17 poèmes
I
Prélude
L’éveil est un saut en parachute hors du rêve.
Libéré du tourbillon qui l’étouffe, le voyageur
tombe dans les zones vertes du matin.
Les objets s’enflamment. Il distingue – dans la position
palpitante
du pinson – les phares puissants d’un système radiculaire
qui tournoie dans les bas-fonds. Mais au-dessus de la terre
il y a – en un flux tropical – cette verdure aux
bras dressés, à l’écoute
des rythmes d’une pompe invisible. Et il
descend vers l’été, se laisse chuter
dans son cratère éblouissant, glisse
le long du puits d’ères vertes et humides
vibrant sous la turbine du soleil. Ainsi s’arrête
dans l’instant sa course verticale et les ailes se déploient
pour le repos d’un aigle pêcheur au-dessus des eaux qui filent.
Le son banni
d’une trompe de l’âge de bronze
reste accroché au-dessus de l’abîme.
Aux premières heures du jour, la conscience peut étreindre
le monde
comme une main saisit une pierre chauffée par le soleil.
Le voyageur est sous l’arbre. Après
sa chute dans le tourbillon de la mort,
une grande lueur : va-t-elle s’étendre sur sa tête ?
II
Archipel en Automne
Tempête
Soudain, le randonneur croise là un vieux
chêne géant, pareil à un élan de pierre dont
la couronne large de plusieurs lieues fait face à la
citadelle verdâtre de l’océan de septembre.
Tempête du nord. C’est alors que les grappes
de sorbe mûrissent. Eveillé, dans le noir, on entend
les constellations piaffer dans leurs stalles bien au-dessus
des arbres.
Soir-matin
Le mât de la lune est pourri et la voile froissée.
Une mouette plane ivre par-delà les eaux.
Le lourd carreau de l’embarcadère a été calciné. Les ronces
s’affaissent dans l’obscurité.
Je sors de la maison. L’aube frappe encore et encore
les barrières de pierre grise de la mer et le soleil crépite
au plus près du monde. Les dieux de l’été, à moitié
étranglés, tâtonnent dans les brumes marines.
Ostinato
Sous le point immobile de l’épave qui tournoie,
l’océan s’ébroue et gronde dans la lumière,
ronge aveuglément son frein d’herbes marines et souffle
de l’écume sur le littoral.
La terre se couvre d’une obscurité que les chauves-souris
mesurent. L’épave s’immobilise et se change en étoile.
L’océan avance en tonnant et souffle de l’écume sur le littoral.
III
Cinq strophes à Thoreau
En voici encore un qui a quitté l’enceinte des pierres
avides de la lourde cité. Et l’eau est limpide et salée
lorsqu’elle s’abat sur la tête des vrais exilés.
En un lent tourbillon, le silence est monté jusqu’ici,
du centre de la terre, pour prendre racine, pousser
et ombrager de son épais feuillage l’escalier d’un homme
que chauffe le soleil.
*
Sans réfléchir, le pied a heurté un champignon. Un nuage de
poussière
grandit à son bord. Comme des trompes de cuivre,
les racines repliées de l’arbre ont donné le ton et le feuillage
s’est dispersé, effrayé.
La fuite éperdue de l’automne est son manteau léger
qui ondule jusqu’à ce qu’en meute, des journées plus calmes
renaissent du givre et de la cendre pour venir baigner leurs
griffes dans l’eau de la source.
*
Et celui qui a vu un geyser et que personne ne croit avance,
échappé d’un puits comblé comme le fit Thoreau, et il sait
s’enfouir au fond de sa verdure intérieure, optimiste et malin.
Gogol
Un veston élimé comme des loups en bande.
Un visage pareil à un éclat de marbre.
Assis au milieu de ses missives, dans ce bosquet qui frémit
de sarcasmes et de malentendus,
et son cœur s’envole tel un papier dans les passages inhospitaliers.
Maintenant, le coucher de soleil se coule tel un renard sur les terres
embrase les herbes en un instant.
L’espace s’emplit de cornes et de griffes, et plus bas
la calèche glisse comme une ombre entre les jardins illuminés
de mon père.
Pétersbourg est au même degré de latitude que la désolation
(as-tu vu la belle dans sa tour penchée ?)
et à la périphérie des quartiers couverts de givre, ce malheureux
plane encore
dans son manteau, comme une méduse.
Et, drapé dans ses carêmes, voici celui qu’autrefois les hordes
du rire cernaient,
elles qui longtemps sont parties dans des contrées bien au-delà
de la limite des arbres.
La table branlante des hommes.
