Pierre Morhange (1901 – 1972) : Le Dimanche
Le Dimanche
Je haïssais toujours le dimanche comme un ennemi
Ce jour imbécile
Avec une voûte céleste
Sous laquelle les hommes traînaient
Se forçant à une morne fête,
Ne croyant ni à dieu ni à eux-mêmes.
Je haïssais simplement le dimanche
Des phonographes, des ouvriers saouls,
Des lâches riches fuyant en autos,
De l’odeur généreuse des frites de la patrie,
Des pioupious nègres et adjudants rasés de frais,
Je haïssais l’ennui que seul dans ma chambre
Je lisais dans le ciel si vache quand il est pur
Et si semblable à nos cœurs déchus quand il tempête.
Je haïssais ce jour où l’usine éteinte
Le cher travail glacé et suspendu
Laisse à l’homme le temps de penser
De faire le bilan lamentable de sa vie.
Oh oui ! je haïssais le dimanche,
Car c’est le jour où je pense
Et compte les jours morts et les jours futurs
Et désespère de cette plage
Où je suis retenu par l’attraction.
Et maintenant que je chôme,
Que l’usine est froide et rouille,
Chaque jour est un dimanche,
Je hais chaque jour,
Je veux dormir,
J’aime seulement le sommeil.
Ô l’éveil dans le dégoûtant jour.
Je pense et je crève
Et je pense que je crève.
Aujourd’hui c’est dimanche
Eternel dimanche
Au fond de la ville.
La Vie est unique,
Editions Gallimard, 1933
Du même auteur : Paris (08/02/2017)