin), 1977

 

Du même auteur :

Elégie de la petite gare (10/04/2015)

Pluie du matin (23/04/2017)

« Quand montant de la porte d’Orléans… » (10/04/2018)

Oraison du matin (10/04/2019)

Le soir, rue de la Duée (10/04/2020)

 L’aurore hésite (10/04/2021)

Lettre à Marie (10/04/2022)

La pente (10/04/2023)

Un paradis d’oiseaux (10/04/2024)

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