Vois combien la nuit consume la voie lactée des âmes.
Monte dans ton chariot de feu et quitte le pays !
Histoire de marins
Il y a des jours d’hiver sans neige où l’océan est parent
d’un pays de montagne, tapi dans sa parure de plumes
grises,
un court instant en bleu, de longues heures avec des vagues
comme des lynx
pâles, cherchant vainement un appui sur le gravier des plages.
Ces jours-là les épaves quittent l’océan pour chercher leurs
amateurs, s’installer dans le vacarme de la ville, et des équipages
de noyés s’envolent vers la terre, encore plus légers que la fumée
des pipes.
(C’est dans le Nord que courent les vrais lynx, aux ongles affûtés
et aux yeux rêveurs. Dans le Nord, où le jour
habite dans une mine, de jour comme de nuit.
Où l’unique survivant peut s’asseoir
près du poêle de l’aurore boréale et écouter
la musique de ceux qui sont morts gelés.)
Strophe et antistrophe
Le cercle extérieur est celui du mythe. Où le taraudeur sombre debout
entre les dos de poissons étincelants.
Si loin de nous ! Lorsque le jour
se résume à une agitation suffocante parce que dénuée de vent –
comme l’ombre verte du Congo où les hommes
bleus retiennent leur haleine –
lorsque le bois flottant
s’amoncelle le long de la rivière
aux méandres paresseux du cœur.
Un soudain bouleversement : les entravés glissent sous le repos
des corps célestes.
La poupe haute, dans une situation
désespérée, la coque du songe se détache, noire
sur le fond rouge clair de bande côtière. Délaissées,
les rames tombent vite
et sans bruit –telle l’ombre de la luge, pareille à un chien immense,
qui court sur la neige et
rejoint la forêt.
Méditation indignée
La tempête furieusement fait tourner les ailes du moulin
dans la nuit, et elle moud le néant. - Telles sont les lois qui
t’ôtent le sommeil.
Le ventre du requin gris est ta pâle lanterne.
Les souvenirs diffus tombent jusqu’au fond de l’océan
pour s’y figer en statues singulières. – Les algues ont verdi ta
béquille. Ceux qui partent
en mer reviennent pétrifiés.
Les pierres
Les pierres que nous avons jetées, je les entends
tomber , cristallines, à travers les années. Les actes
incohérents de l’instant volent dans
la vallée en glapissant d’une cime d’arbre
à une autre, s’apaisent
dans un air plus rare que celui du présent, glissent
telles des hirondelles du sommet d’une montagne
à l’autre, jusqu’à ce qu’elles
atteignent les derniers hauts plateaux
à la frontière de l’existence. Où nos
actions ne retombent
cristallines
sur d’autres fonds
que les nôtres.
Cohésion
Voyez cet arbre gris. Le ciel a pénétré
par ses fibres jusque dans le sol –
il ne reste qu’un nuage ridé quand
la terre a fini de boire. L’espace dérobé
se tord dans les tresses des racines, s’entortille
en verdure. – De courts instants
de liberté viennent éclore dans nos corps, tourbillonnent
dans le sang des Parques et plus loin encore.
Entrée le matin
Le goéland à manteau noir, ce marin du soleil, garde le cap.
Sous lui, la mer.
Le monde sommeille encore tel
une pierre multicolore qui repose dans l’eau.
Journée inexpliquée. Des jours –
pareils à l’écriture des Aztèques.
La musique. Et j’étais prisonnier
de sa haute lice,
les bras levés – comme une figure
de l’art populaire.
La paix règne dans l’étrave bouillonnante
Un matin d’hiver, je sentis combien cette terre
avance en roulant. Un souffle d’air
venu des tréfonds crépitait
aux murs de la maison.
Baignée par le mouvement : la tente du silence.
Et le gouvernail secret d’une nuée d’oiseaux migrateurs.
Le trémolo des instruments
cachés montait
de l’ombre de l’hiver. Comme lorsque nous voici
sous le grand tilleul de l’été, avec le vrombissement
de dizaines de milliers
d’ailes d’insectes au-dessus de nous.
Le jour chavire
Immobile, la fourmi fait le guet, scrute
le néant. Et le néant s’entend, au-delà des gouttes du feuillage
assombri et des murmures nocturnes des canyons de l’été.
Le sapin est debout, comme le curseur de l’horloge,
dentelé. La fourmi s’embrase à l’ombre de la montagne.
Cris d’oiseaux ! Et enfin. Doucement, le chariot des nuages s’est
mis à avancer.
IV
Chant
La troupe blanche grandissait : mouettes et goélands
dans le costume de toile de ces vaisseaux défunts
qu’entachait la fumée des côtes interdites.
Alerte ! Alerte autour des ordures du caboteur !
Ils s’étaient rapprochés pour former un jeu d’enseignes
qui devaient signaler « une prise par ici ».
Et les mouettes planaient sur des étendues d’eau
où les labours bleutés avançaient dans l’écume.
Une route de phosphore partait en biais vers le soleil.
Mais dans sa préhistoire, Väinämöinen progresse
sur l’étendue océane étincelant aux lueurs de jadis.
A cheval. Les sabots de sa monture ne sont jamais mouillés.
Et derrière lui : la verte forêt de sa mélopée.
Où le chêne entreprend un bond millénaire.
Le grand moulin est mû par le chant des oiseaux.
Et l’arbre est prisonnier de ses murmures.
Ses lourds pignons scintillent à la lune
lorsque le pin des terres lointaine s’allume tel un phare.
L’Autre se redresse alors dans son incantation
et la flèche s’enfuit les yeux grands ouverts,
en chantant, dans la baie, comme les migrateurs.
Un temps mort lorsque le cheval se cabre
et se brise au-dessus de la ligne des eaux tel
un nuage bleu sous l’antenne tactile de l’orage.
Et Väinämöinen tombe lourdement dans la mer
(ce drap de sauvetage que tendent les points cardinaux).
Alerte ! Alerte parmi les mouettes à l’instant de la chute !
Pareil à celui qui sans crainte aucune
reste ensorcelé au milieu du tableau de son bonheur,
prosterné avec onze boisseaux de blé.
Les cimes alpines de l’espérance fredonnent dans l’éther,
à trois mille mètres d’altitude, là où les nuages font
une régate. Le squale replet se vautre
dans un éclat de rire muet sous la surface de la mer.
(Mort et résurrection lorsque la vague arrive.)
Et le vent pédale paisiblement à travers le feuillage.
Alors l’orage tambourine sourdement à l’horizon
(comme un troupeau de buffles s’enfuit dans sa poussière).
Le poing de l’ombre se referme sur l’arbre
et renverse soudain celui qui reste ensorcelé
au milieu du tableau de son bonheur lorsqu’il voit rougeoyer
le crépuscule sous le masque de sanglier des nuages.
Son sosie est maintenant jaloux
et passe des accords secrets avec sa femme.
Et l’ombre se rassemble en un raz-de-marée
obscur raz-de-marée que les mouettes chevauchent.
Et le cœur à bâbord bouillonne dans les brisants.
Mort et résurrection lorsque la vague arrive.
La troupe blanche grossissait : mouettes er goélands
dans le costume de toile de ces vaisseaux défunts
qu’entachait la fumée des côtes interdites.
Le goéland cendré : un harpon au dos de velours.
Vu de près, c’est une coque couverte de neige
dont le pouls caché lance des éclairs rythmés.
Ses nerfs d’aviateur en parfait équilibre. Il plane.
Il rêve sans appui suspendu dans le vent
un rêve de chasseur aux coups de bec mortels.
Doucement, il descend ailes avides vers la mer
et s’enroule autour de sa proie comme une socquette
avec quelques secousses. Puis il remonte, tel un esprit.
(La résurrection est un rapport de forces
plus mystérieuses que la reptation de l’anguille.
La floraison de l’arbre invisible. Et à l’égal
du phoque gris qui au milieu de son sommeil sous-marin
remonte à la surface de l’eau, reprend son souffle
et replonge – toujours en dormant – vers les bas-fonds
le Dormeur en moi s’est secrètement
rallié à cette cause et il est revenu
alors que j’avais le regard fixé sur autre chose.)
Et le moteur diésel cogne sur l’essaim
le long des récifs obscurs, de la faille des oiseaux
où la faim a fleuri en gueules qui béaient.
On les entendait encore à la nuit tombante :
une musique née avant terme et comme jaillie
de la fosse d’orchestre avant que le concert ne débute.
Mais sur l’Océan de sa préhistoire, Väinämöinen dérivait
secoué par les moufles de la houle ou allongé
dans l’univers miroitant de l’accalmie d’où les oiseaux
ressortaient agrandis. Et d’une graine perdue, loin
des terres, à la fin de la mer, on vit surgir
des vagues, jaillir d’un banc de brume :
un arbre immense au tronc écailleux, aux feuilles
translucides, er derrière elles
les voiles blanches bombées de soleils lointains
qui avançaient comme en transe. Et déjà l’aigle s’envole.
V
Elégie
Le point de départ. Notre bande côtière drapée
de pinèdes s’étend, tel un dragon vaincu
dans la tourbière entre brumes et vapeurs. Et au loin :
deux cargos nous appellent du fond d’un rêve
enrobé de brouillard. Tel est le monde ici-bas.
Forêt inerte, surface immobile de l’eau,
et la main de l’orchidée qui se tend à travers le terreau.
De l’autre côté, au-delà du chenal
mais suspendu aux mêmes reflets : le navire
que le nuage accroche dans son espace d’apesanteur.
Et autour de l’étrave, l’eau reste sans mouvement,
comme posée sur l’embellie. Pourtant la tempête fait rage !
Et la fumée du bâtiment monte à l’horizontale –
là où le soleil ondule sous son emprise – et le vent
souffle fort au visage de ceux qui veulent accoster.
Remonter à bâbord de la Mort.
Un courant d’air soudain et les rideaux ondoient.
Le silence sonne comme un réveille- matin.
Un courant d’air soudain et les rideaux ondoient.
Jusqu’à ce qu’une porte claque dans le lointain,
très loin, en une toute autre année.
*
Ô terres aussi grises que le manteau de l’Homme des marais !
Et l’île noire flotte entre les vapeurs marines.
Où le silence règne, comme lorsqu’un radar se tourne
et se retourne dans la renonciation.
Il y a un carrefour dans chaque instant.
La mélodie des distances y afflue, s’y retrouve.
Tout s’y confond en un arbre touffu.
Où des villes disparues scintillent dans la ramure.
De partout et nulle part, une musique
telle celle des grillons durant la nuit d’août. Tacheté
comme un coléoptère, le voyageur assassiné sommeille
dans la tourbière, ici cette nuit. La sève fait remonter
ses pensées vers les étoiles. Et au fond
de la montagne : la caverne des chauves-souris.
Où s’accrochent en rangs serrés les actions, les années.
Et où elles sommeillent, les ailes repliées
Un jour, elles s’en iront. Quel tourbillon !
(A distance, une fumée s’échappant de la bouche de la grotte.)
Mais l’hibernation de l’été n’a pas encore cessé.
A quelque distance, l’eau murmure. Et dans l’arbre obscurci
une feuille se retourne.
*
Un matin d’été, la herse du paysan accroche
les os d’un mort et des habits en loques. – Il est
donc là depuis qu’ils ont drainé les marais
et voilà qu’il se redresse et s’éloigne au grand jour.
Dans chaque canton, les grains dorés tournoient
autour d’un vieux péché. Un crâne cuirassé
dans la terre labourée. Un promeneur sur la route
et la montagne le suit du regard.
Dans chaque canton, le canon du chasseur murmure
aux coups de minuit lorsque les ailes s’ouvrent
et le passé grandit lors de sa chute,
plus noir que l’aérolite du cœur.
L’esprit qui se détourne rend l’écriture vorace.
Un pavillon a claqué, les ailes s’entrouvrent
autour de leur proie. Quel noble voyage !
où l’albatros vieillit en un nuage
dans la Gueule du Temps. La culture est une étape
pour chasseurs de baleine, où l’étranger qui se promène
entre les maisons blanches et les jeux des enfants
ressent chaque fois qu’il respire
la présence du géant assassiné.
*
La pariade des sphères célestes doucement se répercute.
La musique, innocente dans notre ombre,
comme l’eau de cette fontaine jaillissant parmi les bêtes sauvages
artistiquement pétrifiées autour d’un jet d’eau.
Avec des archets déguisés en forêt.
Avec des archets comme des agrès sous l’averse –
la cabine s’aplatit sous les coups de sabot de la pluie –
et au fond, dans la suspension du gyroscope, la joie.
Ce soir transparaît l’accalmie du monde
lorsque les archets se lèvent mais ne bougent pas.
Immobiles dans la brume, les arbres de la forêt
et la toundra de l’eau en multiples reflets.
La moitié silencieuse de la musique est là, comme le parfum
de résine entoure les pins que la foudre a blessés.
Un été dans les bas-fonds de chacun d’entre nous.
Où se défait, au croisement, une ombre
qui s’élance en direction des trompettes de Bach.
La grâce nous donne une soudaine assurance. Laisser
le costume du moi sur cette plage
où les vagues se retirent et se brisent, se retirent
et se brisent.
Epilogue
La Suède est un bateau qu’on a tiré
a terre, dégréé. Ses mâts se dessinent âprement
sur le ciel crépusculaire. Et le crépuscule dure plus longtemps
que le jour – le chemin qui y mène est caillouteux :
ce n’est que vers midi que la lumière arrive
et le colisée de l’hiver se redresse alors
dans la lumière de nuages fabuleux. Soudain,
une fumée monte des villages,
vertigineuse et blanche. Les nuages sont infiniment hauts.
Près des racines de l’arbre céleste, la mer laboure
distraite comme à l’écoute d’on ne sait quoi.
(Invisible, un oiseau passe au-dessus de la moitié
noircie et détournée de l’âme, et réveille
les dormeurs de son cri. Puis le réfracteur
pivote, capte une autre époque,
et soudain c’est l’été : les montagnes mugissent, repues
de lumière et le ruisseau soulève les étincelles du soleil
de sa main translucide… Mais tout cela s’en ira,
comme une pellicule photographique qui se casse dans le noir.)
Maintenant, l’étoile du berger pénètre le nuage.
Les arbres, les clôtures, les maisons grandissent, poussent
dans l’avalanche obscure qui croule dans le silence.
Et sous l’étoile, on voit de plus en plus nettement
ce paysage caché qui mène l’existence
des contours de la plaque radiographique de la nuit.
Une ombre tire sa luge entre les maisons.
Qui attendent
Et le vent arrive à 18 heures.
Il galope à grand bruit dans les rues du village,
dans la pénombre telle une horde de cavaliers. Que
ces noirs émois peuvent gronder avant de disparaître !
Les maisons restent prisonnières d’une danse immobile,
dans un vacarme semblable à ceux du rêve. Un coup de vent
après l’autre court sur la baie jusqu’à
la haute mer qui se jette dans la nuit.
Dans l’espace, les étoiles pavoisent le désespoir.
Elles s’allument et s’éteignent aux nuages qui avancent
et ne prouvent leur existence qu’au moment où ils masquent
la lumière, comme les nuages du passé
parcourent les âmes. Lorsque je longe
le chemin des écuries, j’entends dans le tonnerre
piétiner un cheval malade, à l’intérieur.
Et la tempête donne le signal du départ, près d’une
barrière endommagée qui cogne et cogne encore, une lanterne
qui tangue au bout d’un bras, un animal qui caquette
terrifié dans la montagne. Le départ lorsque gronde ce qui
ressemble à un orage au-dessus des étables, lorsque bourdonnent
les fils du téléphone, résonnent des sifflements stridents
et que l’arbre désemparé jette son branchage.
Un son qui se dégage des cornemuses !
Le son de cornemuses qui défilent
libérateur. Une procession. Une forêt en marche !
Tout cela jaillit autour de l’étrave et l’obscurité progresse,
les terres et les eaux voyagent. Et les morts
qui sont en cale, ils sont avec nous,
sur notre route : un voyage en mer, une pérégrination
nullement effrénée, mais plutôt rassurante.
Et l’univers ne cesse de lever
le camp. Un jour d’été, le vent s’empare
du gréement du chêne et projette la terre en avant .
En cachette, le nénuphar pagaie avec son pied palmé
dans l’étreinte obscure d’un étang qui s’enfuit.
Le bloc erratique s’en va dans les salles de l’espace.
Au crépuscule, en été, on voit les îles décoller
à l’horizon. Les vieux villages ont pris
la route, s’enfoncent toujours plus loin dans la forêt,
sur la roue des saisons, avec le crissement de l’agace.
Lorsque d’un coup de pied, l’année se défait de ses bottes
et le soleil grimpe encore, les arbres se couvrent
de feuilles, se gonflent de vent et naviguent en toute liberté.
Au pied de la montagne se dresse le ressac de la pinède,
mais la longue houle tiède de l’été s’annonce, elle
passe doucement sur la cime des arbres, s’y repose
un instant, puis se retire –
ne subsiste alors qu’une côté effeuillée. En fait,
l’esprit divin ressemble au Nil : il inonde
et retombe à un rythme calculé
à différentes époques dans les textes.
Mais Il est aussi intemporel
et c’est pourquoi on ne l’a que rarement aperçu par ici.
Il croise le parcours de la procession par le biais.
Comme le navire traverse la brume
sans qu’elle ne le remarque. Silence.
La pâle lueur du fanal est son signal.
Traduit du suédois par Jacques Outin
Baltiques, Oeuvres complètes 1954 – 2004
Editions Gallimard (poésie), 2004
Du même auteur :
Secrets en chemin (30/01/2017)
Ciel à moitié achevé. I (30/01/2018)
Prison (30/01/2019)